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* by Google
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v, a.
s tAB L IAUX
O U
I C O N T E S,
DU XIV ET DU Xlir SIECLE.
TOME SECOND.
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' Digitized by GoOgle
FABLIAUX ou CONTES,
x>u xiv *T dv xnr Siskii,
FABLES ET ROMAN du XIH%
Traduits ou extraits d'apres plufieurs Manufcrits
^u terns;
Avec des Notes hiftoriques & critiques , & les
imitations qui ont ere faites de ces Contes
depuis leur origine jufqu'a nos jours.
Nouvelle Edition , augmentU d'une Dijfertation
fur les Troubadours,
Par M. Lb G r a n d. 4 ' &*<*<*/
Sit apud te honor antiquitati , €r fabidis quoquc*
Plin. Epift.
TOME SECOND.
A P A R I S>
Chez Eugene Onfroy, Libraire ,
/ quai des Auguftins.
M. DCC. LXXXI.
Avec Approbation, & Privilege du RoL
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Digitized by GOOgle
OBSERVATIONS
S V R
LES TROUBADOURS.
E
n parlant , au premier volume
de cet Ouvrage , de ce qui regards .
lancicnne Litterature franjaife , j'ai
dit que nos Provinces meridionales-
avaient etabli fur cette mariere un
prejuge , ^lorieux pour elles , mais
peu fonde ;.qui leur attribijait Fhon-
neur d'avoir non-feulement cultive
ks premieres la Poefie en langue vul-
gaire > mais Thonneur , plus grand
encore , davoir en ce genre fourni
au refte de la France les premiers
modeles & les premiers mairres
quelle ait eus. .
Comme perfonne jufqu'ici n'avait
Tomt II. A
301x^0
oogle
2 Observations
fonge k difcuter la validite de cef
pretentions, elles fe font accreditees
avec le terns , & ont acquis .prefque
rauthenticite d'une verite hiitorique.
Moi-meme , feduif par des titres fi
peu contefles , long-tems , je Tavoue^
je les cms insonteftables. Mais le
hafard qui , fans nous , decide fou-
vent de notre etat & des occupa-
tions de notre vie 3 m'ayant aflbcie
"FeuM. aux travaux d'un Savant eftimable^
Pa?"' l e< J ue l setait confacre fpecialement
k l'etude approfondie des deux Ro-
manes , franjaife & proven^ale , je
me vis enfin k portee dapprecier les
Po&es des deux Ungues. Quelle fiit
ma furprife , lorfqu'en parcourant
tcs Troubadours fi vantes , ces Trou-
badours quon nous jeprefentait
comme les Precepteurs de la- Nation y
je ne trouvai chez eux que des
poefies trifles , monotones 3 infipides
& illifibles ; tandis que les Rimeurs
4e nos Provinces feptcntrionales ,
;d by Google
svr les Troubadours. 3
inconnus &r dedaignes , moffraient,
a mon grand etonnement , dcs pro-
ductions pleines dc gaiete , d'e/prit
& d'imagination.
Ce jugement neanmoins contre-
difait fi formellement la fa^on dc
penfer commune fur cecre double
famille de Pontes , qu'il m'infpira k
moi-meme une certaine honte. Je
rougis de me voir em oppofirion
avec Topinion generalev& pendant
long-tfcms fen accufai mon gout.
Cependant, au milieu de cetre
inquietude que m'infpirait une jufte
defiance fur la faibleffe dd mes Iu^
mieres, furvint un evenemcnt dont
je fus temoih , & qui fembk me
confirmer , malgre moi , dans mes
preventions. L'Academicien dont je
v,iens de parler, jaloux de jouirda
long travail qu'il avait entrepris fur
les anciens Poetes proven^aux , &
en meme-tems hors d'etat, par les
annees , d'y mettre la dernierc main >
A 2
#
Digitized by GOOgk
4* Observations
en cherchait quelqu une qui put lc
fupplccr. Dans ce deflein il offrit &
livra fucceflivement fes materiaux a
des Gens-de-Lettres qui , deja connus
avantageufement par d'autres ou-
vrages , donnaient lieu d'efperer
quilspourraient fans peine, & mcme
avec gloire , rediger celui-ci. II y en
eut qui Tentreprirent j & de ce nom-
bre'furent , T Abbe Laugier & Quer-
lon. D'autres., fans ofer fe charger du
fardeau entier , effayerent feulement
de mettrc en vers certaines pieces.
Mais ceux-ci , apres s'etre efforces
en vain de ranimer ces poefies mortes
8c fans vie , furent les premiers a
jetter au feu celles fur lefquelles its
avaient inutilement travailje. Les
autres , tels que Querkm , qui avaient
cntrepris Thiftoire entiere , n'eurent
pas le courage de l'achever. Laugier
feul finit fon travail ; & ce travail
futjuge ne pas meriter Thonneur de
rimpreflion.
* by Google
sur lbs Troubadours. ?
Enfiii un autre homme dc lcttrcs
plus heureux 8c phis habile , en eft
renu k bout. II nous a donne , en
trois volumes , une Hiftoire Utttraire
des Troubadours ; laquelle contient
quelques anecdotes fur la vie de ces
Poetes , avec un choix de leurs
Poefies^
Je ne rappellerai pas le foible fucces
dont fut honor£e cette colledbon ,
roalgre toute Tadreffe qu'avait em-
ployee TEditeur pour corriger au
moios par Tinteret Sc par Tin/trac-
tion, Tennui qu'elle devait infpirer.
Quant k moi le froid accueil que
lui fit le public 3 non-feulement
me confirma dans Topihion defa-
vantageufe que j'en avals con$ue pre-
cedemmenf, mais encore il occa-
fionna chez moi une foule de re-
flexions dont fai depuis publie une
partie , en publiant les Fabliaux,
Mon intention pounant n'etair
gueres alors de les rendre publiques.
A3
;d by Google
6 Observations
Hcureux 8c content dans mon obf-
curite , je me flattais de pouvoir
cultiver en paix les Lettres qui,
toute ma vie , avaient fait mes de-
lices ; mais , dans le lifteme de
bonheur que je m'etais forme k moi*
meme , ma premiere loi avait ete de
ne jamais ecrire.. Je craignais de rifr
quer mon repos & ilia tranquillite
fur ces mers remplies d'ecUeils , cou-
vertes d'ennemis , & fans cefle in-
feftees de pirates. Helas ! on ne*
chappe point & fa deftinee. Un eve-
nement de fociete , dont je ne pre-
voyais gueres les fuites , derangea
tous mes projets & rompit mes
fermens.
Onparlaitun jour, dans une com-
pagnie ou je me trouvais , de nos
fieeles d'ignorancej & Ton enpar-
lait avec ce mepris infultant qu ont
infpire mal-a-propos quelques-uns de
nos Hiftoriens. Je pris la liberte de
dire que, pour le ftile, le gout, la
* by Google
SUR^LBS TROUBADOURS. J
critique, pour tout ce qui ticnt k
Tart , U ne fellait point le chercher
dans les ouvrages de ce terns ; mais
que fi Ton voulait fe contenter d'ef-^
prit & ^imagination , on pourrait,
a une certaine epoque , en trouver
chez nos vieux Poetes ; & j'ajoutai
quil nous refiait deux , en ce genre,
des chofes fort agreables, qui meri-
taicnt d'etre .xonnues. On me de-
manda lapreuve de ce que favan^ais.
Je m'engageai k la fournir > & , trois
ou quatre jours apres , effe&ivement ,
je revins avec quelques-uns de ces
Fabliaux, que j'avais appris a con-
naitre chez M. de Sainte-Palaye. Je
les avais traduits k ma maniere ,
non litteralement , comme >ai dit
depuis , mais avec fidelite neanmoins :
& japportais en meme-tems une
copie des originaux , afin que 3 fi
1'on me faifait un crime d'avoir
elague chez eux quelques defauts ,
on ne m'accusat pas aumoihs d'avoir
A 4
;d by Google
8 Observation*
ajoute a leurs beautes. lis caufcrcnt
d mutant plus de plaifir qu'on s'at-
tendait a eprouver un fentimcnt rout-
4-fait contrairc. La maitrcffe du logis
rrfen demarida quelques autres. J'y
confentis , fans prevoir ou allait m'en-
gager ma complaifancc : mais quand
clle en eut en main un certain nom-
bre , elle exigea de moi que fen pu-
bliafle le recueil •, & en cas de refus ,
me menacja de publier elle-meme
ceux qu'elle pofledait , malgre l'etat
d unperfe&ion ou neceffairement lis
etaient encore.
Cc fut alors qu'il fallut renoncer
a tous mesprojets de pareffe, &
commencer un travail qui , autant
que je. pouvais entrevoir , allait mc
couter plufieurs annees entieres : car
independamment de la recherche ,
du depouillcment , de la confron-
tation des manufcrits , je fentais
tres-bien que , pour rendre utile un
pareil ouvrage , il fallait y joindre
;d by Google
rent les Troubadours. 9
une quantite immenfe de notes fur
les moeurs & fur les ufages du terns,
dont il offrirait k cheque page des
# veftiges. Mais d'un autre cote i
travers cette longue route d'epine$ ,
) entrevoyais un but bien confblant
pour moi ; la gloire de ma patrie.
Oui,j'aime monpays avec tranfport,
il eft vrai •, je me glorifie d'etre Fraii-
gais , & ne Vois fur la terre aucune
Nation chez laquelle je defirerais de
preference que la Nature eut place
mon berceau. Or Touvrage que j'al-
lais entreprendre me paraiftait tenir m
a la gloire de la France. J'allais etre
a portee de prouver que rOccideht*
doit aux Franjais la renaiffance dc
la Poefie , 8c fur-tout celle du genre
N des Contes > & cette feule idee
m'infpirait d'avance un courage in-
fatigable.
Neanmoins monprojet, en com-
menjant , fut d'abord de garder Ta-
nonyme. J'efperais par-U pouvoir
A 5
Digitized by G00gle -
ro Observations
refter meconnu , comme je me Fe-
taispromis & moi-meme. Maispeut-
on fe flatter de celer fonnom,lorf-
qu oblige de fouiller dans toutes les
Bibliotheques , on fe pique enfuite
de temoigner fa reconnaifiance k
ceux dorit la complaifance nous a
procure des fecours ? Des critiques
dailleurs m'ont denonce , en com-
battant mon opinion-, 8c moi-meme
quand j'ai vu Tanonyme des trois
premiers volumes devenu inutile >
fai pris le parti enfin de me nommer
•auffi au cfuatrieme.
Mais quoique tout ceci detruisit
pour jamais le fiftema de vie qui
m'avait rendu heiireux, ce netaic
pourtant pas le feul inconvenient;
que je devais £prouver. En parlant
des productions de nos anciens Ri-
meurs fran$ais , j'avais cru devoir
dire un mot de celle des Trouba-
dours : & k cette occafion je laiffai
cchapper unc partie des reflexions
* by Google
sur les Troubadours, ii
que ceux-ci m'avaient donne lieu
de faire autrefois. Mais qu'eft-il ar-
rive demon imprudence ? J'ai debute
dans la Litterature par une querelle ;
moi qui ■n'eftime rien fur la terre au
prix de la paix & du repos > moi
qui, comme Sofie, voudrais etfe
rami de tout U mondc*
Au refte , il m'etait aife de prevoir
tjue moninfurre&iontrouveraitdes
contradi&eurs s & }e devais my at-
tendre. II -eft des tetes od tout£
. opinion qui entre la premiere , jette
de telles racines , que tout ce qui ,
vient ejifuite la contredire n'efl: rc-
garde d'abord que comme une erreur.
Mais ce a qudi je ne m'att<endais
pas, e'eft la chaleur que certaines^
perfonnes ont mife k mecombattre.
Iitrange effet de Tamour-propre !
parcc que j'ai dit que les Poe'tes
qu'avaient produits autrefois les
Provinces meridionales n'etaient pas
k beaucoup pres auffi , admirablcs
A 6
* by Google
\i Observations
qu'elles lc pretendenti il y acu des
Gens-de-Lettres , d'ailleurs tres-efti-
mables , mais nes dans ces Provinces ,
qui fe font exafperes , comnie fi
, j'euffe attaque leur propre merite.
. De tomes parts fentends crier a la
tolerance fur la Religion ; 8c Ton nc
m'a point pardonne a moi une opi-
nion en Litterature.
Le premier qui ait fonne rallarmc
contre mon aflertion, a ete le Re-
da&eur des Affiches de Province y M. #
TAbbe de F. . , , II a pretendu quelle
infultait .la moitiq des habitans du
• Royaume } &c Von dolt /avoir , m'a-
t-il dit a qu'on ne Us attaque jamais
% Annie impunc'ment. y Lui-m£me , non content
YJ.'zo. ^ e me fWciter des ennemis, a pris
les armes , & m'a combattu. Avec
de l'efprit , du ftile Sc du gout , s'eut
ete pour moi dans toute autre m*-
tiere unadverfaireredoutable;mais
quand il s'agit de prononcer fur les
ouvrages en Rom^ane fran$aife &
;d by Google
sur ins Troubadours. i$
proven^ale , ces qualites ne fuffifent
point. II faut, avant tout*, connaitrc
& avoir etudie les ouvragcs memes,
Sc les deux langues dans lefquels ils
font compofes. Lui-meme au reflc
la fi bien fenti, quil a appcile au
fecours de la caufe commune le P.
P . . . . Oratorien ; qui , comme hif-
torien de Provence^ devait au moins,
s'il entrait dans la li£e , avoir plus
davantage du cote des armes.
Peu de tems apres ont paru dans
lc Mercure trois autres adverfaires ,
M. Mayer, M. M. , & M.
l'Abbe qui fucceffivement
font venus rompre une lance comre
moi. Enfin le P. P . . . . , cet Achille
auquei onreprochait de refter oifif
dansTa tente, tandis que les Grecs
etaient attaques , s'eft arme aufli. IJ
a publie un Voyage litteraire de Pro-
vence y ou fe trouvent inferees cinq
lettres furies anciens Poetes frai^ais
ficproven£aux> Sedans lefqueUesU
Digitized by GOOgk
14 Observations
donnc , comme il etait aife de lc
pre voir , toute la preference aux der-
niers. Quelques Journaliftes ont ap-
plaudi k fes raifons; & je n'en fuis
point furpris. Dans des matieres
comme celle-ci , fur lefquelles peu dc
gens font en ctat de prononcer , parcc
que peu de gens les connaiftent ,
celui qui parle le dernier a toujours
raifon.
On fera moins etonne encore que
M. FAbbe de F . . . . ait .adjugfc la
couronne du triomphe au champion
qu'il avait appelle .dans *la lice. A
en croire l'extrait quil a donne des
cinq lettres , le combat eft decide
pour jamais ; & les Fabliers frarv
$ais , ces mauffades plagiaires des Trou^
badQurs , font remis d Uur vraie
place*
Je ne penfe point auffi honora-
blemenc fur ce vainqueur pretendu,
fen conviens. Scs preuves m'ont
paru meme fi feibles , que ma pre-
;d by Google
sur les Troubadours, ij
miere refolution, enlelifant, avait
cte de ne pas lui repondre ; & je l'ai
aanonce. Cependant , eomme on
ma fait obfervA: que ce filence
pourrait etre repute la rufe adroite
d un ennemi vaincu , je dois au
public , je me dois k moi-meme , dc
motiver mon opinion.
Tels font les cinq adverfaires dont
les critiques font parvenues k ma
connaiflance. Ellds m'ont autant
flatte que les eloges dont m'ont ho-
nore quelques-uns d'entr'eux ,.& je
vais le prduver par mon exa&itude
a leur repondre.
Ma diiTertation, pfljfque c'eft ainfi
qu'on Ta nominee , avait pour but
de prouver que le$ Troubadours ne
meritent pas it bcaucoup pres la re-
nommee dontils jouiffent; &qu'a\i
contraire les Trouveurs qui ont ecrit*
en Romane fran^aife , n'ont pas ob-
tenir toute cellc qu ils meritenu
Pour la feconde partie dc ce process
;d by Google
i6 , Observations
c'etair amoi de la prouver; &c'eft
cc que j'ai tache d£ faire , en pu-
bliant les Fabliaux. Quant a la pre-
miere , elle etait toute decidee : ce
qu'on nous a donne des Poefies pro-
ven^alcs avait ete regarde unanime-
mentcomme tres-mediocre ; fur cela
il n'y a qu'une voix , & je nc crains
pas d'etre contredit.
Mes critiques ont tres-bien fenti
tout Tavantage que j'avais fureux
dc ce cote-la. IJs ont rejette fur
l'Editeur Tinfipidite de ces Poe-
fies ' t quoique ccljii-ci encore une
fois ait employe beaucoup d'art
pour y repar^fe quelque .interet.
«*Vous deitianderez pourquoi elles
» font ennuyeufes , 8c en general
» infupportables 4 la le&ure, dit
'P. 44j, » TAuteur du Voyage Litte'raire y ?
» C*eft qu'elles n'ont pu confer rer
j> dandle franjais les beautes qui
9> font proprcs & la langue proven-
P $ale $ c'efl que l'amour qui fur
* by Google
sur les Troubadours. 17
» prefquc le fcul fujet que les Trou-
" badourstraiterentdansleurschan-
» fons , y repand unc uniformite fa-
» tiguante. On voit fouvent dans la
» tradu&ion fran^aife les memes
» images & les memes tours, quoi-
» que dans Toriginal ils'foient va-
» vies, »
I/Auteuri pour prouvcr qu'elles
ne font pas aujfi meprifabUs qu'oh veut
le faire entendre , en cite lui-meme
trois morceaux differens} & je re-
marquerai ici que de routes les per-
fonnes qui m'ont critique , il eft le
feul qui ait ofe citer. On ne m'ac-
cufera point de partialite en copiant
dapres lui coux qu il rapporte. Or
voici ce quil donne commc Texem-
pie (Tun trait fin d&icat. K C'eft le s p. 43S .
fouhait dun Amant en parlant de fa
Maitreffe. « Je voudrais qu'elle ac- '
» cordar amour 8c merci •> puif-
» quelle accorde en fa perfonne des
w chofes bien plus oppofees > qui
* by Google
18 Observations
» font la blancheur & l'incarnat de
n fon tcint. ^
Telles font les beautes que le ven^
geur des Troubadours trouve 4 ad-
mirer chez ces Poetes. Pour moi je
puis me tromper ; mais de bonne
foi je doute fort que celles-ci ajou-
tent beaucoup a Tidee qu'on a d'eux;
M. TAbbe de F . . . . s'en prend
auffi k leur tradu&eur du peu de
fucces quont obtenu leurs Poefies.
Mais non content de les juftifier aux
depens de celui-ci , il pretend quon
ne peut apprecier paf fakement leur
merite fur ce qui nous en eil par-
venu ' y « que nous ne jouiffons pas
» de toutes leurs produdttons; qu'il
» en exifle encore d'autres dans les
» Archives & 4es Bibliotheques des
»» Provinces meridionales , iRome
« meme , dans la Bibliotheque du
»> Vatican , & particulierement &
»* Naples -, enfin que les. Curieux
•» pourraient faire la-deffus des re*
;d by Google
SUR LE8 TnOUBADOV RS. If
•* cherches qui ne feraient pas in-
« frudiieufes. »
Et moi je confeilk aux Curieux
qui voudraient fe dcvouer k ces
fouilles ingrates , de ne point lcs en-
rreprendre s'ils'font jaloux d'em-
ployer utilement & leur terns &
leurs peines. Quoique ks manufcrits
de Pocfies provencales foientrares,
cependant ceux qui nous font par-
venus font entiers , & non mutiles.
II y a peu d'efperance d'en trouver
de ncuveaux dans les Bibliotheques.
dltalie. M. de Sainte-Palaye lcs a
fouillees dans un voyage qu il en-
treprit a deffein , lorfqu'il eut forme
le projet de faifeconnaitre ces Pontes
au public. II y a fait copier ks prin-
cipaux manufcrits qu'elks conte-
naient : deja il avait des copies de
ceux que poflede chez nous la Bi-
bliotheque du Roi. La redaction de
tous ces differens materiaux a forme
cnfin quinze volumes in-folio , qui
* by Google
ao Observations
contiennent quatrc mille pieces. Ceft
d'apres ce recueil , la colle&ion la
plus complette fans conrredit qui
cxifte en ce genre, qua etepubliee
rhifloire des Troubadours. Quel
efpoir apres cela de faire pour leur
gloire quelque decouvejte nouveile !
mais en rout cas , fi quelqu'un a le
courage d'entreprendre ce travail,
qu'il fache que ce ne fcra point affez
de recouvrer quelque piece dont le
fivant 8c laborieux Academicien
n'aura p6int daigne parler , ou meme
qui lui aura ete inconnue •, 11 faudra
encore , pour meriter d'etre citces ,
que ces pieces foient intereflantes &
propres i faire honneur au genie de
ceux qui les compofcrcnt.
Enfin nous en poffedons au moins
quatre mille. Ceft de ce nombre ,
oommc je Tai dit k l'inftant, qu'eft
compofee la collection de M. de
Sainte-Palaye > e'eft la fleur 8c Telitc
de ce$ quatre mille pieces qua
;d by Google
SUR LES TROUBADOV RS. II
choifies FEditeur pour former le
recueil qu-il a publie. Or Ton con-
viendra qu'il y a li de quoi afleoir
i un jugement; & que par consequent
on peut fans fcrupule apres cela
prononcer fur le- talent* des Trou-
badours.
Envain Ton m'obje&era que depuis
cinq ou fix fiecles , le terns a du cer-
tainement detruire plufieurs de leurs
productions. Je conviendrai de cette
verfce fans doute > mais je deman-
derai A mon tour fi le terns a dft
refpedrer davantage celles de nos
Trouveurs. Cependant comment eft-
il arrive qu'il nous eft parvenu de
ceux-ci d'aflez jolies chofcs , & qu il
ne refte gueres des autrcs que de
trifles Sirventes (*) , & des chanfons
(*) Les Sirventes font des pieces oi;di-
tuircment fatiriques. Comme elles corn-
potent en grande partie le recueil des
Ppcues proven^ ales , j'ai temoigne* quel-
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11 Oese&vations
d'amour plus triites encore. Quoi I
le tems fe ferait plu a exercer uni-
que furprifc de voir le genie des Trou-
badours d enclin a la Satire. Des critiques
m'ont reproch£ cette remarquej m'accu-*
fant d'infulter aux Provinces qui fiirent
la patrie de. ces Poetes. Qu'ils faflent done
le meme reproche aux Auteurs de VHif*
toire Litteraire de la France , lefquels
ont annoncd le meme fait que moi , &
* T. yi , donne* lieu a la meme reflexion. % cc Tout
F' S3* » a la fin du xe fiecle , difent ces Hifto-
» riens , il commenca a paraitre en France
» quelques POetes' Satiriqucs , fur - tout
» parrrii les Troubadours- : mais ils y fu-
» rent ttes-rares ailleurs - y puiCque lc la-
» borieux & favant M. Lebeuf n'a pu
» avec toutes fes recherches en deterrer
» qu'un feul. Ce gout pour le genie Sa-
» tirique fe communiqua au fiecle fuivant.
« Jufqu'ici ( x*i e fiecle "} , ajoutent les
» m£mes Ecrivains , le genre Satirique
t » avait 6t& afTez rare en France* Peut-etre
* T rn * * e 2 * 1 en vint ~^ ^ es P°* tes provenfoux
p. 13$. » oui enfaifaient beaucoup d'ufage. v »
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SVR LES TrO VBADOURS. 2$
quement fes ravages fur tout ce qu'ils
avaient de meilleur ! Quoi ! les Co-
piftes , qui dans le terns formerent
des collections -, fe feraient tous
accordes k n'inferer dans kurs
manufcrits que les pieces les plus
medicares ! en verite , ce double
malheur eft difficile k croire > il faut
Tavouer.
Dailfeurs ncJ fait-on pas que les
Troubadours ont eU «» differens
terns le bonheur de trouver, rant
en Italie qu en France , des Hiftoriens
qui nous ont tranfmis non~feulement
des anecdotes Ait leur vie particu-
liere, mais encore plufieurs de letffs
Poefies. Cet avantage a manque aux
Poetes de nos Provinces feptentrio-
nales. Les ouvrages de ceux-ci, ainfi
que leurs noms , font reftes dans le
plus profond oubli , jufqu'a Fauchet ,
qui le premier enfin a reveille leur
memoire ; mais qui affurement n'a
pas reveille le defir dc les cpnnaJfcc.
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24 Observations
L'Auteur du Voyage LitUraire me
propofe de traduire les chanfons
amoureufes dc nos TroUveurs , pour
qu'on puiffe lcs comparer a celles
des Troubadours. C'eft Ik un defi.
que je n'ai garde daccepter. J'ai
deja declare ce que jc penfais de ces
chanfons , qui , i dke lc vrai , ne
valent pas mieux que celles de leurs
rivaux. Les fcules en cc gebre qui
mcritent d'etre citees font quelques
Romances , & quelques PaftourtUes.
J'ai fait connaitre les Romances au
troifieme volume des Fabliaux. Pour
les PaftourelUs, quoique le genre
foit monotone, ainfi que jel'ai ob-
ferve , j'en donnerai quelques-i^nes ,
fi on Texige , afin qu'on puifTe les
comparer aux Paftourelles proven-
<plc?y.8c de peur quonne me foup-
jorme de les embellir , jy joindrai
Voriginal.
' Mais une preuve que les Trouba-
dours avaicnt quelque meritc. , con-
tinue
* by Google
$V* les Troubadours, if
tinue l'Auteur du Fay age Littiraire^
c'eft qulls ont joui daps leur terns
« dune reputation etonnante. On
» les rccherchait non-feulement en
» Italic , mais encore en France , en
» Angleterre , en Efpagne. »' % P. 412.
La Romane proven^ale ayant beau*
coup danalogie avec lalanguc Ita- •
Benne, il n'eft pas etonnant que
Htalie , dans un tems oti elle n'avait
pas encore de Poetes , ait accueilli,
ait honore 8c lu raeme avec pkifir
gcux que produifaient nos Provinces
meridionales. Leur langue &c leurs
poefies durent fans doute , par la
ffieme raifon y fe repandre dans T Ar-
ragonnais &c dans la Caralogne,
lorfquclcs Rois d'Arragon , Comtcs
de Barcelone , devinrcnt, par un
marine , Comtes de Provence. Auffi *
voyons-nous des Icaliens-, des Arra-
gonnais Sc dfes Catalaus , rimer en
ptovengal , & fe placer fur la lifte
des Troubadours.
Tome II. B
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%6 Observations
11 n'en fut pas de meme de TAn-
gleterre , quoique les Rois anglais
euflent , par un manage femblable ,
acquis aufli la Gtiienne. Peut-etre
apres tout eft-il probable que parmi
les Gafcons , qui de terns en tems
paflaient k Londfcs , foit pour sy
fixer , foit pour faire leur cour au
Monarque , il y en eut quelques-uns
qui par fafte , ou par gout, s'y firent
accompagner de Menetrier$ & . de
Chantetfrs proven^als (*). Mais ce
n'eft pas la ce dont il s'agit. La
(*) J'ai remarque* ailleurs qu'ancienne-
merit on appellait Provencaux tous«les ha-
bitans de nos Provinces au midi de la
Loire , qui parlaieht la langue* proven-
cale > mais comme ce mot provencaux eft
confaci'4 aujourd'hui aux habitans de la
fcroyence propremeht dite , & que par
confcquent il peut former amphibologie ,
je me (ervirai toujour* de celui de Pro-
venpals , quand je voudrai deiigner les
compatriotes des Troubadours , foit con-
temporains, foit modernes.
;d by Google
sur les Troubadours. 17
queftion importance eft de favoir fi
ces Muficiens,.& les Poefies qu'ils
chantaient , fiirent, felon Texpreffion
du Voyage Liit€raire y recherches en
Angleterre , c'eft-d-dire * par la Nation
anglaife. VbiU ce que je voudrais
voir prouve bien clairemenc , & ce
que franchcment je crois difficile £
prouver. Car enfin q'etait la langue
fran^aife # qu on parlait en Angle-
terre depuis la conquete de Guil-
Iaume. Or pour les peuples qui par-
laient cette langue , le pro venial ^rait
inintelligible , comme elle etait inin-
telligible elle-iroeme pour ceux qui
parlaient le proven^al. Ceft-li. une
verite incontcftable : j'ai cite , pour
la prouver , Tautorite meme du
fevant Hiftorien de Languedoc ,
Dom Vaiffette , qui dit que la Ro-
manefra^aifefutjufqu'au xv«fiecle
ohfolumcnt ttrangtre dans nos Pro-
vinces meridionales , & quelle y
(tait entendue de tris-peu de per formes %
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1$ Observations
*T.iv 9 mime parmi celles du premier rang**
p- 502. Mais il fcmble que mes adverfaires
affe&entfans ceffc d ? oublier cc fair.
Cc'n'eft pas- rout. Si lcs Poefics
proven^ales avaicnt ete en Angle-
terre auffi repandues , auffi eftimees
qu'on le pretend , tant d'eclat n'eut-
il pas infpire k qttelque rimeur An-
glais le defir de fe diftinguer auffi
dans cette langue , devenu$ Tidiome
des Poctes du midi de TEurope?
Rien de plus naturel affurement, &
c'eflce qui arriva en Efpagne &en
Italic Ccpendantconfultezlliiftoire
des Troubadours ; & vous verrez
que parmi les cent quarante dont
la patric eft connue , il n'en exilic
- pas un feul Anglais. Si Tony compte
le Roi Richard, e'eft une erreur :
je lai prouvi dans la Preface du
premier Volume.'
Ce quon vient de lire concernAnt
F Angleterre doit s'appliquer egale-
nient a la France, e'eft-a-dire, aux
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suit les Troubadours* 29
Provinces qui parlaient la Romane
fran$aife. Les Troubadours , loin
dy etrc recherch^ , n'y furent pas
plus connus que fur les bords de la *
Tamife. lis ne pouvaient l'ctre da-
vantage en effet ; & Ton ne trouve
pas plus de noms fran^ais fur leur
lifte quon y trouve 4e noms anglais.
Encore une fois, les deux moities
dulloyaurae differaient de langage.
Quoiqu'il put y avoir dans Tune ou
dans Tautre certains individus qui
fuffcnt les deux idiomes , elles ne
s'entendaient pas. Moi-meme qui
fais paffablement bien la Romane
franjaife , j'ai beaucoup de peine i
comprendrc la proven^ale ; Sc fans
les fecours que m'ont procures les
commentaires de M, de Sainte-
Palaye , jamais , je Tavouc , je ne
fcrais parvenu k les lire* Enfin Ton
ne trouvera pas chez les Trouba-
dours un feul paffage oOl ilfoit men-
tion des Trouveurs. On n en trou-
5.3
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1
30 O B S E RVAT TON S
vera pas un fenl chez nos Trouveurs
ou il foit parle des Troubadours : au
moins jc protefte de bonne foi que
► jc nc m'en rappclle pas un > & je ne
crams pas de le dire , puifque , fi je
me trompe , jc fuis sur d'etre con-
tredit par mes adverfaires:
Que devient maintenant cette re-
putation itonnanu ?--, dont on veut
gratuitement qu aient joui les Ri~
meurs proven^als. Malgre tout leur
eclat pretendu, les voili inconnus
£.la plus belle moitie de la France ,
£ celle qu'habitaient nos Roi$! Mais
quand meme tout ce qu'on leur at-
tribue de renommee aurait exifte en
effet , que prouverait encore cet
argument? Rien. II nc s'agit point
de favoir s'ils ont ete loues , mais
s'ils ont merite de Tetre. Quel ou-
vrage *a jamais excite autant d'en-
thoufiafme que notre Raman de la
Rofe} Regu avec tranfport des fa
naiffance > lu , admire , prone d'age
* by Google
SUR LES TROUBADOURS. 31
cn age , il ne nous eft parvenu , s'il
eft permis de parler ainfi , qu au
milieu d'une efcortc pompeufe d'e-
loges & de panegyriqucs , qui au-
jourd'hui encore en impofent k la
plupart des Gens-de-Lettres. Cepen*
dant enrrcprenez de le lire , fi vous
f ofez y cherchez-y ce qui a pu oo
cafionner ce refpe& , qu'on lui porte
toujours fans trop favoir pourquoi :
& vous conviendrez que jamais peut-
etre ne parut en France production
plus ennuyeufe 3c plus miferablej
que c'eft ce mauvais pofc'me, qui , en
introduifant chez nous les infipides
perfonnages de bel-accueil , de bon
vouloir , de male-boijche, &autres
pareils, agate le gout des Fran^ais*
ou plut6t a introduit chez cux , pour
plufieurs fieclcs , le mauvais gout *
enfin qui Texception de cinq oufix
vers qu'on a retenus , il n a abfolu*
mcnt d'autre merite /pour plaire , que
I'allegorie orduriejte qu'il preferop*
;d by Google
|i Observations
Cefl: ainfi que doivent etre ap«
precies les eloges donnes aux Trou-
badours. Mais au refte, ccoutons
fur ce point leur Editeur : un pareil
temoignage nc peut etre fufpe&;&
jamais on nc parlera tnieux en ma
feveur.
T. // , « De tout terns il y a eu de fauffes
*• 4-79- „ reputations , fondees fur quelques
» jugemcns particulicrs > dont Tau-
» torite prevaut fans examen; jut
*> qua ce qu'enfin la critiquyfifcute,
»> la verite' perce , & le fantome du
» prejuge s'evanouit. Telle a ete la
" reputation d'Arnaud Daniel. Nul
» Troubadour n'a regu plus d'eloges
» des premiers auteurs Italjens. Le
« l>aiite le celebreplufieurs fqis danx
» foh traite de Teloquence vulgaire*
» Apres avoir marque les fins prin-
» cipales de la Poefie , Vhonnete ,
at * utile & Vagrfabk, il ajoute quo
v lagreable fut le partage (FArnaud >
« & qu'U exQella. particuHerement
;d by Google
SUJt LES T&OVBADOVRS. 33
» i chanter i'amour. II dit encore
» a la fin du vingt-fixieme chant du
» Purgatoire , que ce Poete maniait
» fuperieuremenr fa langUe > que
» fes vers tendres & fa profe en
» Roman furpaffent tout ce qui
» avait paru av&nt lui dans le meme
» genre.
» Petrarque le nomme & la tetc
» des PoStes proven^aux* les plus
» celebres , en Tappellant le grand
» Maitre d y amour A\ la meme imite
» en phifieurs chofes. »
» De pareilles autorites ontparu
» comme infoillibles aux ItaUens des
» fiecles fuivans , occupes du meme
» fgjet. lis ont fait d'Arnaud , le
» Prince du Parnaffe provengal.
» Cependant , & Texamen de fes
» pieces , on nc voit point ce que
» Dante &c Petrarque pouvaient y
» trpuver de fi merveiHeux. Rien
» na peut-etrc plus contribue a fe*
» fucces , en <les terns oA Ton ayait
;d by Google
34 Observations
~» fi peu dc gout , qu'un nouveau
« genre de compofition, nomme
» Seftine , dont il fut l'inventeur , &
» dont le merite confiftait dans la
» difficulte de certaines combinai-
» fons de vers y repetes dans un
» certain ordre. Ajoutes 4 cela une
" recherche curieufe de rimes, qu'il
» appellait caraf rimas 9 rimes riches
» ou difficiles. Cetalt de quoi fe
» faire admirer , finon des deux
» Poetes Italiens , au moins d'un
» public ignorant , toujours pret k
» s'extafier fur des inepties. »
D'apres ces reflexions , didees par
le gout & Timpartialite , on peut ap-
precier maintenant de cjuel poids
peuvent etre tous ces eloges donnes
aUx Troubadours par les Italiens,
« Les Italiens ne parlent que des
» Provengaux , dit M, TAbbe dc
» F ♦ • • • , ils avouent les obligations
* qu'ils ont aux Proven^aux •, ils
>* imitcnt les fujet* traites par les
* by Google
sur les Troubadours, n
» Provengaux -, en un mot , il eft
« toujours queftion chez eux des
« Proven$aux , & uniqucment des
» Provenfaux. »
Javoue que j ignore quels f6nt ces
fujets pris par les ltaliens chez les
Troubadours *, & j'eufie defire que
M. FAbbe de F . . . . eut bien voulu
me les indiquer. Mais &u refte ,
comme je ne connais que mediocrc-
ment la litteratuie italienne , & que
je Ten crois beaucoup mieux inftruit
que moi , je m'en rapporte k lui
fur cet avantage de Ccs compatriotes.
lis en one un autre, bien plus
glorieux encore , dont je les ai fe-
licites moi-meme ailleurs* celui da-
voir infpire & Htalie le gout de la
Poefie en langue vulgaire , & de lui
avoir donne en ce genre les premiers
modeles. Quoiquelesdifciplesaiftit
laiffe bientot leurs maitres beaucoup
en arriere ; dependant il eft flatteut
pour ceux-ci de compter de pareils.
;d by Google
$6 O nS E R VAT ION 9
eleves parmi leurs titres dc gloire. U
n'eft done pas etonnant que d'apres
cc que Tkalie dcyait aux Provei^als ,
quelques-uns dc fes Ecrivains aient,
par reconnaiflance , vante quelques-
uns des leurs.
Cependant depuis la publication
des Fabliaux , il a paru un ouvrage
dans lequel TAiiteur , M. Bar toli ,
Antiquaire du Roi de Sardaigne ,
att^que les pretentions quont a ce
fiijet nos Provinces meridionale$.
Loin que leurs Troubadours aient
ete les premiers a faire renaitre ai*-
deli des Alpes lc gout des Lettres ,
il avance au contraire que les etudes
y furent anterieures au fiecle ou
peux-ci commenccrent a rimer. U
pretend qu'avant eux l'ltalie avait
deja des Ecrivains en Hi/loire , en
Aftronomie, en Jurifprudence, en
Medecine &c. > qu'au xn e fiecle on
y faifait des vers italicns , comme il
paraitpar uncinferiptiqa de ce terns ;
quau
;d by Google
sun les TrovbadOvhs. if
<jii'au reile , pour tourner vers la
Poefie les ralens de cecte Nation, il
lui fuffifait des Auteurs grecs & latins
doHt elle avait conferve , & done
clle poffedait les manufcrits j enfin
que fi le Dante & Petrarque ont cite
avec eloge quelques-uns des Trou-
badours y il s'en faut de beaucoup
que le refte de Tltalie ait partage fur
ce point leur enthoufiafmc ; & qua-
pres tout, Petrarque lui-meme efti-
m||t en general fort peu ces Poetes ,
puifqu il nous les reprefente avec un
langageaujji Strange que leur exterieur.
Di portamenti e di volgari (Irani. * ^m • r
* ** 2. rionjo
Lamaniere dont M.Bartoli difcute d ' amore »
ces reflexions diverfes , prouve un cap '
hommc tres-inftruit en Litterature y
8c dans la Litterature italienne fur-
tout : mars elles ne font pas les feulcs
qu il ait faites k ce fujet. II en an-
nonce d'autres encore qui ferviront
de fuite aux premieres,
Cefl: aux Provinces qu'intereffent
Tome IL £
Digitized by G00gk
38 O B S E R V A T10 tf$
ces nouvclles attaques , qti il appar-
tient de les rcpouffer. Pour moi ,
qui ai cru pouvoir difputer & ces
Rimeurs tin meritc qu ils n ont pas,
mais qui me fais un devoir de re-
connaitre celui quils ont reellcment ,
favoueavec impartiality que fiparmi
les argumens du favant Antiquaire
II en eft beaucoup qui m'ont para
concluans ; il en eft aufli qui ne m'chit
point convaincu , & fur lefquels
fattens les preuves nbuvelles qp'U
promet. Ce n'eft point la Medecine „
l'Aftronomie ni la Jurifprudence que
les Proven$als fe glorifient d avoir
tranfplante au-deU des Alpes , mais
le gout de la Poefie & des Lettres.
Or voil* ce que M. Bartoli ne me
parait pas avoir detruit encore. II
appuiefon opinion fur une inferip-
tion en vers : mais une infeription
n eft point de la Poefie ; & tant quunc
Nation ne pourra me citcr que de
pareils monumens, ellc naura pas
;d by Google
SUA LES T ROVBADOUKS. $?
droit, je penfe > de fe vanter d'avoir
cu des Poetes. Pour lui accorder
cette gloire , je veux des recueils ,
des pieces jiombreufes & d'une cer-
taine etendue ; en un mot, un corps
d'Auteursdont les produ&ions aienc
ete connues , lues ou chantees pa*
kurs contemporains. Telle eft la
gloire des Provencals avant le xin*
fiecle y & jufqu& ce que l'ltalie
m'offre des ti tres pareils , je me croirai
fbjjde a croire qu'ils ont ete fes mai-»
rres. A-t-elle unPoete enlangue vul-
gaire quifoit anterieur a Tan ni2>
Alors mourut le premier des Trou-
badours. En a-t-elle qui aient verfifie
en italien avant le Lombard MalaP
pina? Celui-cirima en pro venial fur
la fin du xn e fiecle. Les autres Ul^
tramontains , qui a Texemple de
Malafpina, choifirentpourcompofer
la langue de nos memes Poetes , ne
prouvent-ils pas le cas qu'elle faifait
de leurs Poefies } Enfin n'eft-ce pas
C z
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\fy Observations
a nos Rimeurs meridionaux que de
Con propre aveu elle doit les Stftinest
Ici neanmoins fe prefente une re-
flexion , qui malheureufement n'eft
point a Thonneur des derniers. II
yaeu, comme je viens de le dire >
des Italiens qui ont rime en pro
venial. Mais par quelle fatalite , ces
etrangers , que nos Provinces trou-
badourefques fe font une gloire d'inf-
crire fur leur lifte , font-ils done tous
des homines au-deflbus du mediocre ,
dont pas un feul ne nous a laifle un
nom connu en litterature } Comment
eft-il arrive que les premiers Ecri-
vains illuftres dont lltalie puiffe fe
vanter , Ubaldini , Guitton d' Arezzo,
Cino de Piftoie , le Dante , Bocacc ,
Petrarque , Sec. aient tous egale-
ment, commed'uncoiiimun accord;
renonce k la Romane proven^ale ,
pour ecrire dans leur propre idiom e ?
Pourquoi enfin des ce moment-li ,
les Troubadours , malgre la repli-
ed by Google
sun les Troubadours. +t
tation ttowxante dont ils jouiiTaient ,
font-ils tombes tout-a-coup dans un
tel mepris que depuis on ne trouvc
leurs Poefies citees chez aucun Ecri-
vain de merite 3 ou qu'elles ne le font
que comme matiere de critique 8c
d'erudition ?
La verite de ce fait a ete rcconnue
par leur Editeur. De bonne foi fur
le degre precis d'eftime qu'ondoit
a leurs talens , il ne fe laiffe point
aveugler par Tamour de la patrie j
Sc ceil toujours avec confiance que
je cite fon temoignage , parce qu'or-
dinairement ce temoignage eft celui
d'un homme impartial. « A la fin
>> du xm e fiecle , s dit-il , le Dante » Dtfit
» donna Teflbr du genie a la langue P riL P?
» Iralienne. Des ce moment, on la
» vit fort fuperieure au Provencal.
» Petrarque parut j lamour Tinfpira >
»> & fous le ciel meme de Provence ,
» il fit entendre des fons fl melo-
» dieux » des vers fi elegans •, en utk
* by Google
%t Observations
» mot , il eclipfa tellemeat les Trou-
w badours , que leur nom , leur
» langage & leurs poefies difparu-
« rcntprefque entierement aux yeux
?* de TEurope. »
Je prie mes Le&curs d'obferver
que ce Petrarque , ce Dante , qui
aneantirent pour jamais les poefies
des Troubadours , font ces memes
If aliens cependant qui les ont loues,
ceux-la memes qui nous ont tranfmis
leurs noms , & fans lefquels ceux-ci
feraient aujourd'hui entierement in-
connus. Quoij. malgre de fi hono-
rables eloges , malgre tant de merite
& une reputation fi ttonnanu, la
memoire des Troubadours a peri
tout-a-coup 1 Ce phenomene eft rare
en litterature.
Qnant a lobje&ion qu'onme fait,
que les Italiens n ont point parle de
nos Rimeurs fran^ais; quand memc
clle ferait vraie , elle ne prouverait
lien encore. Les Italiens nentendaiit
;d by Google
SUK LES TROUBADOURS* 4$
point notrc Romane , il etait naturel
qu'ils ne connuflent point les ou-
vragcs compofes dans cette langue.
Nos Trouvcurs n'ont point fait
mention de leurs Poetes non plus;
fcra-ce neanmoins un demerite pour
ceux-ci, 8c une preuve contre leur
reputation } Non certainement.
Mais , loin que Tltalie ait parle
wiiquement des Troubadours , commc
Font avance M. TAbbe de F . . . . &
FAuteur du Voyage Litu'raire , j'a-
yance a mon tour, qu'elle a connu
& cite nos Rimeurs. Ouvrez ce
Poeme bifarre que le Dante a in-
titule Comedie \ vous trouverez qu il
y parle de notre Roman de Lancelot,
& qu'il le regardait rneme commc
une le&ure amufante.
Noi leggiavam un giorno , per diletto ;
Di Lancelocto , com' amor lo ftrinfe. * « Enfcr i
Ailleurs il fait mention de Char- ch ' *'
lemagne , de Rolland fi celebre chez
nos Roaianciers \ 8c de cette derouce % Ib - ch *
c 4 |l '
;d by Google
44 OBSERrAT10N$
de Roncevaux , ou le Paladin mou-
rant , fonna du cor d'une maniere
fi effrayant;e. Dans fon traire de vul-
gari eloquemid (*) , il nomme par
trois fois notre chanfonnier le Roi
Thibaut, des chanfons duquel il
cite a chaque fois un premier vers.
On peut dire la meme chofe dc
Petrarque. Dans fon triompke Ma-
inour , il celebre les Romans de Lan-
celot , celui de Triflan > & ceux de
nos Chevaliers errans > dont les hif*
toires, dit-il, font remplies de men-
fonges.
Ecco quci , che lc carte empion di fogni ,
Lancilotio, Triftano , & gli altri erranti,
(*) Triflino a & apres lui quelques autre*
Italiens , ont paru dourer que ce traite fqt
du Dante. Leur opinion n'a plus de partifans
aujourd'hui. Mais quand meme le de vul-
gari eloquentid ferait d'une autre main con-
temporaine, ce ferait au moius un ouvragc
d'une antiquity reconnue ; & a ce titre , il
prouverajt egaiemcnt eft que j'ai avanc^.
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aun les Troubadours. +f
Mais dailieurs , quand nous nau-
rions pas pour nous les temoignages,
n'avons-nous pas les faits qui depo-
fent en notre faveur ? Les Romans
que y pendant deux ou trois fiecles ,
publierent les Italicns , ne furent-ils
pas des imitations > des traductions
ou des fupplemens des notres?
Buovo d'Antona , il Danefe Uggierri %
la morte del Danefe , lo iwiamor amenta
di Milone & di Berta , le prime imprefe
di Orlando , Orlando innamoraio y Or-
lando furio/b , Orlando handito , la rotta
di Roncivalle> morte de Palatini y il
Mambriano , Rinaldo ^Rinaldo furiofo ,
Cuidon Selvaggio > Guerin mefchino %
Giron cortefe , Lancelotto i Ginevra §
&c. &c. &c. Qui ne reconnait li les
aventures & les Heros de nos Roman*
ciers 1 Et les Auteurs eux-memcs, pour
qu'on ne s'y meprenne pas , n'affec-
tent-ils point fans ceffe de citer, pour
garantdeleurs fidions^notrearcheve-
queTurpin. Aurefte,dans toute cctte
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46 Observations
lifte y je n'ai cite que des Romans
italiens en vers. Que ferait-ce fi jc
rapportais tous ceux qui font en.
profe ! Une page nc fiiffirait pas.
Le Dante lui-meme , dans fon de
vulgari eloquentid^ziAi en convenir.
Au chapitre ou il traite des diffe'rens
ididmes qu'on parlalt de fon terns a
droite & a gauche de Vdpennin , il dit
fur lalangue de nos Provinces > qu'il
appelle langued'oil, qu un des mc'ritcs
dont ellefe vante , & dont cite eft rede-
vable a fa facilite' & a fon aff/e/nent t
x'eftde pouvoir revendiquer tout ce qui
a ete redige , ou invente en profe vul-
gaire ; tels que le/ livres fur les beaux
/hits des Troy ens & des Ro mains % fur
ceux du Roi Anus , & beaucoup dautres
hiftoires.
Enfin n eft-ce pas avec nos Fa-
bliaux que Bocace a procure a fa
patrie, & qu'il s'eft procure a lui-
meme , aflez facilement , un hon-
jieur immortel > Quoiqu'il pafle non-
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stra les Trovbadovhs. 47
Xeulement pour lmventeur de fes
Contes, mais encore pour le pre-
Ifcier qui ait renouvelle dans TOc-
cident cc genre agreable 5 il doit k
nos Fabliers un grand nombrc de
fes fujets 8c le genre lui-meme. Pof-
terieur k eux d'un fiecle environ > il
Jes a copies : le recueil que je publie
en oiFrira la preuve ; 8c cette preuve
Je defie de la detruire.
Ilrefultede tout ceci que fi Tltalie
doit aux Troubadours le gout des
vers & la Poefie lyrique , elle doit
k nos Provinces feptentrionales les
Contes 8c les Romans. Ce font-li
des obligations reelles , des obliga-
tions incontefiables quelle ne peut
defavouer : mais les Provencals les
•xevendiqueront fur nous \ car ce
n'eft .point feulement k lltalie qu'ils
fe Vantent d'avoir donne les pre-
mieres le£ons de Litterature 8c de
Poefie , e'efl: k la France , e'eft k
l'Europe entiere.
C6
* by Google
48 Observations
Si on les en croic , nos Provinces
leur doivent jufqu a lcur langue. M.
Mayer, dansle titredefadiffertation
contre moi , qualifie la Romane pro-
vencjale , mere dt la Romane franpai/e j
& il r^pete cette expreffion dans lc
cours de fon ecrit. Comme M. Mayer
ne donne aucunc preuve pour la juf-
tifier , fignore ce qu'il entend par-
la. Une langue doit etre repuree mere
d'une autre , quand elle exifte avant
clle chez un peuple quelconque , &
que celle-ci lui fuccede. Ainfi , par
exemple , dapres cette definition >
jiotre frangais moderne doit fa naif-
farice aTancienne Romane frangaifc.
Mais raremenc l'Hiftoire offre de
ces filiations qui foient pures. D'or-
dinaire , une autre langue etrangere
vient interrompre , s'il eft permis de
parler ainfi , Tingenuite de ces ge-
nerations ; & c'eft ce qui eft arrive
£ la nocre.
Pes que ks Romains ont foumfe
;d by Google
sur les Troubadours* 45J
la Gaule , ils y aneantiflent les dif-
ferens idiomes qu ony parlait , pour
y fubftituer le leur. Celui-ci dominc
feul pendant quelques fiecles. Mais
enfin divers peuples barbares vien-
nent s'etablir par droit de conquete ,
les uns au midi , les autres au nord
de la Loire, Alors la langue fe cor-
rompt par le melange de la leur, &
forme dans les deux moities du
Royaume , deux langues nouvelles i
qui ehacune de leur cote fe cor-
rompant elle»-memes de plus en
plus par les annees , deviennent ,
Fune la Romane frangaife , Tautre
la Romane proven$ale. J'ai parte
plus au long de cette double ori-
ginc dans la Preface du premier vo-
lume •, & ce font -la de ces faits
connus dont on ne peut , je penfe ,
contefter la verite. Le peu que je
viens de repeter fur cette matiere
fuffirapour detruire Taffertion de M*
Mayer. La Romane proven$ale ncft^
;d by Google
$0 O B S E*V AT I ON S
4c na pu etre , comme on vient dc
lc voir , mere de la Romane fran-
<jaife , non plus que la franjaife ,
mere de la provenjale. Ce font deux
faeurs qui, pour employer toujours
k meme fa$on dc parlcr, ayant eu
une meme mere, mais un pere dif-
ferent , conferyerent pendant lcur
cnfance quelques traits d'une origine
commune ; mais dont la.'reflem-
blance s'altera enfin tellement avec
Ms annees, quau tems dont nous
parlon* il etait difgcile de recon-*
naitreenelles une meme naiffance.
« Les Francs , qui netaient que
» des barbares, ajoute M. Mayer,
w confier^nt aux Troubadours le
. » foin penible de polir leur langue
9» & leur genie. Appelles a leur Cour,
» attires aupres du Trone , princi-
» ^palement par Conftance , fille dun
» Comte de Touloufe , qui Venait
» d'epoufer le Roi Robert , ils ( les
w Troubadours ) devinrent les pre^
;d by Google
8UR L£S TrOVBADOVRS. %f-
* tcptcurs&les oracles desFrah^ais.
» Telle eft Torigine de la tranfplan-
» tation du gout de la. Poefie pro-
is ven^ale en France. »
J'aurais ici quelques obje&ionsa
feire fur ces Francs 3% que TAuteur
feit contemporains des Troubadours,
fur cctte langue quil prete aux pre-
miers y tandis qu il aavance plus haut
que la leur etait fille de la Proven-
$alc > mais ce font-la fans doute dc
ces impropriates d'expreffion qui
quelquefois echappent a un Ecrivain >
lorfque dans la chaleur de la compo-
fition il laiffe couler librement fa plu-
me \ &jaitrop d'interet moi-meme
£ ce qu'on me pardonne mes fautes,
pour ne pas excufer les negligences
des autres.
J'euffe defire pourtant que M*
Mayer , qui parait inftruit > eut cite
quelque autorite fur les faits qu'jl
allegue : car je me refoudrai diffici-
lement i croireque nos Provinces*
* by Google
$i Observations
qui dans tous les fiecles , foit lorfquc
la langue latine fubfifta chez elles »
foitlorfqu'elleeut degenere dans unc
autre , ont cu des Rimeurs , doivent
lc goiit de la Poefie aux Trouba-
dours. Jc croirai plus difficilemenc
encore que nos Rois & les Grands
de leur Cour , qui nentendaient
point la langue des Rimeurs pro-
vengals , leur aient envoye des de-
putes pour les attirer aupres d eux,
& que Ik ils leur aient dit equiva-
lemment: «MM. nousnefommes
9» dans ccs contrees-ci que des igno-
»> rans &c des fots ; notre langue eft
»> barbare aupres de la votre, quoique
» nous ne Tentendions pas : foyez
9» nos maitres ; & avant tout, ap-
*> prenez-nous a parler. »
C'eft-la pourtant un des prejuges
avec lefquels naiflentleshabitans de
quelqikes-unes de nos Provinces me-
ridionales. Ils croient de bonne foi
*«jue pendant plufieurs fiecles les Sou-
;d by Google
sur lbs Troubadours, if
vcrains de l'Europe n'ont eu , pour
embellir leur Cour,d'autres beaux
efprits que ceux qui fortaient du
midi de la France. lis croient fur-
tout que ces pretendus beaux efprits
ont ere, felon rexpreffion de M.
Mayer, les pre'cepteurs & les oracles
des Frangais. (*)
(*) Peut-etre eft-ce la propoficion con*
traire qu'il faudrait avancer. Jc fais bien
au moins que fi je voulais foutenir celle-
Ci , fen trouverais une preuve chez un
de mes Adverfaires. En rendant comptc \
des Poe^es de Guillaume , Comte de Poi^
tou ' , il cite du Poete ce paflage ,je neus % ffjfi m j §
jamais a ma Cour ni Franpais ni Nor** Prov. T %
mana\ Il faut bicn remarqucr que Guil-. * p ' * z? *
laume eft le premier des Troubadours con^
nus. Or s'i! fe glorifie de n'avoir admis
aupres de lui aucun Fiancais , il s'enfuie
que les Fn ri^ais &aient done admis & re-
cherche's dans les Cours des Provinces me*-
ridionales , meme avant qu'il y eut det
Rimcurs Provencals qui^fTent i'etre dan*
Jcsnotres.
;d by Google
J4 Observations
De pareillcs prerogatives , II elles
imcnt reelles , feraient bien hono-
rabies pour les Troubadours allu-
rement ; mais fi elles font reelles ,
fans doute elles font fondees fur des
ffreuves inconteflables •> & ces preu ves
on pourraprobablement les fournir
en foule. Sans doute on nous aura
tranfmis le nom de ces bienfaiteurs
dune moitie de la Narion ; on nous
dira les ouvrages qu'ils ont publies
dans ce deflein , les fervices quils
ont rendus , les eleves qu ils ont
formes. Je m'attends que chez tous
nos Ecrivains , Chroniqueurs & au-
tres , il n'y aura quun cri & unc
acclamation generale. Mais malheut-
reufement je ne vois rien de tout cela.
Jevais confulter Yhiftoire des Trouba^
dours'j & bien loin d'y trouver les
preuves que je recherche , jc n'y vois
pasmeme cite un feul Poete proven-
jalquiaitpar^laCour de nos Rois.
Ils y furent , dit M, Mayer , prin-
* by Google
sur les Troubadours, if
eipalement attires par Conftancc ,
fille dun Comte de Touloufe y Iorf-
qu'elle ftit devenue l'epoufe du Roi
Robert. M. Mayer n'eit pas le pre-
mier qui ait avance ce fait. Beaucpup
dautres avantlui Tavaient allegue de
meme; & comme lui, ils Tont al-
legue fans preuves. On n'en trouvera
pas une dans Thiftoire des Trouba-
dours, ou Ton etait interefle a l'e-
tablir , s'il cut ete vrai. On y voit au
conrrairc que le premier de tous les
Troubadours fut , comme je l'ai dit,
Guillaume , Comte de Poitou , qui,
loin de fieurir en 1070 , ainfi que l'a-
Vance l'Auteur du Voyage Liue'raire^
nc naquit qu'en 107 1. Or le Roi
Robert avait epoufe Conftance Tan
998 , e'eft-i-dire , cent ans environ
avant que Guillaume put fonger k
feirc des v$rs , avant qu'il y eut des
Troubadours,
Je fais que le mariage de la Prin-
ceffe Toaloufaine cfut conduire 8c
* by Google
^ 6 O B S E R V A T 1 O H S
attirer a laCour de France beaucoup
de Provencals. L'Hiftoire Tatteflc :
mais elle attefte auffi qu'ils n'y ap
porterent que des modes nouvelles
&£ des moeurs etrangeres, auxquelles
la Nation ne gagna rien ; 3c qu'ils y
furent vus du meme ceil a peu-pres
quon y vit , cinq ou fix fiecles plus
tard, ces Iraliens qui, dans uneoc-
cafion pareille , vinrent en foule a
la fuite de Catherine de Medicis.
Voici ce qu'en dit un Hiftorien con-
*Glabtr, temporain \ Par egard pour les Pro-
*' 3 ' vinces qu'il parait avoir traitees avec
trop d'humeur , je me contenterai de
citer fon temoignage fans le traduire.
CircamiUefimum incarnati Vcrbiannum^
cum Robertus accepijfet fibi Reginam
Conjlantiam a partlbus Aquitani<E in
conjugium , caperunt confluere , gratia
ejus Regince , in Frahciam atque Bur-
gundiam (*) , ab Arvernid & Aquitania y
m i ' i ■ i I... ■ ■
(*) Robert , prefquc auflkot apres Con
joariage , hcrita du Duche" de Bourgognc ^
;d by Google
SUR L&S TROUBADOURS* tf
homines omni levitate vaniffimi y mo-
rlbus & vefie dlftorti , armls & equorum
phalerls incompofiti , a medio capitis
nudatij hifirlonum more bar bis tonfi 9
caligis & ocreis turpijfitni , fidei & pads
fttdere omnlno vacui ; quorum itaquc
wfan la, exemplar! a , he u I proh dolor I
iota gens Franco turn ( nuper omnium
honeftiffima ) ac Bur.gundidnum , Siti*
hnda rapuit.
On peut appr^cier maintenant le9
obligations prerendues quont en
Poefie nos Trouvears aux Rimeurs
dcs Provinces meridionales ? C'eft
au Le&eur a juger fi ces pretentions
font fondees.
II en eft de memc des inculpations
it Plagiat , intentees contre nos me-
roes Poetcs. A entendre M. Mayer ,
ceux-ciyont venus depouiller les Pro-
vencals, & semparerde leurs finds.
qui appartenait a fon oncle Henri, $C
que eclui-ci lui laiffa par teftament , n'ayan^
point d'enfans legitimes.
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j8 OBSERriTlOKJ
Si Ton en croit M. l'Abbe de F...«
plufieurs dfcs Contes qu'on lit dans
mon rccueil ont e't/ prls des Trouba-
dours ; « & il lui ferait aife de le
» demontrer , dit-il , en rappro-
« chant les moeurs , les ufages, 8c
» d'autres objets purementlocaux. »»-
Enfin l'Auteur du Voyagt Littc-
raire fait aux Trouveurs le memc
reproche •, & il k pouffe meme plus
loin. Pareil i ces deux femmes de
la fable qui rendirent un homme
chauve en lui arrachant , Tune les
cheveux noirs , Tautre les cheyeux
gris , il depouille fucceflivement nos
Conteurs de leurs plus jolis Fa-
bliaux.
Scion lui , ceux qu on peut lire
avec plaifir ne font point fortis^de
leurs mains ; les uns ont ete pjilles
chez les Arabes , les autres chez les
Italiens ; d'autres enfin chez les
Troubadours. Cell fur cette triple
affertion que roule prefque tcute
* by Google
SUR LES TrOUKADOVRS. ft
entiere la differtation qu'il a com-<
pofee > au moins , de fes cinq let-
tres, il y en a trois employees a la
prouver.
Cependant, par une forte de com*
paflion, il veut bien ne pas reduire
a la nudire nos pauvres Fabliers*
Son impartiale & noble generofite
leur abandonne ceux de leurs Con-
tes qui font plats & infipide^
« Comme la plaifanteric , dit-il *
» demande une delicatcfle & un
» agrement dans Tefprit que les
* Trouveurs n'avaient pas j commc
» ccs memes Trouveurs n'avaient
» ni aflez de talent ni affez de gout
m pour reunir ces qualites ; quite
» font froids & infipides , ne fakes
» pas difficulte de leur attribuer les
» Fabliaux oil vous trouverez line
» gaiete fans vivacite & fans faillie,
»» une plaifanterie fans fel & fans
,J agrement. Je vous avertis que
v vous les diftinguerez k ces de^
;d by Google
#0 Observations
» fauts , qui leur donnent un air
M de famille auquel on les reconnak
;* aifement. »> . , »
Lorfque fai annonce que les Poe tes
de nos Provinces feptentrionales
avaient fait de jolis Cbntes , je n ai
pas pretendu qu ils fuffent les in-
venteurs du genre. J'ai declare au
contraire avec impartialite qu ils de-
vaient quelques-uns de leurs ' fujets
aux Arabes , dont probablement
ils avaient appris 4 connaitre la
litterature pendant les Croifades.
Mais ici fe prefence une quefliona
faire.
• II ieft vraifemblable que la partie
meridionale du Royaume a du four-
nir aux differentes guerres d'Qu-
tremer aucant d'hommes 4 peu-pres
que la partie feptentrionale. II eft
probable encore que les uns & les
autres furent egalement a portee de
connaitre les mcsurs & les ouvrages
des Arabes. Cependant comment
cft-ij
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SVR LES TROUBADOURS. 6t
cfl-il arrive que les Soldats de nos
Provinces ont ete les feuls qui aient
rapporte en Europe le genre des
Contes, auquel leurs enfans fe li-
vrerent avec difiin&ion ; & que les
Provencals, certe Nation fi gaie,
non-feulement ne sy font appliques
que pofterieurcrnent a nos Poetcs;
mais encore qu'ils n'ont fait en
rout que deux Contes , affez infi-
pides. II eft fort etonnant que tou-
tes les fois quon savife de com-
parer enfcmble ces deux families
d'Auteurs , l'avantage foit toujours
du cote des feptentrionaux.
Les Fabliaux, que dans le terns
ont compofes ceux-ci, n'ont pas
peri tous ; il nous en eft parvenu tin
certain nombre qu'on retrouve dans
les manufcrits de nos Bibliotheques»
Or d'apres les regies que favent
& que pratiquent les Savans
pour connaitre & pour etablir Tagc
Veritable dun manufcrit, ceux-<4
Tome II. * D
;d by Google
6l OBSERFATlCnfff
font du xm c fiecle, c'eft-a-dire >.
anterieurs d'un fiecle environ au
terns ou Bocace, le premier, ecrivic
des Contes en Iralie. Ce fait eil in-
conteftable ; &c encore une fois , je
defie de le detruire,
Un autre qui ne l'eii pas moins,
c'efl que ce meme Bocace a copie
nos Fabliers : car de l'aveu meme.
d'un de mes critiques , M. Mayer ,
on na jamais attribut* I * invention des
Contes aux ItalUns. ,De-l& , on peut
coiiclurc , je le repete , que les Ita-
liens nous font veritablement rede-
vables du genre des Contes , quoi-
que nous memes peut-etre nous le
devions aux Orientaux.
Que repondre apres cela k TAu*
teur du t'oyage Littirain , qui foU*
tient que nous le devons au con-
traire a lltalie ? Mais que repondre
fur-tout aux preuves qu'il en donne?
« Un Auteur Italien du x« fiecle fe
elot!* " plaignait, dit-il x , que tout reten-
;d by Google
bur tsa Troubadours. 6f
» tiflait de vers, la villc & la cam-
»> pagne.
•« H*ec ficiunc urbi , hare quoque rare viri.
» Querait-ce done que ces petits
« poemes latins dont la ville & la
» campagnc retentiflaient ? N'eft-il
» pas narurel dc croire que c*e-
» taieht des Fabliaux , puifque e'eft
w par les Fabliaux que les Nations
» modernes ont ouvert la carrierc
» de la Poefie » ?
Lorfque les Francais commence-
rent a compofer en langue vulgaire,
leurs premieres productions poeti-
ques furent des Romans. Bientot
apres ils y joignirent des Fabliaux;
mais ils ont ete , fi je ne me trompe ,
la feule Nation- d'Europe dont les
Poetes aient ainfi debute. Pour les
Italiens, on fait quit la naiffance
de leur litterature , Bocace fe dif-
tingua par <\es Contes ; mais on fait
auffi que ces Contes font en profe.
Quant au raifonnement de l'Au*
D i
;d by Google
£4 O BS ERVJLT 1 N s
tcur , tout le monde faijait des vers df
la villc & a la camp ague ; done on
faifait des Fabliaux : mes ledteurs me
difpenferont dy faire reponfe.
« Comrnc les Italiens font natu-
» rellement railleurs , ajoure-t-il > je
•> ne fais pas s'ils ecouteraicnt fans
w rire eclui qui leur dirait ferieu-
•9 fement qu ils ont imite nos Fa-
« bliaux ».
Pour moi j'ignore fi les Italiens ,
tout railleurs qu'ils font , riraient &
celui qui viendrait, preuve en main,
leur annonccr qu ils nous ont uni-
tes. Mais je fais que le DucHat>
dans fes notes fur Rabelais, avait
dit fe'rieuftment que Bocace a copie
le Conte de Grife'Udis d'apres un de
nos anciens manufcrits , intitule lc
parement des Dames \ Sc je fais en-
core que Tun des plus ardens pane-
* M. gy rifles du ConteurFlorentin * , d'a-
Qtannu ^ s ccrte a fl* ert i orij q Ue probable-
ment il a lue fans rire f a rcftitue
;d by Google
sun les Troubadours. <Jf v
aux Fran^ais la propriete du Conte.
Avant moi les Benedi&ins , auteurs
de YHLfioire Litteruire de la France ,
avaient dit : « un de nos Savans ' qui s T.vi 9
99 a beaucoup travaille fur Torigine . ' * s *
•9 de notre langue , aflure que le fa-
99 meux Bocace a pris des Romans
» franjais la plupart de fes Nouvel-
99 les •, que Petrarque & les autres
» Poetes italiens ont pille les plus
» beaux endroits des chanfons de
» Thibaud > Roi de Navarre , de
» Gace Brulez, du Charclain de
99 Couci &c des vieux Romanciers^
» fran^ais » : 8c je n'ai pas eotendu
dire que les Italiens fe foient moque
de notre Savant ni des Benedi&ius
qui le citaient.
« Je vous demande , continue
» TAuteur du Voyage y en quel terns
99 & comment les Fabliaux^ ont ete
» connus au-dela des Alpes*»? % P. -$<>*«
J'ignore , il eft vrai , qui les y
porta. Je n'ai ricn dc certain non
;d by Google
66 Observations
plus fur Tepoquc precife ou ils fa-
rent tranfplantes dans ces contrees ,
quoiqu'st coup sur ils y aient ete
introduits pofterieurement aux Poe-
fies proven9ales. Mais je fais que
pendant le long efpace de terns od
lltalie fut dechiree par des (Men-
tions civiles 3 beaucoup d'Ultramon-
tains vinrent fe refugier en France.
Je fais que la plupart des ufuriers
de nos villes etaient Italiens ; que la
Cour de Rome, pour le maintien
de fes droits , pour la perception
de fes revenus , y entretenait beau-
coup dltaliens 5 que prefque tout
le commerce intericur du Royaume
etait fait par des Italiens , & qu'ils
occupaient meme dans la Gapitale
une rue que de leur nom on ap-
pella rue des Lombards-: Je fais
enfin que Brunetto Latini ecrivit
i Paris fon trefor ,• que le Dante y
paffa quelque terns (*) \ que Bocace
" " *' "" ' ' ■ ■ ■■ ■' ii 1 » .
(*) Dans fon Purgatoire , Chant xi\ ca
Digitized by GOOgk
bur les Troubadours, 67
Sc beaucoup dautres y etudierent;
<jue des le commencement du xm e
iiecle , fon Univerfice etait cjdcbre
dans l'Etat de Venife , & que plu-
iieurs Venitiens venaient y etudier
le Droit ' : apres cela je ne fuis plus % Fofia-
ctonne que nos Fabliaux aient pu r } niddl <*
rr t t. * Lettcra-
paiicr en Italic tura Vc-
Le critique n'en veut pas moins "£*£"*•
parlant d'un certain Ode'rifi , peintre en
miniature, il le nomme Yhonneur deccp
art que Us Parifiens appellent enluminer.
. • • • L'honor di quell' arte
Ch' alluminar c chiamata in Parifi.
Au chant i^ e il emploie des felons dc
parler franedfes,
.... Quanco a mio avifo
Diece pafli diftavaa quei di fuori.
Sotco cod bcl del , comm' io divifo**,.
les Commentateurs remarquent fur cet
endroit, que ces expreflions , quanto a mia
avifo , comm io divifo a font de pms
jallicifracs.
;d by Google
£& Observations
attribuer la propriete aux Italiens i
& comme il manque de preuves
poficives pour etablir ce fait , il
cherche a Fappuyer Xtyr des conjec-
tures , fur des probability , quelque-
fois memefur des inculpations hafar-
dees. Par exemple , il y a un Fabliau ,
intitule la femme qui ay am tortparut
avoir raifon , dans lequel une epoufe
trompe fon mari. « La jalouiie du
» mari, dit-ii, decele par fa ma-
» niere feule le lieu oil le Conte
« fiir invente » ; comme fi tout Ita-
lien etait neceffairement jaloux , ou
comme s'il ny avait de jalouiie qu en
Italic
Dans le Fabliau de YEnfant qui
fondit au fokil > on lit quun mar-
chand alia vendre & Genes , comme
efclave ? un fils adulterin que lui
avait donne fa femme. De-la TAu-
teur du Voyage conclud que ce
Conte eft vifiblement italien. « Les
» marchands , tics fur les bords 4e
Digitized by G00gk
svr xes Troubadours* 6$
\> la Meufe , de la Seine ou de la
» Loire , n allaient gueres & Genes ,
» dit-il y avant la fin du xm c fiecle. »
Mais quand meme cc fait ferait vrai
{ ce que je naccorde pas ) , etait-il
done neceiTaire , pour qu'uh de nos
Fabliers connut le nom d'une ville
auiu floriffante que Tetait alors Ge-
nes. UAuteur a-t-il oublie que ce-
taient les Genois qui fournilfaient
en grande partie i la France Ccs
foieries 8c fes epices > & ne s'eil-U
pas rappelle que ce fut a Genes que
s'embarqua un grand nombre de nos
Croifes ?
Ceft avec des raifonneftiens pa- *
reils qu'il attribue aux Troubadours
utie partie de nos Fabliaux. D abord
il convient riavoir aucun thre au~
thtntique pour prouver ce plagiat, * % p #4Z 2#
" Mais, ajoute-t-il incontinent,
» quand un Fabliau refpirera la
" loyaute Sc Tamour pur, tels qu'on
» les trouve dans plufieurs chanfons
;d by Google
jo Observations
» amoureufes des Troubadours 3 ou
» dans quelques-uns de leurs Con-
» tes; quand ces fentimens fetont
» peints avec une naivete , une can-
« deur & une fimplicite que n*ont
»> point les ouvrages qui apparticn-
9. nent veritablement aux Trouve-
» res; quand les Fabliaux contien-
» dront des circonflances locales
» qui defignent le pays ou ils ont
» ete faits > quand ils paraitront vi-
w liblement caiques fur des poefies
» pro venules ^ enfin quand ils fc-
»* ront publies fans nom d'auteur ,
» ne ferons-nous pas autorifes 4
» dire qu'ils ont ete traduits du Pro-
» vencal , ou dumoins quils ont ete
m faits d'apres des pieces que vous
99 connaiffez dans cette langue. «
Quoi ! des qu'on Conte fera ano-
nime , des que la fccne y fera pla-
cee dans les Provinces ' meridioria-
les, il appartiendra aux Trouba-
dours ! en verite de pajreils raifo«-
;d by Google
stTR les Troubadours. 71.
nemens mc confondent. D'apres ccs
principcs pourtant , TAureur artri-
buc aux Provencals les Fabliaux de
Grifelidis & d' Aucaffin ; lef quels vien-
nentj dit-il , fe ranger d'eux-mfmes
parmi leurs ouvrages , parce que les.
avenrures de Tun fe paffent 4 Sa-
luces , fur les confins de la Pro-
vence , & celles de Taurre a Beau-
caire. C'eft ainfi qu il attribue aux
Italiens le Fabliau d'Hippocrate ,
dont la fcenc eft a Rome. Mais avec
cetrc fagon de raifonner; les Anglais
pourront revendiquer Cleveland, 8c
les Efpagnols , Gilblas •, Zaire fera
due aux Arabefr,- Alzire aux Peru-
viens.
Ce qui m'etonne encore plus , c'eil
delire que quand un Fabliau refpirera
l'amour pur & la loyaute , quand
les fentimens en feronr peints avec
naivete & candeur, il fera traduic
du Provencal. Ainfi , «t entendre
l'Auteur , il ne pouvait y avoir dans
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72 Observations
toutes nos Provinces feptentrionales
hi loyaute ni amour pur , ni nai-
vete, ni candeur: toutes ces vertus
appartenaient exclufivement au midi
de la Loire. Mais ou a-t-il done vu
dans les Conres & dans les chan-
fons amourcufes des Troubadours,
ces fentimens fi naifs , fi loyaux: &
fi purs y qu'il leur prete ? Quant a
moi , je ne leur connais que deux
Contes qu on puiffe vraiment ap-
peller de ce nom \ 8c je Tai dit ail-
leurs. Dans le premier, un Che-
valier met le feu au chateau dc fa
Maitreffe , afin de lui procurer la
facilite de s'evader & de fe trouver
k un rendez-vous. Dans le fecond ,
une femme, pour fe venger dun
mari jaloiix , lui fait une infidelite>
& Toblige encore a demander par-
don. A dire le vrai , je ne vois dans
tout ceci ni amour bien pur , ni
fentimens bien loyaux.
- Les chanfons 8c les autrcs Poefies
des
* by Google
$ur zes Troubadours. 7$
dts Troubadours en offrent-ils da-
vantage ? Leur Hiflorien nous lap-
prendra.
« H y eut fans doute s parmi nos ^ r% p *
» preux Chevaliers & nos galans
» Troubadours), dit-ii , qpelques
» phenomenes d'amoUr epure , ou
» Ion reconnaitra des mceurs exemp:
» tes de tout reproche. Cependant
» combien verrons - nous d'exem-
» pies contraires ! un commerce de
» galanterie entre les deux fexes ,
» dans ces terns de defordres effre-
» nes , devait evidemment rendre
» fort rare ce que Ton a fuppofefi
» commun. »
Le Le&eur remarquera que pour
refuter les panegyriques outres que
mes critiques ont fairs des Trouba-
dours , il me fuffit ordinairement de
titer le temoignage de leur hiftorien
meme. Ceft encore ce temoignage
que j'evoquerai fur ce qui concerne
les pieces drartiaaques.
Tome //, E
;d by Google
74 Observations
J'avais avance que le theatre efl
France a ete , non-feulement perfec-
tionne dans les derniers terns par les
Poetes de nos Provinces fcptenttiona-
les , mais encore qu'il fut originaire-
ment ouvert par eux. Au refte > je h'd-
vais point fonde cette affertion fur les
mots vagues de Com4Jie,dt Trag£.
die, de Reprefentation , quon trouve
chez les Iicrivains ancieits > expref-
fions indeterminees > propres a in-
quire en erreur , & avec lefquelles
je ferais remorirer 3 s'il me plaifait,
Torigine de noire theatre )uk[u'hl&
feconde Race.' Je 1'ai prouvee pat
de veri tables pieces dramatiqiies y
tirees des manufcrits du tettis qije
j'ai cites, Ori rna objecte ( &, ce
quil faut bieri remarquer,' bouj&irs
fans preiives ) y que nos vieiix Pontes
dramatiques avaient copie les Trbu-
badours : cat/ encore urie fols,
on veut que ce foient les Trouba-
dours qui aient ete nos maittes en
;d by Google
SUR LES TROUB ADOVRS. Jf
four. Iicoutons a ce fujet leur Hif-
torien.
~ A en croire Noftradamus dc Pr. pi
n une foulc d'Auteurs y ces Poeres lxuc%
» connurent & pratiquerent Tart
» dramatique. Sans doute lufage du
» dialogue , fi commun parmi eux ,
» devait conduire en peu de terns
» aux repr6fentations theatrales.
» Ceft pcut - etre le fondement
» d une opinion dont la fauffete pa-
» rait demontree par leurs ouvrages
» memes , ou Ton ne voir rien de
*> relatif i cct objet. Quoi ! un objer
» fi intereflant , qui devait fournir
» matiere 4 tant d'allufions & def
» remarques , ils Tauraient toujours
•> perdu de vue , tandis qu ils par-
» laient des moindres ufages de !a
« fociere. Pourra-t-on le croire ?
» Uart dramatique fut toujours
» ignore des Troubadokrs , dit-il
» aiUeurs. Environ <juatremille pie- x. /./•
• ces> que nous avons raffemblees +* 3 *
Ei
Digitized by GOOgk
j6 Observations
» d'eux, rappellent une infinite d'u-
» fages de leur terns ; & aucune ,
» Tidee de tragedie & de comedie.
» Quoi cependant de plus capable
» d'interefler des Poetes, de leur
» foUrnir des images ou des re-
st* flexions \ Leur filence demontre
» que le theatre n'exiftait point. »
Mais continuons d'examiner les
differens genres de merite quattri-
buent aux Troubadours leurs pane-
gyriftes.
L'Auteur du Voyage leur en trouve
un qui les eleve au^dejfiis de leurs ri-
vaux \ & ce merite confifte dans les
lumieres t[uils offrent> dit-il, fur
l*6tat des perfonnes , dans des anec-
dotes fur le cara&ere 8c fur la con£-
duite privee des Princes & aucres
perfonnages importans, dans cer-
tains faits inconnus fur les Croifa-*
des 3 enfin dans des details fur les
gucrres particulieres de Seigneurs i
Seigneurs , fur les Legats du Pape*
* by Google
sun lbs Tro ubadours. 77
fur le Clerge , les Moines , les an-
cienncs Families &ccr ? « on trouve
»> chez ces Pqetes , f felon lui , unc
*> peinture vraie & naturellc des
» mceurs; il y regpe une teinte dc
*> Cbevalerie qui fait plaifir , & que
» n'ont pas les ouvrages des Trou-
»> veres. »
Voite de grands elogesaflurement;
& encore une fois , il eft malhcu-
reux qu avec tant de titres pour
reuifir , les Poefies provcngales aient
plu neanmoins auffi peu.
<« Les Fabliaux, ajoute TAuteur,
>* ne prefentent aucuns de ces avan-
» tages ni pour Thiftoire generate m
» pour celle des families. »
Ceci eft un reproche tres-formeL
Mais peut-etre TAuteur ne Teut-il
pas fait, s'il cut reflechi qu'il op-
pofait a la fois, la colle&ion entiere
des Poefies proven^ales «t une tres-
petite partie des Poefies fran^aifesi
& qu'exiger .des feuls Fabliaux au*
Digitized by GOOgk
78 Observations
tant de chofcs utiles quen peuvcnt
fournir tous les ouvrages des Trou-
badours pris enfemble , ce& par-
confequent etrc injufte. Si au lieu
de m'aftreindre uniquement aux
Contes de nqs vieux Poetes , jeuffe
voulu y comme TEdireur des Trou-
badours , embraffer tout ce que les
premiers'nous ont laifle > fans doutc
j'eufie pu y ramaffer beaucoup de
ces prctendues anecdotes , de ces
£tits inconnus fur d'anciennes fa-
milies , fur telle petite ville ou vil-
lage , fur tel ou tel perfonnage obf-
cur y fur la guetre que fit tel Sei-
gneur k un autre Seigneur fon voi-
fin ; mais qu'eufTent produit de pa-
jreilles decouvertes ? De Tennui.
Ceux qui ecrivent THilloire ajta-
chent foutfent trop d'importance i
routes ces minuties qu'ils prennent
£. tort pour leurs vrais materiaux,
& qui n'intereffent gueres que les
pcrfonncs qui y retropvent le nom
;d by Google
sun les TrOi/badours. 79
de leurs ancetres. UHiftoire vie de
grajids tableaux, comrac la Poefic
vit d 'images ; les petirs details fa re-
froidiiTent & la tuent > & peut-etre
cft-ce a cette caufe principalement
qifil faut attribuer le peu de fucces
qu'ont obtenu jufquici la plupart
de nos Hiftoires particulieres de
Provinces.
Ce n'eft pas pourtant que l'Hif-
toire exclue tous les details. II en eft
d'importans qu elle admet. Tels fdht
fpcialement .ceux qui peignent & la
Nation les mceurs de fes ancetres - y
ceux qui, apres avoir expofe fur la
fcen^ un grand perfonnage , le re-
prefenrent dans fa vie privee , 8c
font reiTortir fon cara&ere; ceux
enfin qui font d'un genre a inte-
reffcr egalement tous les L^dreurs :
car tel eft le grand art , Tart feci-et
de THiftorien. Veut-il etre lu ? II
doit alors , ft je ne me trompe ,
ccrirc , non pour fa Province , non.
E 4
;d by Google
80 Observations
meme pour fa Nation feule , mafs
pour tous les peuplcs qui font cul-
tives & qui lifent.
Au nombre de ccs chofcs faitcs
pour etre admifcs par lui , on peut'
compter fans doutc tout ce qui re-
garde la Chevalerie : inflitution ro-
manefque , qui pendant plufieurs
fiecles , influa fi univerfellement en
Europe fur Tart Militaire , fur les
moeurs de la Nobleffe , & meme
fur les Gouvernemens. Mais pour la
bien connaitre , il faut , quoiqu'en
dife TAuteur du Voyage , avoir lu
nos vieux Poetes fran$aisa c'eft-a-dire,
nos Romanciers. Lk fe trouveranon-
feulement une teinu de Chevalerie \
mais la Chevalerie toute entiere ,
avec fa prodigalite , fa grandeur
d'ame, fon audace indocile, fon
avidite d'exploits ; en un mot avec
tous fes defauts & fes vertus. Jofe
meme affurei? , fans crainte d'etre
contredit, que fi nous etions re*
* by Google
bur les Troubadours. 9t
duits , pour la connaxtre , aux feules
lumieres que peuvent nous fournir
nos Hiftoriens anciens , nous n'en
aurions aujourd'hui que des notions
tres-imparfaite$. Encore, une fois,
c'eft dans nos Romans que refidc
le veritable efprit de la Chevalerk.
Aufli voyons-nous tous ceux qui
ont ecrit fur cette matiere , Mene-
trier, la Colombiere , Saintc-Palaye
Sec , les citer a chaque page.
Plufieurs de nos Fabliaux offrent
le raemc genre d'utilite > parce que
plufieurs roulent uniquement fur
des aventures de Chevaliers. Mais
fi Ton defire , felon Texpreffion de
FAuteur , une peimure vraie & na-
turelle des moeurs ? out la trouvera-
t-on mieux que chez nos Fabliers ?
En effet , un Conte n'etant ordi-
nairement que le reck d'une adtion
bourgeoife,il eftaife de concevoir
que ce recit doit contenir mille de-
tails concernant la vie privee de
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2i Observations
nos Peres. Qu'o'n me cite xm feul
ouvrage du terns oil les moeurs dc
tous les etats foientreprefentees avec
autant de verite , d'agrement 8c d e-
tendue que dans les Fabliaux. Si le
recueil que j'ai donne a eprouve
quelque fucces , je conviens avec
franchifc que je le dois en grande
partie k ce merite > & aux notes
qu'il a occafionnees, C'eft-li au
moins ce qu'en ont approuve les
Journalises , les Gens-dp-Lettres 8c
mes critiques eux^nemes.
II eft vrai que nos Fabliers nc
contiennent rien fur les anciewui
Families y fur les Ligats &c. Ce x
n'eft point liordinairement ce quon
s'attcnd k trouver chez des faifeurs
de Contes -, 8c apres tout des Con^
teurs peuvent plaire fans cela. Mai$
les notres, au milieu de tous leurs
defauts , ofFriront de la variete a
fouvent de Tinteret , & fur-tout unq
fccondite dlmagination 8c une gaieta
;d by Google
sur lbs Troubadours. 8j
que je vois avcc d'autant plus dc .
furprife manquer chez les Trouba-
dours , quon attribue ordinaire-
ment cette double qualite au climat
qui donna naiffance i ces derniers.
Cette xemarque nous conduit i la
derniere objection de M. l'Abbc
de F . . . . ; & elle y repond davance.
<< Je demande a TAuteur , me dit-
»» il, s'il ne penfe pas que des hom-
»> mes ncs fous un climat enchan-
» teur y aSe&esfans cejfe par les ob-
•> jets Us plus agriabks , d'une ima-
» gination vive , brillantc , & d'une
99 finfibilitt profonde , parlant un
*> idiorae doux , flexible , fonore %
*» cadence , abondant en augmen-
** tatifs & en diminutifs ; je de-
w mande, dis-je, & TAuteur s'ilne
•> penfe pas que ces hommes foient
« fairs pour exceller dans la Poefie.
» Ne font-ce pas la precifement les
* memes avantages quavaient les
v Grecs & les Roraain$ , qui nous
E 6
* by Google
84 Observations
w ont donne des chefs-d'oeuvre en
9* ce genre ? Et quelle ell cette aveu-
» gle temerite ( je tranche le mot )
» d'ofer mettre en parallele des
» Poetes feptentrionaux , cux qui
» dans un cllmat glaci y au milieu des
>» brouillards , ne voy ant qu'une nature
*> trifle & dicolore'e pendant plus de
9» fix mois de Vanne'e , avaient des or-
» ganes e'pais y engourdis qui fe refits
» faient aux douces emotions ; par*
» laient une langue informe , bar-
» bare , lourde , monotone , rem-
» plie d'e muets qui font encore
» aujourd'hui la partie honteufe dc
» notrc Poefie quoique tres-culri-
» vee , avec des prononciations na-
>» fales qui provoqucnt involontai-
« rement le rire des etrangers quand
w ils entendent parler pour la pre-
» miere fois des Franjais. Bicn plus >
*> il ne ferait pas impoffible , id
*> difficile meme , dc prouver que
«» de toutes les Ungues exiftantcs*
;d by Google
Bun LE8 Troubadours. 8f
9* la langue fran^aife eft peut-etre la
9» plus rebelle k la Poefie ».
Demelons ces differentcs incul-
pations , un pcu confufes , & repon-
dons-y avee mcthode.
Si M. TAbbe dc F . . . . a vu rirc
des etrangers , lorfquc leurs orcilles
ont erttendu pour la premiere fois
la langue fran^aifc > il a du etre
etonne \ parce qu enfin il doit fa-
vour , commc moi , que cette langue
non-feulcmcnt fc parle dans toutes
les Cours & fur prefquc tous les
theatres de TEuropc , mais encore
que chez les etrangers diftinguis ,
elle fait une partie de Teducation.
Mais moi de mon cote je fuis etonn£
de le voir 3 lorfquil ne s'agit que
des deux Romanes anciennes in-
fulter fans motif k notre fran^ais
moderne > a Fidiftme dans lequel 11
ecrit lui-m&ne.
II ne tiendrait qu'i moi , s'il m'en
$renait envie , do refute* par des
* by Google
%6 O B SE RVAT 1 N S
fairs toutes les denominations m£-
prifantes que M. TAbbe de F . . . .
& l'Auteur du Voyage Litteraire ,
donnent a notre Romane fran^aife.
Je pourrais alleguer en faveur dc
cette langue l'eftime qu'en faifaient
les Anglais , qui envoyaienr elever
leurs enfans chez nous pour fe de-
rouiller de la barbarie de la leur.
Apud Ducern Neuftriz educatur , to
quod apud nobilijjimos Anglos ufus
teneat filios fuos apud Gallos nutriri ,
ob ufum armorum & linguae nativa
'Gcrv. barbaricm tollendam \ Je pourrais cir
iJp£* a ter le temoignage de Titalien Bru-
netto Latini , qui voulant publier
fon tre'for , prefera de Tecrire en
fran$ais •, parce que la parlure , felon
fon expreffion , en etait plus dilita*
He & commune a tous langaiges \ e'eft-
£-dire , parce qu'il la trouvait plus
douce, & quelle fe parlait che*
Cqus les peuples. II me ferait aife
$e rapporter , k h fuite de ces aur
;d by Google
sum £E9 Troubadours, ty
torites, lepithete defavorable dV-
trangt que Petrarque donne a tt-
diome dcs Troubadours ; mais je
fuis de bonne foi > je ne fais point
parler contre ma penfee > & je con-
viens avec franchife que notre Ian-
gue y & peine formee , encore bar-
bare , fans profodie & fans prin-
cipes, etait bien inferieure & la Pro-
rtngale , quoiqu'elle f ut bien autre r
ment repandue qu elle.
Moi-meme jai avoue le meritc
de celle-ci > j ai meme fait fentir
combien elle donnait d'avantage 4
fes Poetes fur les notre s. Aufli ne
font-ce pas les deux idiomes que
j'ai compares , mais les productions
des deux peuples : car pour qu'up
Muficien fe faffe une * reputation ,
il ne lui fuifit pas d'avoir le meil-
leur des inflrumens ; il faut encore
qu'il fache le toucher. Plus celui
qu'avaient a manier nos Trouveurs
ctait ingrat > & plus leur gloire e(l
;d by Google
88 O B8EKVAT 1 ON 9
grande d'avoir neanmoins reufll £
nous plaire. Leur languc , dabord
informe , s'eft perfedfcionnee avec lc
terns. Apre & fourdc £ la fois au
xn e & au xin c ficcle , fimplc &
naive au xv e & au xvi c , elle eft
devenue au xvn e pure , dlegante ,
& la plus claire de toutes ; mais elle
eft toujours reftee faible. Elle n'a
ni la pompe majeftueufe~ de FEfpa-
gnol , ni la force energique de TAn-
glais , ni la douceur , laccent , la
flexibility de lltalien ; & cependant
fes licrivains Font rendue la plus
cilebrc & la premiere des tongues
modernes. En voyant ce qu'elle etait
au terns de nos Fabliers , qui jamais
cut prevu ce quelle devait etre un
jour !
Le fort qu'a obtenu la Proven-
$ale me parait prefquc eritierement
oppofe. Accueilfie des fa naiffance
par lltalie & 1'Efpagne, elle fe voit
appellee en qiielque forte k une def-
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sua z2s Trowxadouxs. 8j
tinee brillante. Mais bientot tout
change. A peine les deux Nations
qui lavaient adoptee ont-elles a leur
tour produit des Pontes , que tout-
i-coup la m£diocrite des fiens lui
fait perdre fa renommee. EUe tombe
dans Tobfcurite & dans Toubli, &
neft plus qlie le patois dun can-
ton particulier , dans lequel la Ro-
mane fra^aife , plus Jieureufe ,
vient par la fuite s'etablir avec eclat
& dominer commd fouveraine.
II en eft tout autrement encore
de la fortune dont a joui la langue
italienne. Pareille k THercule dc la
Fable y cette derniere a eu , prefque
en naiffant, la gloire d'etouffcr fcs
deux rivales. Au refte, plufieurs
circonftances heureufes Jui avaient
prepare ce triomphe. Lltalic au
xiii c fiecle etait devcnue le centre
du luxe Sc des richeffes dfc TOcci-
dent. Un fol fertile , un commerce
immenfe, le fejour des Papes , tout
;d by Google
<k> Observations
avait contribue a Teiuichir , jufqu'i
ces Croifades memes qui avaient ap-r
pauvri le refle de TEurope. Par fes
rrefors 8c fes flottes y elle s'etait ren~
due la reine de$ mers. Dans fon
fein floriiTaient plufieurs Republic
ques puifTantes , qui au-dehors pof-
fedaient des empires & pouvaient
declarer la guerre a des Souverains.
La.langue* comme il arrive tou-
jours , avait fuivi les progres d'une
profperite fi brillante^ Deja elle avait
aquis une certaine perfe&ion , &
touchait prefque a Tepoque qui allait
la fixer , quand elle vit naitre fes
premiers Poeces. Ajnfi tandis que
rips vieux Rimeurs franjais ne nous
offrent quune langue qui ne s'en-
tend plus , un ftile qui ne peut fe
lire , des compofirions pleines d'ef-
prit 8c d'imagination , m^is qu on
n'ofe prefenter qu'en extraits ou
traduits; non-feulement fltalie en-
tend les ficnsy non-feulement elle
* by Google
sun lbs Troubadours. $%
peuj: les citer en original ,,, mais
elle trfluve encore quelque plaifir k
les lire.
Tel eft , puifqu'il iaut etre vrai
en rout > le defavantage qu ont nos
Poetes anciens. Ce defavantage au
refie , je n'ai garde de lattribuer ,
commc le veut M. 1'Abbe dc F
a un climat moins propice : car ,
quoiqu il en dife , je ne crois pas
quau nord de la Loire , le climat
foit glace; qu'on xiy naife quau mi-
lieu des brouillards , & avec des or*
ganes e'pais & engourdis. Ccs trifles
couleurs avec lefquelles on nous
pcint ordinairemcnt le ciel dc Si-
berie ou celui du Groenland , nc
font point celles qui conviennent au
ciel de Paris & d'Orleans.
Mais apr£s tout , y fut-il encore
plus rigoureux , je ne le croirais pas
pour cela mauditdes Mufes. Non,
ce n'eft point y je le repete , la tempe-
rature Jkvorable dc tel ou tel climat
;d by Google
€)2 O B S E R V A T 2 N8
qui fait que les hommes y excellent
dans la Foe'fie ; ce n'eft point cet
avantagc d'une latitude plus meri-
dionale qui nous a procure les chefs-
d'oeuvre des Grecs & des Romains.
Si ce raifonnement etait vrai, il
s'enfuivrait que les contrees favo-
rifees davantage du foleil feraient
celles qui produiraient feules les
grands Ecrivains. Mais ce n'eft pas
tout:comme ce principe createur
y opercrait toujour&egalement, elles
devraient toujours produire fans in-
terruption des genies nouvcaux. Or
Ion fait combien Texperience de-
ment une pareille theorie. Qu'eft
devenue cette Grece , la mere dc
tant de grands hommes, cette Grece
dont les Merits & les monumens ont
itt pour toutes les Nations pofte-
ricures le premier modele du beau ?
D'un autre cote fi le climat de
Rome & celui d'Athencs ont en-
fente des imaginations vives % bril-
;d by Google
SVR LES TROVBADOpRS. $$
iantes , <?unt fenfibilite prbfondi , les
contrees plus firoidcs , les cllmats
glacts eux-memes * pour emprunter
i'exprdfion de M. l'Abbe dc F.... ,
ne peuvent-ils' pas fe vantej: d'cn
avoir enfantees auffi ? Qui ne con-
nait les Poefies galliques 8c celles
des Scandinaves ? Qui ne fait que
lcslflandais naiflent Poetes , & meme
improvifateurs * L'Angleterre enfin,
an [tin des brouillards y ne compte-
t-elle pas feule , depuis un fiecle &
demi, plus de Poetes que toute 1*1-
talic enfemble ? Et s*il faut chercher
des exemples plus recules , Pindare
ne naquit-il pas dans cettc Beotie ,
dont Fair epais etait devenu chez
les Grecs & chez les Latins le fy-
nonime de la ftupidit6.
Certainement il n eft point de na-
tion fur la terre quipuiffe fe vanter
davoir plus d'efpric que les Gas-
cons. Tous les livres font pleins de
kurs reparties , dc leurs faiUics > de.
;d by Google
54 Observations
leurs bons mots. D'aprcs ce prejug£,
fi favorable en leur faveur , je m'at-
tends qu'ils auront fourni feuls au
theatre , a la Poefie , a la Littera-
ture fran5aife , plq$ dauteurs ce-
lebres que tout le refte du Royaunac
cnfemble. En confequence , je cher-
che leurs noms dans la Kite de nos
Ecrivains fameux \ & j'y trouve deux
Philofophes > Montefquieux & Mon«
taigne. U parait que les Gafcons ont
re£u leur efprit en monnaie. Apres
tout, c'eft celui qui plait dans la
fociete ; ils n'ont point k fe plaindrc
de leur partage.
Dc tout ceci Ton peut conclure »
ce me femble , que la Nature , dans
ladiftribution qu'elle fait du genie
parait n'avoir aucun egard k la tem-
perature des climats, Mais ce genie
clle ne Taccorde pourtant pas k tous.
II eft dcs pays au nord & au midi
quelle femble avoir egalement dif T
grades pour jamais. En vain Fpn a
;d by Google
§1/ k les Troubadours. $f
Cherche jufqu a prefent a decouvri*
les principes fecrcts de * ces aver-
fions & de ces predilections , fi eton-
nanres en apparence. On ny a point
reuffi; & fur ce point , le fecr£t dc
la Nature eft encore inconnu.
On n'a point de raifons plus fa-
tisfaifantes k donner fur ces quatrc
fiecles fameux d' Alexandre, d'Atf-
gufte , de Leon X , & de Louis XIV ;
fur cc phenomenc fingulier qui tout-
a-coup , a quarre epoques differcntes
& affez eloignecs,. a fait paraitrc
fucceflivementchez trois differentes
Nations , plus de grand? homraes
en tout genre que n en a produits
peut-etre le refte de l'univcrs en-
fcmble. Ce qu on peut conje&tutfr
fur tous ces fairs inexplifttbles > e'ejj
que pour faire^eclore & pour per-
fedfcionner chez un pcuple les talens
du genie , il faur plufieurs caufes ,
tant phyfiques que morales ; com?
binecs enfemble > 8c que da^s cc.
;d by Google
$6 Ob SER^AT ION Jf
nombre 1c climat eft pcut*etre une
des moins neceflaires.
- SidanslesprodudHonsderefprit&
dcs arts il y avait quelque partie fur la-
quelle on put foup^onner le fol &le
ciel d'avoir une certaine influence *
ce ferait particulierement le gout.
Au moins Ton ne connait jufqu'ici
que trois Nations qui jen aient eu ;
& ces Nations font cclles qui ont
produit les quatre fiecles celebres
dont je viens de parler.
Un de mes critiques m'a repro-
che xie ne voir de tdUns en France
que dans nos Provinces feptentrionales m
Je ne me rappeUe point d'avoir
avance une propofitipn auffi exclu-
five, qui me convaincrait d'igno-
ranee , outfde mauvaife foi. J'ai die,
ileft vrai , que la Nature femblaic
avoir deparci sp&cialement au nord
de la Lotrt les dons e'tninens de Vef T
frit. Or cette aflertion , je la repete.
£n cflfet,4iommez les Conquerans
qui
;d by Google
st*X us TROUBiDOi/ks. 97
qu*£ eus la France , lcs trois Minif-
tres dont clle s'honore, fes Offi-
cicrs de mer fameux, fes grandsr
Generaux &c. : & vous verrez que
Charlemagne , Guillaume-le-Batard ,
les freres d'Hauteville; Godefroi de
Bouillon ', que Sulli , Richelieu ,
Colbert ; que Bart , Tourville , du
Quefne , Dugue-Trouin ; enfin que
Conde , Turenne , du Guefclin ,
Catinat , Henri de Rohan , Bunois ,
Vendome > Luxembourg & Eugene
lui -mcme , ( s*il eft permis de compu-
ter au nombre des Heros de la France
cclui qui Thumilia ) , appaftiennent
tous a la partie feptentrionale de
nos Provinces. Demandez qui pofa
cette digue fameufe par laquelle fiit
foumife la Rochelle ; qui eleva cette
colonnade du Louvre , Tun des
plus beaux monumens du Royau-
me : demandez quels font les trois
peintres celebres que la France
nomme a la tcte des fiens •, & Ton
Tome II. F
;d by Google
9$ OnsnxvAiiONS
vous repondra que Metezeau , que
Pcrrault , que le Brun 5 le Sueur
& Je Pouifin , durent de meme leur
naiflance aux Provinces de nos
Trouveurs.
Je borne 1£ mes exemples , quoi-
qu il me fut ^ife de les multiplier,
Je remarquerai feulement que le
fait fur lequel ils font fondes n'eii
point l'effet du hafard > ainfi qu'on
pourrait le croire. II parait t£nir a
un autre fait qu on ne peut contefter m y
c eft la difference extreme qui fub-
fifte entre les divers cantons du
Royaume , non- feulement au phyfi-
que , mais encore au moral.
Pour $ y en convaincre , il fuffit de
comparer enfemble quelques-unes
4es Provinces * qui font contigucs
entr'elles ; l'habitant de TAuvergne ,
par exemple,avec Thabitant du Lyon-
nais; celui de TOrleanais & celui
du Berry ; le Perigourdin & le Gaf-
con j le Languedocien & le Pro-
;d by Google
sur Lis Troubadours. 99
venial ; le Lorrain , le Bourguignon
& le Champenois ; le Picard enfin,
& le Normand ; le Normand & It
Breton ; le Breton & le Manceau.
II regne & la verite dans ces Pro
vinces, comme dans les autres , une
teinre generate de cara<£ere , qui
rapproche tous leurs habirans, &
qui les rend tous Francais j mais auffi
quelle variete de nuances dnrr'elles.
Tous ces differens proverbes & die-
tons nationaux , auxquels la . mali-
gnite a donne nai/Tance , Air les qua-
lites & les defauts qu'on attribue k
chacune d'elles , ne prouvent-ils
pas que chacune a fon cachet par-
ticulier , fon genre d'efprit Sc de ca-
ra&ere qui la diflingue.
Cette variete bifarre Sc inexpli- -
cable, vous la. remarquerez dans
tout •, dans les chofes memes , telles
que les alimens , les jeux , les ufa-
ges •, ou neceffairement les fujets
d'un meme maitre devraient fe rap-
;d by Google
tOO O B SEJLVAT 10K 3 •
prochcfi. Vous la remarquerez juf-
qucs dans les profeflions aiycquelles
fe confacrent par choix ccux de la
claffe du peuple qui quittent leur
Province pour trouver a vivre aik
leurs (*).
Enfin la fertilite h'eft point la
meme dans les divers cantons dc la
France *, Ton en conviendra. Ceux
memes qui font egalement fertiles
ne rapportent pas les memes fruits ;
e'eft encore liun fait qu on nefau*
rait nier. Mais, la Nature qui a tel-
lement diverfifie fes produ&ions far
un fi petit efpace, ne peut-elle done
(*) Pourquoi par exemple les Auver-
gnats £e font-ils de presence chaudron-
niers 5 les Normands , paveurs > les bas-
Bretons , valets d'e'eurie > les Gafcons 9
barbiers & fraters ; les Limoufins , ma-
sons & tailleurs de pierre j les Languc-
dociens & les Bafques , cordonniers &c*
&c,2
;d by Google
sun les Trovbadoves. ioi
|>ad avoir diverfifie egalcment les
efprits ? Et quand on voit unc fi
grande difference entre les vins de
Bordeaux ou de Champagne, &
ceux de Bourgogne ou de Rouffil-*
Ion , doit-on s'etonner que le Bour-
guignon , le Champenois , le Gaf-
con & le RouHillonnais puiflent
differer en talens.
Plus je reflechis fur le partage de
ces talens , plus je crois voir qti'il
a ere fait d'une manierc inegale. I!
me femble au moins que dans la
plupart des arts & des fciences,
ceux des Fran^ais qui font epoque,
ceux qui, les precaiers , les ont
poufTes k un degre de perfection ^
inconnu avant eux, font les com-
patrxores des Trouveurs.
Qui a renouvelle la Philofophic-
en Europe? Defcartes. Qui a fait
naitre chez nous le gout des Mathe-
matiques ? Fontenelle j le gout de
ftfiftoiip Naturellef 4>hiche s celui
F3
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10.1 OBSERVATIONS
de la Phyfique experjmentale } Po*
liniere &: Noller. Qui 'a cree PArt
des Jardins ? Le Notre &*Dufrefny.
Qui le premier a porre k un certain
point de perfe&ion TArtillerie ? Jean
d'Eftrees ; la Fortification ? Vauban ;
la Geographie ? Samfon; la Chymie?
Lemery ;.la Tragedie ? Corneille ;la
Comedie? Molierc, l'Opera? Qui :
naut ; le Roman ? la Fayette *, la De-
clamation ? Baron, Le premier bon
Predicateur , le premier bon Avo-
cat y le premier Pob'te , le premier
Moralifte enfin qui y pour me
fervir des termes de Voltaire , ait
contribue a donner a la Nation un ef-
prit dt pre'cifion & de juftejje , qui ait
accoutume a penfir & a renfirmer fes
penfe'es ^Lans un tour vif& dellcai , n$
font-ce pas Bourdaloue (*) , Patru ,
(*) Les perfonnes qui m'ont critique* ,
ont compte' lcs Ecrivains du Berry parmi
ccux ^u'elles rcveadiquaient pour aos Pro*
;d by Google
sir* les Troubadours, ioj
Malherbe , k Rochefoucaut ? Peut-
on cirer un navigateur qui ait fait
dans le nouveau mondc des decou-
vertes & des etabliiTemens avant
Carrier? Un negociant qui ait ea
au-dehors , avant Jacques Coeur ,
uh commerce un peu etendu?
Defceridez aux Arts mech^niques;
vous aurez k faire les mcmes re-
marques. Vous trouverez pour l'hor-
logerie Jul. le Roi ; pour Forfevrerie
Germain. Vous verrez que c'eft k
Mellan quon doit lartde graver
dun feul trait une figure yk Gara-
mond que font dus ces beaux ca-
rafteres d'lmprimerie qu'on n'eft
point encore parvenu k furpaifer;
k Gobelin , cette teinture en £car»
-^- *— p— y*—,. , . .
vinccs mdridionales. Elks fe trompent,
ie Berry parlait la langue francaife , &
non le Proven^aL Parmi les Troubadours,
U n'y en a pas un feul $ui foit de; CW9
Province,
;d by Google
1o4 Observations
late fi eftimee > aux deux Grain-
dorge , Tinvention de damaffer les
toiles y &c.
En Litterature , cherchez-vous les
Ecrivains qui meritent d'etre cites
comme modeles ? Vous les ren-
contrerez dans la mcmc partie du
Royaume.
En effet, les Provinces meridio-
liales ont-elles des lettres qu'on
puifle comparer aux lettres de Se-
vigne? Des oraifons fiinebres auffi
eloquentes que celles de Boffuet ?
Des Romans qui valent ceux de
le Sage & de Prevot ? Une Hif-
toire Naturelle quon ofe nom-
mer avec Buffon ? Une critique ba-
dine auili ingenieufe que celle de
r *Chef Saint -Hiacinthe *? Nos cxcellens
d*™ln- Ecrivains en Hiftoire , Vertot , Bof
fonau. fuet> Bougeant , Voltaire , d'Or-
leans , de Thou , TAuteur des dif-
tours Jur VHiftoire EccUfiafiique^ celui
des eloges des Academiciens > nc.font*
;d by Google
sur les Troubadours, iqc
ils pas tous nes dans les Provinces
feptentrionales ? Enfin fi quelqu'un
avoir aflez peu de gout pour atta-
chcr quelque merite au burlefque ,
ne pourrais-je pas lui citcr Rabe-
lais , Scarron & Vade ?
Mes Adverfaires ont bien fenti
quelle preponderance tous ces faits
donnaient «L ma caufe, puifqueux
memes y ont cherche d'avance des
reponfes. Si les grands Ecrivains
font plus rares dans les Provinces
mfridionales , a dit Tun deux, c'eft
tyielles font plus eioign/es du vieux
Louvre & du College de Louis-le-
Grand.
H n'eft point douteux que le fe-
jour de la Capitale ne procure aux
Ecrivains & aux Artiftes qu'elle ren-
ferme , un avantage reel fur les Ecri-
vains & les Artiftes des Provinces.
Mais cet avantage en quoi confifte-
t-il? En plus ou moins de gout.
S'ils ont du genie , Paris le perfect
;d by Google
rod Observations
tionnera en eux •, mais s'ils n'en ont
pas , ni Paris > ni la Cour ne pour-
ront leur en donner. Cette ville
elle-meme , malgre les fecours nom-
breux qu'elle offre en tout genre
au talent > n'a produit neannioins
que tres-peu dauteurs celebres , re-
lativement a la multitude immenfc
de ks habitans.
Ces fecours , au refte , elle ne le$
referve pas feulement k ceux qu elle
a vus naitre : tout Fran^ais eft admis
egalement a en jouir. Quiconque fe
ctoit du talent & fe fent de lam-
bition , peut accourir dans fes murs.
Lk il cultivera les difpofitions que
lui a donnees la Nature ; il fe for-
mera le gout , & compofera. Cet
avantage eft egal pour tous les
habitans du Royaume > pour le
Provencal comme pour le Breton >
poui* le Limoufin comme pour
le Normand. Corneille vient de
Rouen a Paris, Boffuet y vient d«
;d by Google
$VK LBS I ROUBADOURS. 10J
Dijon ; ils n'ont fur Flechier qui s'y
rend d' Avignon , fur Campiflron qui
arrive de Touloufe, dautre avan-
tage que la difference de talens
qu'ils ont re$us len naiffant. La Ca-
pitale n*ert pour eux que Tecole oi\
ils les perfe&ionnent * la lice oA ils
les deploient*
J'avais avance que tous nos grands
Poetes font ncs au nord de la Loire.
Un critique a repondu a cette affer-
tion que fi les Poetes ont ete plus
rares dans les Provinces meridiona-
les , ceft que la Poefie n y eft pas
affez conflderee.
Ce raifonncment n eft pas. plus
folide que le precedent. II ne s'agit
point de favoir fi la Poefie eft en
honneur dans le midi de la France,
ni meme fi elle y eft cultivee •, mais
/il en eft forti des Poetes. C^rtair
"rieraent on ne Jsuk pas plus de cas
des vers a Chateau-Thierri , k laFerte-
Milon, qu a Bordeaux & 4 Marfeillc;
* by Google
io8 Obsekvat ions
La Ferte-Milon cependant nous a*
donni Racine ; & Chateau-Thierri ,
la Fontaine. ♦
D'ailleurs ne fait-on pas que quand
la Nature accorde aquelqu un qu'ellc
favorife un talent reel , elle lui donrie
en meme terns cette impulfion irre-
fiftible qui , malgre tous les obfta-
cles, le ramene bientot k fa voca-
tion primitive , & le force de s'y li-
vrer : Temoin Crebillon , deftine
par fes parens k etre Greffier-, Boi-
leau, & quelque emploi de robe fu-
balterne; Moliere, a etre tapiflier
du Roij temoins Catinat Sc Cor-
neille, avocats, l'Auteur de la co-
lonnade du Louvre 3 medecin &c.
&c. Certainement fi les Provinces
meridionales avaient enfente des te-
res poetiques, elles compteraient
aujourd'hui des Poetes parmi leurs
grands hommes ; mais foyons vrais,
ce n eft pas U une produ&ion de
leur fol.
Cettc
;d by Google
&vx*les TROVBADOxrns. 109
Cette derniere affertion va revol-
ter, je le fens bien j ellc eft propre
a me fufciter des haines. Mon iiir
tenrion pourtant n'eft point d'of-
fcnfer. Je difcute feulement des pre-
tentions, j'expofe des falts; & en
les expofam > je declare avant tout
que je ne fais nulle mention des
Auteurs vivans. Loin d'attaquer
ceux-ci , je reconnais au contraire
qu'au moment 011 j'ecris , les Gens-
de-Lettres qui honorent le plus no-
tre Litterature , font les compatrio-
tes des Troubadours, Moi-meme
j'en connais plufieurs, recomman-
dables par beaucoup d'efprit, de
connaiffances & de merite; & qui,
i ces qualites r joignent encore beau-
coup de modeftie.
Cependantilfaut cdnvenir qu'il re-
gne parmi les habitans de ces contrees,
& fur-tout parmi ceux des deux Pro-
vinces qui font fituees £ ladroite & ala
gauche de Temboucluire du Rhone ,
tome II. G
* by Google
no Ob sb a Vat ion*
une pretention un peu faftueufe. Ife
croient recevoir , en naiffant , plus
d'imagitiation que le refte des Fran-
£ais. lis font perfuades , ( & le font
de bonne foi ) , qu'un des attributs
de leur climat eft l'imagination. II
n'y a pas bien long-tems que dans
le Journal de Paris , Tun d'entfeux
parlait de t exaltation di fa tete me-
ridionals Un de mcs critiques, cite
plus haut , nc nous a-t-il pas peinr
fes compatriotes comme doutfs dune
fenfibilite profbnde , d'une imagination
vive & brillante, Ce qu'il dit k ce
fujet n'eft point Teffet de 1 amour-
propre , puifque lui-meme n'eft point
poete y non , il parle en homme qui
annonce une verite reconnucj il la
pofe en principe, comme un fait
avere & qu on ne peut revoquer en
doute.
Pour moi, je vais en pofer un
autre qui, je I'avoue 3 fera moins
favorable aux tetes meridionales , k ce
;d by Google
StfR LES TrOZ/BADOURS* HI
pays fi fecoitd en imagination : c'cfl:
que non-feulement les deux Pro-
vinces dont j'ai parte , mais memc
toutes les Provinces troubadouref-
ques enfemble , n'ont pas & citer un
feul Poete du premier rang. Oui ,
je le repete, pas un feul; 8c ceci
au refte n'eft point une exageration.
En veut-on la preuve I Elk eft fa-
cile y il ne s'agit que de nommer
dans chaque genre les Auteurs les
plus celebres, & cfaercher enfuite
ceux que dans ce nombre elles peu-
Vent revendiquer.
Pour la Tragedie , Ton trouvera
Corneille , Racine > Crebillon, Vol-
taire: pour la Comedie , Moliere,
Regnard , Deftouches , la Chauffee,
Dufrefni , Dancour > Marivaux ; Y Au-
teur de la Metromanie , celui de
Nanine , celui du Mediant &c. :
la Satire offrira Boileau , Regnier >
VAuteur du Pauvre Diable & du
«*# a Paris : 1'Ode , Rouffeau ,
G z
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in Ob s zrva t io k s
Malherbe :^ la Poefie •didadtique %
Boileau : les Fables & les Contcs ,
la Fontaine : THeroide , Colardeau. :
FOpcra , Quinaut , la Motre , Ber-
nard , Fontenelle : rEpigramme ,
d'Aceilli , Rouffeau , Piron : la Poefie
fugitive,, Chaulieu, Greffet, Cha-
pelle, Deshoulieres , Dorat, Pavilion,
Voltaire : la Poefie epique , Voltaire
& Boileau , &c. &c.
Mais e'eft affez d'exemples. Je
laiffe au Ledeur'le plaifir dy fup-
pleer pour les autres genres que je
n'ai point nommes, & meme d'a-
jouter > dans ceux quon a lus , les
noms que jai pu omettre.
Je m'abftiens auffi de tirer les dif-
, ferentes confequences qui refultent
de toutes mes obfervations. Quclles
qu elles foient, je protefle , en finif-
fant y que mon intention n'a ere
d'offenfer perfonne, & que dans
route cette queftion fi j'ai revele
quelque verite peu agreable , jc n'ai
* by Google
av* lss Troubadours, uj
parle au moins que d'apres ma feule
convi&ion intime , & fans aucun
motif dc pafrialite. Eh ! que m'in-
portc i moi encore une fois le mi-
rite des Troubadours & celui de
leurs neveux ! Quand meme les uns
&: les autrcs feraient en Poefie bien
au-deflbus de leur reputation , com"
me fen fuis convaincu, & commc
je crois Tavoir prouve , qu en re-
fiilterait-il pour ma gloire ?
Je me flatte que les Gens-de-Let-
tres qu'intereffent ces reflexions dai-
gneront les lire avec des yeux auffi
indifferens que les miens ; & qu'ils
ne croiront point leur merits per-
fonnel detruit avec celui des Ri-
meurs de leurs Provinces. Je n*i
point Thinneur d'etre leur compa-
triote ; mais reufle-je ete , je n en
eufle pas moinfc publie, auffi impar^
tialement, tout ce qu'on vient de
lire; & j'ofe meme aflurer que moa
amour-propre n'eut point reclami
G j
;d by Google
H4 Observations sur les Tr.
uh feul inftant. Quoii parce que
Dijon fe vante d'avoir produit Cre-
billon, Rameau, BofTuet & Piron,
je mc croirai humilie moi , d'etre
ne dans une villc qui n'a donne i
la Litterature que Voiture & Gref-
fet! Non certes. Pardonnons aux
gens fans merite de fe glorifier de
celui de leurs ancStres. L'homme de
Lettres ne connait ni ancetres ni
patrie. Si la fienne n'a point enfante
de perfonnages illuftres , e'eft k lui
de rilluftrer y telle eft la gloire ou il
doit pretendre : ou plutot il ne doit
etre que Fran$ais , ne connaitre que
fe gloire de la France , & n'etre ja-
loux que de celle-la feule.
;d by Google
FABLIAUX
OU CONTES
DU XIP ET DU XIIP SIECLE.
; ' ,i I' g
LAI DE COURTOIS.
ce Jt\ llons, allons , dcbout 5 c'eft
» afTez dormi. II y a long-tems que 1c
» roffignol chante , & il fait Jour j vdus
» devriez d^ja etre aux champs avec vos
» betes. — Eh quoi ! mon pere , tous les*
r> jours me coucher tard & me lever matin 5
90 parbleu , d c'eft-la la vie qu vous me
» deftinez , elle eft aufli par trop dure.
ip Je vous fers de mon ^ieux , & vous
C 4
;d by Google
n6 Fabliaux
» me traitcz en vrai ferf > tandis que
» mon frere cadet vit pres de vous fens
w rien faire , ou qu'il perd au Tre'merel
n ce qu'avec bien des fueurs nous gagnons v
r> tous les deux *>.
Tel eft le dibut de cine piece originale , qui
n'eft rien autre chofe 'que la parabole de V Enfant
frodigue mife en action. Ten ai pen vues
d'avfft mal icrites , (/ dont la narration fiti
aujfi obfeure & avffi diffiife; mais elle a cela
de Jlngulier qu'd I'exception de huit ou dix vers ,
tout s'y trouve ou en dialogue ou en monologue ;
en un mot , c*eft une efpece de Drame , dans
lequel cependant les diffirentes aclions fe fid-
vent fans aueune interruption ni changement it
fc\nc> Ainji le Prodigue , reduit au plus grand
hat de pauvrete y forme la refoluxion de re-
tourner che{ fon pere ; Cr dans le vers fuivant
11 eft reprifente dfes genoux Cr \ui demandant
pardon* Une autre fingulariti digne inattention
eft un monologue que VAuteur a fait en vers
Alexandrins , tandis que le re(le de la piece eft
en vers de quatre puds, Je vais donner Vextraie
de ce qui fuiu Cet exirait amenera quelques
remarques importances que le fiijet me donnera
lieu de faire fiur Vorigine du Theatre francais»
'due » je penfe , d ce Fabliau* Elles firontfiiy
* by Google
O U C O N T B S. 117
vies de quelgues pieces curieufes que 'je croit
inconnuts*
Le pcrc defend fon fecond fils contre
les reproches de l'aine\ Cct aind prdnd de
Thumeur , il vcut s'en aller & demandc
cc qui lui appartient. Lc pere lui donnc
foixante (bus , qu'il accompagne de {ages
tvis fur la maniere de fe conduire. L'c^
tourdi , e'bloui de cettc fomme qu'il croit
ne devoir jamais finir , part fort cQntent.
Dans fa route il emend crier , bon vin
de Soijfons a fix dtnitrs It Lot *. UAu- * Mejvrt
bergifte Tinvite a cntrcr j il lui fait dcs * e d ?**
politeflcs & lui offre une chambre dans j^ rc "
laquelle il trouvcra un bon lit fait a la
franfaife , haut de paille & mou de
plume , avcc un oreillcr parfum^ de
violettes ; de Me&uairc & de l'eau rofc
pour fc laver le vifage ; cnfin toutes les
petites recherches qu'on peut defirer,
Courtois entre. On lui donne a boirc.
Enchante* de remprcfTement qu'on marque
a le fervir, il s'applaudit d'avoir entre-
pris dc voyager* & tout en fe moquant
des avis circonfpects de fon pere , il
trouve quilf ait-la mtillcur qua Viglife*
Q 5
* by Google
nS Fabliaux
Un moment apres il eft accofte* par one
fille de joie , nommee Perrette , qui lui
prefentc la tafle d'argent pour boire 8c
qui lui fait compliment fur fes beaux
yeux & fur fes graces. " Que je me trou-
,, verais heureufe , dit-eile, d'avoir fi bel
„ ami ^ Je voudrais qu'ii n'eut rien a faire
M & qu'on ne put trouver en France ni
„ Due ni Comte auffi-bien mis que lui „.
La-deflus arrive une autre droleiTe qui ,
feignant, quoique d'intelligence avec la
premiere , de venir-la par hafard , s'en-
tretient tout bas avec lui du mente de
fa compagne , & le fclicite d'avoir ren-
contre' pareille aventure. S'il ckerche uh
cocur sur & fidele , c'cft-la fon fait , il
lie faurait mieux trouver. Elles Pagacent.
On boit enfemble , & meme on ne veut
qu'une tafTe pour les trois. Les deuxco-
quines lui avaient vu de f argent dans fa
bourfe , & avaient complot^ avec 1'Au-
bergifte de le lui d&ober : c*eft ce qu'elles
font en propofant de jouer a la Merelle.
pendant le jeu , la bourfe eft efcamotee ,
£c elles difparaiflent. I/Hotelier fe prefentc
alors pour demander fon paicment. Cour-
;d by Google
O V C O N T E S. II9
*0\s n'ayant plus rien a donner eft de-
pouille' & abandonn£ ainfi far le grand
chemin. Sans argent & fans reflburces ,
il fe rappelle , mais trop tard , les avis de
fon pere , & fonge a ce frere qui nage
dans l'abondance , tandis que lui il va man-
quer de tout. Un Payfan touche* de fon
£tat , lui propofe de garder fes pour-
ceaux , & il fe trouve trop heureux de
raccepter. Le pain dont il eft nourri , eft
du pain d'orge , rempli de paille
Le refit comme dans VEvangile.
Dans la Bibliothcque du Theltre Frar^afs ;
t. 1 > p* +, on trouve une piece de. ^Enfant Pro-
.digue , femblable au Fabliau,
U n'y a gueres que des conjectures i donner
fir Vepoque bjur la veritable origine du Th&atrt
«n France. On en attribue communiment la
nriflanct d la devotion de quelgues particuliers
S*i fitant reunis fous le nom de Confreres de
la Paffion , commencerent , en 140* j d repre-
Jtnter fur des treteaux , drejfes dans Far'u 4
G *
* by Google
no Fabliaux
l*H6tel de la Triuite , des fijets dcpUti gu'otf
appclla Miftercs.
Iftift du Parfait x b Beauchamps "font remonter IV-
"Re h V ^ * e notre Seine jufqu'aux Troubadours ;
firltTh* & P arce 5" c t* s ^o'etts Provcngaux, ainfi que
les Jongleurs , ont etc quelquefois appelUs Co-
mics j par un abus de termts auffi reprehenfible
jue Vignorance mime ils inferivent en tkt de
leur Ufle dramatique ces Chanfonniers , tout-d-
fait itrangers d notre Zittcrature francaife , C*
encore plus d notre Litttrature dramatique.
D'autres trompis parties mots de Comedies,
Tragedies , Representations , qu*on rencontre
dans des Ecrlvains anterieurs aux Troubadours ^
nous donnent un The'dtre dis la feconde Race*
Iliacos intra muros peccatur , & extra*
Les premiefes pieces dramatiques connues 6*
Imprimies font , fans contredit^ les Miftcres. II
y en a eu cependant de reprefenties dans Paris
avant celles des Confreres de la Paflion. Unt
«n m t ' vieille chronique en vers ** parlant de la fitt
Jiiite du ?"* donna Philippe-le-Bcl en i j ij , tTVoccafion
Rom, de de la Chevalerie conferee d fts enfahs , die que
tauy.ma- y en & am l es quatre jours que durerentles rcjouif-
R 4 6811. f ances » on eut dijjirens fpeftacles qui reprifen-
taient Aim & Eve t Its trois Rois { It maJfacrA
* by Google
O U C O N T I S. lit
atcs Innoccns , N. S. riant arte fa Mere b man-
geanr dcs pommes , Us Jp fares difant avec hd
leurs patendtres , la Decollation de S. Jean-Bap-
, tifte t Hiroie 6* Ca'iphe en mitre, Pilate layout
fis mains , la Rtfitrre&ion, le Jugement, un Pay*
rails dans lequel an voyait quatre - vingt - dim
Anges , un Enfer noir & puant oil tombaient Us
Repr olive's, b d'oii fortirent cent Biables qui
cllaient faifir dcs ames gu'enjuitc Us tourmen- .
taient.
Parmi ces Jujets devots, le Chroniqueur en
eompte plujicurs dans un autre genre; tels qui
des forces fatiriques , b dcs danfes on panto-
mimes burkfques ; deflinies probablement 4
(gayer le Jerieux de la Piicefainte , en f err ant
fintermeie, ou, felon Vexprefion du Jiecle ,
d*Entremets, dfes dijferens aftes. Ces Entre*
mets (taient des Ribands qui danfaitnt b chan-
taient en chemife, un Roi de la fere , un Tour-
nois tfenfans , un homrne fauvage, un louf qui
filait, un rojjignol b d'autres oifeaux qui chan-
taient ; enfin } la vie entiere du Renard , d'abord
Tdiiecin b Chirurgien , puis Clere b chantant
une epitre b un hangile , puis Evfque,puis Ar-
thevique 3 puis Pape a b tou jours mangeant
poules & pouffins. ( II fera parU plus bos 4a
tttttdcrnitrt allegoric.
* by Google
*n Fabliaux
Ces dijferentes pieces ne font point parvenuei
jufqiCd nous ; mais fen ai dicouvert trois qui
font ante'rieures , & que je vais donner ici ,
comtne des monument pre'cieux pour Vhifioirt du
Thidtre Cf dt la Poifiefrangaife. On les doit d
no* Fabliers. Ce font eux qui ont ouvert en
France la carrier e dramatique; &• le genre dt
lews Outrages , faits pour etre chantes ou de-
dame's pat des Minitriers a devo.it naturellement
les y conduire ;fw-tout quand lews Contes , dia-
logues , comme ils en ont quelques-uns , ojfraient
le ricit alternatifde deux perfonnages, LaTra-
gedie che[ les Grecs rieut point une autre ori-
gine. Pow avoir un vrai Dramt , U nefallait
qu'augmenter le nombre des interlotutews f?
joindre d ce ricit une action.
Cefi ce qu'a fait d fa manlere VAuttw du
Lai qu y on vient de lire; le plus ancien , ait
moins Ji Von en jug e par le fiile , des Owrrages
dmce terns qui ojfrent quelques traits de phijio-
nomie dramatique, 6» VAdam, felon moi, de
tons les Mifteres , Farces , Socties & Moralices
qtCont produit les trois Jiecles juivans. Son in~
forme production n'eft quun cahos oil to us les
dement <& Part Je trouvent confondus. Trois
Au^ews contemporains , Ruttbeuf, Jean Bodel
f? Adam de Le Hale ( ct Pqete furnommi t l*
* by Google
OU CONTES, IZ£
Boffu d*Arras , dont $n lira ci-aprls un morccau
intitule le Mariage ) , donntrent Us premiers ,
chacun d lew majdere 3 quelque arrangement &
quelque forme d ces principes bruts & grojjiers.
Dans la piece de Rutebeuf qui va fuivre , on
trouvera des perfonnages clairement dejigncs ,
des fdnes diftinfles , une aflion qui marche &
fid amene un denouement, II eft prai qu'on ne
fourra gueres s*empeeher de rire quand on verra
en quoi confiftent ces difiinclions de fcines t plus
ridicules encore que le fujet 6* que le choix de
quelques-uns des perfonnages ; mais ainfi dans
/on enfance marche I'ejprit humain. Aujourd'hui
qut Viniuffirie (* les arts nous ont procure 4 mille
cpmmoditis Juperflues , nous nous moquons du
ttms ou nos Aieux marchaiene nus pieds. Ce~
fendtnt ceiui qui le premier alors s'avifa de.
creufer un morceau de bois pour s* en fair e une
chaujfure, etait ajfurementun homme fortfupi-
riev a fes contcmunrains.
%#
* by Google
124 Fabliaux
Par Ru- LE MIRACLE DE THEOPHILE*
tcbeuf.
Mordite avec perfonnages, tirte dumanufcrit
de la Bill, du Roi , n* 7» i * > M- l & » **£
col. I.
PERSONNAGES.
1a Sainti Yier.ce,
L'ivEQOE DE SlCILE.
Theophilb, Sincchal du dernier Evipic,
Pierre, *J
Thomas, V OJfrieri (fc FEwtpe*
PlNCEGUERRE, J
S a latin , Magicien.
Satan.
M,
E X T R A I T.
onologue de Th^ophile qui ,
deftitue* de fa place de Senichal par fon
fcouvel Eveque , fe plaint de la mifere
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, O V C ON T E $• llf
tm il fe trouve. II a tout donne* aux pau*
vr£s , & Yoit fa famille expofte a mourir
de faiiti. II fouhaitc la mort au Prelat
& fe deTefpere. Enfin , il prcnd la reTo-
lution d*aller trouver lc forcier Salatin.
Lc Magicicn lui promet de le faire ren-
trer dans fa place s'il veut renoncer a
Dieu & a fes Saints. Thfophile dans &
colere s*y engage & fort.
Monologue ou il peint ks divers mou-
yemens dont fon ame eft agitee :
Dieu affiigi ^ .
Picx m'a greve , jc rgreverai ,
Jamais
James jor ne le fervirai,
lui rendrai la parcilh
Je li envi :
Jijefuispauvrt
Riches ferai , fe povres fui 5
S'il me hait
Se il me hec , je hairai lui ;
le tiens quitte
Je li claim cuiue.
Salatin eVoque le Diable en faveur dtf
Th^ophile.Satanparaitj il promet de fervir
le Sen&hal difgracie & lui donne rendez*
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n<> Fabliaux"
vous dans un vallon qu*il d&igne. TWo-
phile vient chez le Magicien chercher r£-
ponfe. On l'cnvoic an lieu diCigni 5 & le
Diablc , avant tout, exige qu'il lui fade
hommage les mains jointcs , qu'il de-
vicnnc fon komme (a ) , & fe donne a lui
par un billet fign£ de fon fang 5 precau-
tion , dit-il , qu'il fe voit obligd d'em-
ployer parce qu'il a 6ti fouvent dupe.
TWophile confent a tout. On lui fait jurer
aufll de nc jamais fecourir ni pauvre , ni
malade , ni orphelin ; de renoncer pour
tou jours au jeune & a l'aumone, &c. en-
fuite on le renvoie en raffurant que fa
place lui fera rcndue. L'Eveque en effec
reconnait fes torts. Ii envoie chercher
TWophile par Pinceguerre , lui parle avec
ftmiti^ & lui rend fa place.
Theophile content , nargue a fon tour
Pierre & Thomas qui avaient infulte* a
fon malheur. Mais il ne tarde pas a re-
connaitre fa faute, & vient dans une
Chapelle fupplier la Vierge d'avoir piti6
. de lui. D'abord elle rejette fa priere &
veut le chaffer. Elle fe laiffe enfin ^mou*
voir , & Failure quelle lui rendra fon billet
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O U C O N T E S. 12?
II fort> Marie appellc Satan pour lui re-
demander la c^dule. Satan refofc de la
xendre ; mais fur la menace qu'elle fait
de lui fouler la panfe , il la remet.No-
tre-Damc vient elle-memc enfuite Tap-
porter a fon protege' , & lui ordonnc
d'aller la dormer a r£veque , qui , pour
inftruire les Fideles dc la m&hancete* de
rennemi commun, la lit publiquement
en chaire & finit par fairc chanter un
Tc Deum.
'Afin de ne pas interrompre le rich , je
jCai point voulu parler de la divijion des dif-
ferences feints. Elles font de'fignies par ces
paroles du Poetc* Ici vient Th6ophile & Sala-
cn Or fe d6parc Theophile dc Sala-
tin. • • • Ici parole Salatin au Deable. . • •
Or vient le Doable qui eft conjure. . . •
Theophile revient A Salatin , &c» t?c. La
piece eft en vers de qu&tre pieds ; mais VAw
teur en change la forme plufieurs fois. On a
vu qu'elle ctait celle du fecond monologue ;
Celle-ci eft encore emplojie plus has au moment
§u la Vierge vient dans la Chapelle* Let
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n8 Fabliaux
regrets it Thiophile a quand il reconnait Jon
crime , font exprimis en dou\t firophes ou
couplets de quatre vers Alexandria* chacuru
La priere qu'il fait d la Vierge eft de neuf
firophes en vers de trois pieds , G» I* exhortation
enfin de V Eve que au peuple en condent cinq
de quatre vers fir une rime feminine.
NOTE.
(a , Exige quit devienne fon homme. )
Quiconque reccvaic ou cntrait en pofTefliou
d'un Fief, devaic faire hommage au Seigneur 5
& par cecte cercmonie il devenaic Ton homme*
On faifaic hommage a genoux , la teie nue ,
fans 6pee & fans cperons , les mains jointes
& renfermees dans celles du Suzerain , lequci
ctait a (lis & couverc. La for mule du ferment
prononcee , celui-ci donnait rinveftkure du
Fief & baifait fon Vaffal fur la bouchc.
Prefque toutes les terres en France Scant fco-
dales , il y avait tres-peu de grands terriens qui
jrie r«cuflent & ne fiflrnt cour-A-cour pluficurs
hommages. Le Roi luj-mSme le devaic a fes
propres fujecs quand il cenaic d'eux quelque
Fief. On lie dans Br u (Tel des a&tfs de Phi-
lippe-Augufte , ou ce Prince reconnait qut
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r
OU CONTES. *lf
let Evequcs de T6roucnnc & d' Amiens Pont
difpenle de rhommage auquel il 6tait tcnu
▼is-i-vis d'eux. S'il n'y a point de preuveJ
que nos Hois Patent fait en perfonne , il 7
en a qu'ils Pont fait faire quelquefois par
procureur.* II en 6tait de meoie du fervice pour * Differ*}
la tcrre , quand le cas 1'exigeait : ils nom- J*j rlt - ta *
maienc alors un ou plufieurs Nobles pour en jr r .
Paquitcer , fit c/tte Jurifprudence fc trouve par Mm
confirmee i l'lgard de Phil ippe-le- Bel , par ^^
un. ArrSt de la Cour des Grands-Jours de _ x8o»*
Champagne, en 1186. Ce font encore la da
ces vSrites que peu d'hiftoriens ont le cou-
rage d'avouer , to'ut indifrerentes qu'elles foot
aujourd'bui. • •
'Tai tlri la piece Jitivantc <Tun manufcrit dt
Jf« le Due de la Valliere , que m'a commu-
nqui Vhomme de Uteres favant (f officieux*d
qui itait confiie cette riche Bibliotheque que fes
Joins ont formie* Les vers ici font , comme
dans le Miracle de Theophile , de diff&entes
formes ■: tamfo ils ont huit filiates , tantSt
fist , tantSt doute. Quelquefois les rimes y
tint erodes i quelguefoU dies font croijees &
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130 Fabliaux
redoubles. UAuteur a donni d fori Drame le
titre dt Jeu ,* nom que porte aujji la Paflorale
qui Juivrt , 6* que portaient probablement let
Pieces dramauqu.es , parct qu'elles fe jouaicnc
far Us Minitriers,
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O U C 6 N T E s. ij|
LE JEU DE S, NICOLAS* Par Jean
PEflS02V2\MGEs.
Un A n ge.
S a i n t Nicolas.
Un Chevalier Chretien.
Un Vieilxard Chretien,
yiufieurs Chretiens.
Tervagant, Tun des Dieux pretendtxs <fe*
Mahometans. *
Le Roi d'Afrique.
Son Senechal.
{D E C O I $ N E.
d'Oliferne.
de l'Arire-Sic,*
d'Orcanib,
Aubehon, Courier*
Cohnart, <~« :r public,
Un Tayirnier*
Caigne, Garc,on du Tavernier*
Cli qu e t,"J
P i n b d s , > Voleurs.
RAS O I R, J
Durant, GSoIier.
Un premier Acteur.
• Oeigneurs, & vous , Daihcs ^
• &outez-nous. Nous voulons aujourd'hui
;d by Google
iji Fabliaux.
„ vous cntretcnir dc Saint Nicolas I<^
„ ConfefTeur , qui » tait tant de beaiufr
,, miracles , lefquels font vrais* j["
„ Il y avait jadis Un Roi qui iaifait la
M guerre aux Chreuens 8c qui les defo-
M fait par des incurfions journalieres fur
» leurs terres. Un jour qu'ils n'etaicni
„ point fur leurs gardes , il les furprir SC
„ en tua ou enleva un grand noihbre*
^Parmi ces derniers fe trouvait unvieit-
„ lard refpe&aWe. Saifi au moment qu'il
„ Itait en prieres devant une ftatue de
„ Saint Nicolas, il tut, avec la ftatue *
„ prcTenti. au Roi pa'fen. Villain , lui dit
M le Prince, tu as done confiance dans cfc
„ morceau de bois } Sire , repondit le pru>
„ d'homme , e'eft l'image d*un Saint que
f , j*honore. Jamais hommc ne Veft re-
„ commande* a hii , qu*il n*en ait M fe-
„ couru auffi-tot : jamais on ne lui a rien
„ confie , qu'on ne Tait trouve* , pcu de
„ tems apres , mulriplie avec profit. Eh
„ bien, je vais lui confier mon treTbr,
„ repartit le Roi. Je verrai s'il le fait mul-
„ tiplier ; mais s'il y manque , e'eft a tot
M que je m'en prends , & tu pcux t'at-
„ tendre
;d by Google
OV CONT!S. IJJ
5> tendre a £tre lardi. Alors il envoya lc
+, prud'homme en prifon , & fie couchex
j>i J'image du Saint dans le coffre od £taic
.„ {on treTor. Mais pendant la nuk le coffre
9 , ayant hi enleve* par des voleurs , lc
„ Roi furieux fit maltraiter le vieillard.
„ Celui-ci invoqua i'affiftance de fon pro-
„ te&eur ; & le Saint qui ne voulait pas
„ Tabandonner alia trouver les voleurs
„ qu'il avait expres endormis, & les obligea
99 de rapporter le treTor. Touche* du pro*
99 dige , le Roi (e convertit & fe fit ba*
M tifer avec fef Sujets.
„ Voila , Meffieurs , le beau miracle
n qu'on lit dans {p. vie du Saint dont de-
5, main fe cel£bre la fSte. Nous allons
„ vous le repreTenter j & tel eft lc fujet
w de notre Jeu. Faites'filence, nous com*
9> mencons. „
On ne pent nier que ce nefoit U un pro-t
logue trh-difiinil , &• Vannonce d'une virir
table piece dramatique. Cepeniant comme cette
Piece n*efi en grande partie que le miracle du
prologue , unpeujtendu ; qu'elle effl trte longut
(f encore plus enriuyeufe , je crois Juffifant d'e*
donner un court extrak.
Tome II. H
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134 Fabliaux
Le Courier Auberon ouvre la fcene ; en
fouhaitant au Roi une longue prbfperite' ,
& fur-tout le bonheur d'exterminer fes
ennemis 5 mais il lui annonce que les
Chretiens ont fait une irruption fur Csl
terre. Le Roi furpris ne peut le croire.
Son Sen&hal avoue que depuis lejour ok
Noe fit I'arche , jamais on ne vit pareilie
hardiefle j neanmoins il eft force* de con-
firmer la nouvelle , & dit que fi on ne
repoufTe au plutot ces Ribauds , tout le
pays va etre ravagd & brule\
L e Roi a fon Dieu Tcrvaganu
Fils de p QuoK j*ai fait couvrir
d'or ta laide figure , & tu me laiffe disho-
norer a ce point i Je regrette bien main-
tenant ce qu'il nVen a coutd pour roi. Jc
veux te faire fondre & te diftribuer en de-
tail a mes gens. . . Senlchal je fuis dans
une telle fureur que je ne me pofTede plus.
Lb Senechal.
Sire , vous ne devriez* pas vous per-
tnettre vis-a-vis de Tervagant des difcours
que vous n'oferiez tenir i un Roi , ni memc
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OU C'ONTES. I3J
a un Comte. II ne faut jamais maudire fcs
Dieux. Mais puifque vous me demandez
nwn avis , je vous dirai que le parti Ie
plus {age dans ce moment eft d'aller les
genoux & les coudes nus , implorer le fe*
cours de Tervagant , & lui promettre ,
s'il veut humilier les Chretiens, vingt
marcs d*or pour couvrir fes joues,
Le R o i. '
Allons done , puifque tu le veux. . . ,
Tcirvagant, j'ai lanfe* dans mon chagrin
echapper contre toi mainte folie ; j'en dis
ma coulpe & tc demande grace. Souviens-
toi de notre loi, Sire ; accorde-nous ta
protection contre ces Chretiens qui te mau-
duTent, & daignqp nous en afTurer d'a-
vance par un fourire ii je dois les vaincrc ,
ou par des pleors fi je dois en etre vaincu...
Sen&hal , l'as-ru remarqu^ comme moi 2
II me femble que Tervagant a ri & pleuri
tout-a-la fois. Qu'annonce ce figne 1
Le Senechal.
Sire , il faut vous fier au ris , voui
vaincrez les Chretiens,
. Ht
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%$6 Fabliaux
L e R o i.
Soit j & maudit celui qui park ou penfe,
tutrement. Senechal , fais crier le Ban.
D'apres cet ordre le Crieur Connart
annonce aux Vaflaux du Roi qu'il leur
eft enjoint de fe rendre en armes fous
fes e'tendarts. On lui donne des lettres
munies du fceau royal , pour aller publier
par-tout le meme commandement 5 & il
part. Mais il entend crier dans une ta-
▼erne , du pain frais , des harengs chauds
& 4u vin d'Auxerre. Il s'y arrete pour
boire Scjoue avec le garcon. L'inftant
d'apres on le voir parler aux Amiraux dc
Coine, d'Orcanie, d'Oliferne & du Sec-
arbre , qui promettentJ»des fecours. Lcs
troupes arrivent ; le Monarque en donne
le commandement au Senechal. Celui-ci
les anime au combat , & d'une yoix una-
nime , tous s'e'erient : marchons , Maho-
met tordonnc.
Les Chreuens voient Iuire dans la plaine
les armes Mahom&anes 5 mais ils font
glacis d'effroi a l*afpe& des troupes in-
combrables des Infideles. Un des leurs
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O U C N T I S. I37
feft obligi de les ranimer , en promettanfc
le Ciel comme r£compenfe a ceux qui
mourront pour la gloire ^e Dieu (a). Un
Ange vicnt de la part du Tres-haut leur
faire les memes promeffes. II leur an-
nonce qu'ils fcronc vaincus, mais quele
Paradis les attend.
L'Amiral de Coine recommande auz
ibldats Mahometans de maflacrer fans mi-
f&icorde tous les foldats Chretiens. Pour
lui iLveut de fa feule main en abattrc
autant quun moijfonneur ah at £ipis d'or-
&. L'Amiral d'Orcanie a peur qull ne les
tue tous , & le prie de lui lauTer au moins
le plaifir d'en exterminer quelques - uns.
Celui de 1'Arbre-fec s^crie : la void cette
Nation exicrable qui maudit Mahomet f
frappe^, frappv£> On combat, & tous
Jes Chretiens font tais.
Un vieillard Chr&ien eft furpris par
les Sarrafins priant un Mahomet cornu M
C Saint Nicolas , ainfi nomine* par eux a.
caufe de fa mitre ). lis conduifent le pru*
d'tomme k leur Roi , &c* &c &c
Hi
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ij8 Fabliaux
^D'aprh le prologue on devine It iefte 4e
la piece , b ce qu'on vitnt d'en lire Jiiffii
pour en donner Viiie. A trovers tow fes
defauts on y remarque beaucoup de mouvement
& d y action , If fur-tout un grand Jpc&acle ;
jpuifqu'independamment des principaux ABeurs
fpiifont afle{ nombreux , elle ofirait deux armies
if un combat* Qhe^ nos Dramatiques modernes
Its perfonnages difcourtnt beaucoup, parceque
les Auteurs , infiruits dans la theorie de leur
crt , veulentetaler de Eloquence, Tout s'y
pajfe en beaux collogues , en e'claircijfemens
& en dijputes. Che{ un Po'ete ignorant , tels
Qtitaient Its mdtrcs , ces jeux d'efprit font
fa angers : comme il ne fait point Vart de
faire dijferter fes heros , il les fait agir 9
Voye\ dans Shakejpeare quel fracas d'aclion*
N O TE.
la Tnomenant le Ciel comme ricomptnfe d
eeux qut mourront pour la. gloire de Dieu. )
Autre prcjuge de ces fiecles. Comme on
croyHt fake uae a uvre meritoire en egorgeant
* by Google
O V C O N T £ 5. IJ9
les Infideles , on croyait auifi mincer le Ciel
en mouranc dc leur main , op meme feule-
ment fi. Ton mourait ■ dans une Croiiatjc
contrc eux 5 dc e'eft la le principe de cecte
forte de fureur epidemique qui , pendant deux
cens ans , porta la Nation vers ces-guerres
religieufes. Joinville , dans fa Vie de S.
Louis', remoigne fa furprifc de ce qu'on * Pag, 44
n.'avait pas mis ce pieux Monarque au rang
des Martirs , pour les grans peine* qu'ilfougrit
eu (au) pilemnage dt la Croix , par Vefpact
de fix ans* Car ainfi quenotre Seigneur Dieu,
dic-il j eft mort four Vumain lignage en la
Croix , d femblable mourut croiJH a Tunes *
U bon Roy S. Loys,
Le 3 en' qui pa Juivre eft d*un genre different
if d'un gout bien autrement dilicat que les
deux pieces pricidentes. Quelquefois cependant
la fuccejfton des evenemens y manque aujjl
d?une 1 ertaine vraifemblance , fame de prepara-
tion ou d*un jufte intervalle de terns. Robin ,
far exemple , fort pour oiler chercber /ft
camarades ofin d'amufer fa maitreffe , 6* au
vers Juivant il leur parle dejd, Mais on doit
pardonntr ces difauts d la barbaric (Tun fiecU
* by Google
140 Fabliaux
ou Von ignorait mime ju'iZ y eut un art &
des regies ; G» cette jolie paftorale avtc unc
marche claire , avtc des mctwrs antiques 9
fimples 6» pures , prefente d'ailleurs des d(-
tails fi a gr tables (St une naivete fi exquife , qua
fi on la compare aux Mifteres & aux Soma
que renferment les premiers Ages de Vkifloire,
de notre Thidtre , on ne pourra jamais croire
d la prodigieufe diftance d'une degeneration
pareille.
Elle efi entremflie de plujlewrs morceau*.
de chant* fen iniiquerai quelquts^uns.
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OU CONTES. 141
*■ ■'■■ ■ ■ ! — »
LE JEU DU BERGER
ET DE LA BERGERE.
7irl du manufcrit de la Bibliothegue du Roi »
»• 7#4-
PERSONNAGES.
Aubert, Chevalier.
Marion ou Marotte, Maltreffe de Robin (<*)•
Perette , amie de Marotte. *
Robin , Amant de Marotte.
Gau tier* ' r Bcr S ers & P arens de Robin.
Mahotte chants.
Robins m'aime , Robins m'a ,
Robins m'a demande fi m'aura 5
nCaacheti
Robins m'acata cotele ( cottejbrtc tfha*
lillement )*
D'cfcarlace bone & bete , ;
petite ccinture s
Soufcanie \ & cheinturelc. * ( Autre habilltg
Robins m'aime , Robins m'a (fr). mint. )
E X T R A I T.
Un Chevalier, nomrnt! Aubert, ford
$rcc un faucon fur le poing pour chaffer *
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t4* Fabliaux , ;
pafle aupres de la Bergere 5 il faccofte 9
lui fouhaite le bon jour , & lui demande
pourquoi clle repete Ci fouvent & avec
tant de plaifir 1c nom de Rotin. " Sire ,
n repond-elle , j'en ai ai fu jet 5 c'eft que
„ j'aime Robin & que Robin m'aime. Et
„ il m'a bien montr^que je lui fuis cherej
„ c'eft lui qui m'a donne* cette panetiere ,
„ cette houlette & ce couteau „.
Elle demande a fon tour au Chevalier
ce que c'eft que cet oifeau qu'il porte fur
le poing , quelle eft fa nourriture & fon
ufage. Sur les reponfes Iqu'on lui fait ;
<c Robin, dit-elle, n'a pas de ces gouts-la-
„ Il {ait nous amufer ; audi , quand il joue
§> de fa mufette , tout le village accourt „«
A u B e R T.
Faites-moi une confidence , jolie Bergere ;
feriez-vous d'humeur a aimer un Chevalier *
MiROTfE,
Beau Sire , vous pouvez continuer votre
ehafle, Je ne cpnnais point les Chevaliers
& ne veux aimer que Robin. Tous les
jours , le foir & le matin, il vient mc
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OU CONTES. I43
voir 5 il m'a encore apporte* aujourd'hui
dttiromage frais & du pain*
A U B E R T.
Douce Bcrgerette , venez avec moi. Vous
monterez fur ce beau cheval , & nous
irons la-bas dans le vallon jouer au bord
dc ce bofquet.
Marotte.
Sire, quel eft votre nom ?
A U B E R T.
Aubert.
Marotte en chantant*
Sire Aubert, vous pcrdez ici votre
terns 5 je n'aimerai jamais que Robin.
Aubert,
Mais favez vous que je fuis Chevalier ,
$c que vous n'etes qu'une Bergere, vous
qui faites tant la dedaigneufe }
Marotte.
Votre Cbevalerie ne vous fcra pag
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444 F a b t i a u s:
aimer davantagc. Jc nc fuis qu'une Be*S
gere , il eft vrai 5 mais j'ai un ami gai r
Jrien fait & joli.
AUBEKT.
Bergere , puifque e'eft ainfi , n'en par-*
Ions plus. Que Dieu vous fafTe gouter
avee votre ami beaucoup de plaifir 5 je
Vous quitte. II fort en chant ant,
Marotte refHe feule chante audi en ap-
pellant Robin. Celui-ci l'entend de loin ,
& repute le refrein de la chanfbn de fa
Mie. EUe le reconnaic a fa voix, il arrive,,
Marotte.
Robin , tu ne fais pas , doux ami , ce
qui vient de m'arriver 5 mais au moins
je t'en prie , ne te fache pas. £coute , il
eft venu tout-a-1'heure un beau Monfieur
a cheval qui m'a pri£e d'amour 5 mais il
a perdu fes peines , je te ferai toujours
Robin qui eft fort jaloux s'emporte en
menaces contre le Chevalier. II protefte
que s'il avait pu &re avertf*plut6t 8c
4Unener fes deux coufins, fon rival ne fe
ferai*
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OU C.ONTSS, I4J
lerait pas ainfi retire* impunement. Ma-
rotte le calme de Ton mieux &, propofe de
manger enfemble. On met fur l'herbe des
prunes qu'il a apporties , du fromage &
<Iu pain. Robin s'affeoit a cote* de fa Mie ,
& ils dinent gaiment. Apres ce repas fru-
gal , il la prie de lui donner le chaptl
qu'elle porte j elle le lui place elle-meme
fur la tete > & en retour , il annonce qu'il
va chercher Baudoin & Gautier fes cou-
fins , afin de pouvoir pafTer agreablenient
le refte de la journe'e. Marotte le prie d'a-
mener audi fon amie Perette, Robin parr,
& va les avertir.
Le Chevalier pendant ce tems revient
aupres de Marotte., Sous pretexte de de-
mander des /nouvelles de fon faucon ,
qu'il pretend s'etre dchappe , il renoue unc
' converfation avec la Bergere , & declare
qu'il fc confolerait bientot de la perte 3e
Toifeau , s'il pouvait avoir (i gentille amie.
L'autre repond toujours qu'elle n'aime que
Robin, & prie le Chevalier de la lailfer,
de peur qtie fi Robin furvenait & qu'il. la
trouvat caufant avec quelqu'un, il ne lui
«n voulut Sc ne cefiat de 1'aimer.
Tome II I
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itf Fabiia V X
Robin arrive en effet en jouant de fo£
flageolet d'argent, Aubert qui veut lui fairef
. une querelle , Taccufe devoir tue* fon fau r
cdn & le frappe. Marotte demande grace
pour celui qu'elle aime. Volontiers , dir
Aubert; a condition que vous viendrez
avec moi. Elie a beau refufer , il l'enleve*
Mais elle fait des cris fi affreux , elle le
d£bat fi violemment qu'il prend le parti
de la lacher , & de s'en aller. Elle ac-
coiirt auffitot vers Robin & lui demande
s'il eft blefft.
Robin.
Marotte, je fiiis gueri puifque je te vofcj
Marotte.
Eh bienl viens done m'embraffer.
Puis vpyant arriver tout-a-coup Perrette*
& les deux Coufins qui la furprennent
eifcbrafTant fon ami , elle refte interdiw
& confufe. N'ayez, pas home , lui dit Gau*
tier en riant 3 il eft mon Coufin.
/ Marotte.
Ce n'eft point par rappon a vous quf
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OU C O M T E S. I47
je fuis fach^e , Gautier ; mais c'eft qu'il
eft H etourdi qu'il m'embraflerait dc meme
devant tout le village.
Robin.
Eh ! qui pourrait s'en empecher.
Pour oublier le moment de chagrin qu'a
donne* le Chevalier , on s'amufe a de pe-
tite jeux , tels que S. Coifne. Gautier fe
charge de faire le Saint , les autres vont
*. genoux lui porter un prefent. Il em-
ploie , pour les faire rire , dift&rens moyens ;
& quand il y ituft\t , le rieur eft oblige*
de dormer un gage. On joue enfuite an
Roi. Ceft Baudouin qui Teft. Il s'afTeoit.
On commence par le couronner ; Perrettc
lui pofe pour cela fon chapel fur la tete ,
& enfuite les Sujets s'avancent pour lui
rendre leurs hommages. A mefure que
chacun fe prefente , le Roi lui fait ou une
queftion ou un commandement. Par exefh-
pie , il demande a Gautier s'il eft jalour.
« Je Tai hi , repond celui-ci. Un certain
5, matin j'entendis frapper a la porte de
5, ma Mie , & je foupconnai que c'^tait un
», amoureux ; mais je ne fas jaloux que
I x
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148 Fabliaux
,, ce jour-la „. On demande dc meme k
Perrette quel eft le" moment ou Amour
lui caufe la plus grande joie. " Sire , r£-
„ pond-elle , c'eft quand celui qui tnt
„ donne* fon coeur & fon ame vient dan§
„ les champs me tenir compagnie , &C
„ que , fens dire chofes villaines , il s*ak
„ feoit aupres de moi ,,. Robin eft in-
terroge" a fon tour 5 & le Roi fatisfai&de
fa reponfe , lui ordonne d'aller donner a
• Marotte an baifer fi doux qu'il puifle
plaire a la pucelle.
G A U T I E R.
Marotte , reponds au Roi 5 comment
aimes-tu Robin , ce joli garcon , qui eft
mon coufin ?
Marotte.
Sire, je Paime plus que toutes mes
brebis enfemble , & meme plus que cello
qui vient de me donner un agneau.
Pendant qu'on joue , un loup parait qui
emporte un mouton de Marotte. Robin
court apres Tanimal , arme* d'une maflue ;.
il Tatteint , & lui arrache le mouton qu'ii
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O U C O N T E S. 149
rapporte a fa Mic. Le Roi , pour rlcpm-
penfe, lui adjugc un fecond baifcr. Bau-
douin demande a Perrette fi ellc ne fe
fent point l'envie d'en faire autant. Non %
r£pond-elle , je n'y fongc pas : & d'ailleurs
quel eft celui qui voudrait de moi 1 Les
trois Bergers s'ofrrent a Pcnvi , mais elle^
les refufe. On interrompt le jeu pour
gouter. Chacun des Coufins avait apporte*
quelque chofe , Pun du jambon , Pautre
du fromage de lait de brebis. Robin , fous
pr&exte d'aller chercher quelque chofe
auifi,vaau Tillage & amenedes Menteiers.
Sa premiere phrafe , en arrivant, eft de
demander a Marotte fi elle Paime , &
Ton devine quelle eft la reponfe. Ma-
rotte voyant rever Gautier lui demande
a quoi il penfe I
Gautier.
Ma fbi , je penfe que fi Robin n'e'tttit
pas mon coufin , je t'aimerais de tout
mon cceur. Tien , Baudouift , regarde *
cft-ce la une tailie }
1 i
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Ijo Fabliaux
Robin.
Ocez , otez vos mains de la, s'il vous
plait.
G A U T I E R.
Quoi I tu cs deja jaloux }
Robin.
Oui , je Jc fuis.
M A R O T T I.
Tu as tort ; & vous , Gautier , point de
ccs jeui-la dorenavant , je vous en prie.
Mais commencons notre fete.
Gautier annonce qu'il fait chanter en
d&lamant , & veut en donner des preu-
ves ; mais comme il commence une chan-
fbn poliflbnnc , on lui impofe filencc,
Robin propofe alors de danfer , & il dame
avec fa Mie
La Juke manque , parce que les dernieres
fcuilles du manufcritft trouvent dtchiries. Celui
rie M • It Due de la Vallitrc , ou ec Jeu fi
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ou C'ONTis, rji
trouvt aujji , & ou it eft attribuc d Mam dc
It Hale , contient quelques vers de plus , que
chance Robin > 6" dont le fens eft : Vcnez
avcc moi le long du fender , venez avec moi
le long du fender du b6is.
Je ne dome pas que le Mariage du mime
[Adam y qtton va lire d Pinftant , 6* qui eft
mijji intitule Jeu , ne joit un Drame du terns ,
6 1 qtCil n'ait etifait pour ttre joue comme les
deux dernier s, Tav oncer ais volontiers la mimt
chofe pour les Croifades de Rutebeuf, Fabliau
qui fuivra celui du Mariage. C eft, felon moi ,
un vrai Jcu , avec fon prologue , comme S.
Nicolas.
Le manufcrit de M* le Due de la Valliere en
contient encore deux autres dont je ne fais
point mention , tant ils font plats. Le moins
mauvais tft celui -qui portt le titre du Pelerin p
fcf dans lequel un Pelerin veut en faire ac- ;
croire d des payfans* Les uns fe moquent de
lui , les autres veulent le battre,
Je fuis convaincu que ce ne font point Id
les feuls anciens Jeux qu'on trouvera dans les
manufcrits , Ji Von veut y fouiller ; mais ceux-
ci du moins Jbnt fuffifans pour prouver que
Vtpoque de notre Thtdtre rem'onte plus haut
tpiou nt I* a cru jufqu'ici , 6* qu'au trei\iemt
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i J2. Fabliaux
jiecle nous avions dcjd des Drames , & mime
des Drames dans plus d'un genre , puifque
volld une Paftorale , wie Faree ( le Jeu du
Pelcrin , ) deux Pieces devotes , Cf deux Pieces •
morales ( le Mariagc 6* les Ctoifades ). De ces
trois demurs genres naquirent . vraifemblabtc-
ment les Mifteres 3 les Farces 6" les Moralitcs
du quiniieme Jiecle. Mais ce qui marque le
mauvais gout de ce dewnier terns , e'eft que
le genre abfurde de Rutebeuf t? tie Bodel fut
imite' , b que la Paftorale charmante d'Adam
ne le fut pas*
11 y aurcit encore fur cette matiere intiref-
fante guelques queftions d faire. ?°« Les Mc'nJ-
ticrs qui reprifentaient les Jeux en reprifen-
ta:ent-ils plujleurs defuite , (fplufieurs d'efpeces
diffiJrentes ? Je le crois* lis fe trouvaient
inter ejfis d varier les plaijirs de leurs Audi-
teurs ; 6* fai dejd remarque qu'd la fete que
donna Philipe le-Bel en ?ji} , il y tut une
Farce 6» des Mifteres.
2°. Les villes tfayant point , comme au-
jourd'hui 3 de fpeclacles regie's , quandfe reprt-
fentaient les Jeux I Je Vignore. Mais comme
il n'y avair que des Princes 014 de grands
Seigneurs qui fujfent en e'tat de faire ces di-
$enfes , on peut conjeclurer que e'eiait un
* by Google
O U C O N T n, ( iyj
4es plaijirs des Ccurs-Plenieres (f des grandes
folemnite's* On a vu dans celui de S. Nicolas
qu'il Jut joud la veille de la flte du Saint : il
riy eft point dit Ji ce jut pour cilibrer edit
d*un Grand, ou pour quelque cirimonie de
devotion*
3°. Let Afleurs avaient-ils un Theatre i
Avaient-ils des decorations $ Ces decorations
dans le Jeu ,4u Berger , par exemple , dtaient-
tllet differentes de celles du Jcu de S. Nicolas $
Les apparitions du Saint 6* de VAnge dans
€ett€ dernier e piece , celle de la Vierge dans
le Miracle de Theophile ,fc faifaient-elles par
des machines t Yavait-il des troupes de Mine-
tiers affc[ nombreufes pour reprifenter avec
quelque forte de vrqifemblance un combat entre
les Chretiens & les Mahometans f La troupe
avait-elle des ASlrices pour les rSles defemmes,
eu dtaient-ce des ABeurs habilles en femmes
qui jouaient ces rdles f Satan , VAnge , h
Vierge , £. Nicolas , Tervagant , les Sarrtjins ,
evaicnt Us ' des habits de coftume i Le Cheva-
lier Aubert paraijfaitil reellement fir la fdn%
monte far fon cheval ? Y voyait-on Robin Cf
fa Bergere collationner 6* danfer ', 6 1 le Courier
Auberon boire 6» jouer dans la taverne ? Dans
les Pieces qui avaient du chant , cumme le leu
u
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tj4 Fabliau x
da Berger , Vd&eur (tak-il accompagni par let
inftrumens f FiniJ[ait-on It Miracle dt Thiophilt
par ah Tc Dcum tn chaeur % Cfc fc»c. 6»r. A
toutts ces qutflions favout avte chagrin qut jc
n*ai point dt riponft ; ptut-itrt euffe-jt pu la,
fairt Ji f avals at tn main plus dt mamifcrits*
Ellt rtgardt ctux qui tntrtprtndront dt trahtr
un fijtt qu'tn ct momtnt favout n'itrt pas It
mien*
JTai trouvt dans Its poejits mamtfcrites
cPEuft. Def champs , qut poffteaic M. dt Saint"
Palaye , unt Comidit d'Amphytrion. Mais ceci
tfi pofieritur d nos Fahlitrs , Gfntlts rtgardt
pas. Jt rttournt d tux*
NOTES.
{ a f Marion maiwtfft dt Robin. ) Je nc
doutepas que ce ne foit cette Piece qui a donne
lieu d l'expreflion proverbiale , ctrt' tnftmblt
tommt Robin 6» Marion.
* ( b , Robin m'aimt , Robin rria. ) I/Auteur
met ici dans la bouche de Marotte une Chanfoa
du terns, du nombre de celles qui couraicnc
parmi le peuple. Je Tai trouvee dans un re-
tcueij de Chanfonniers anterieurs a laPaftorale ;
;d by Google
ou Comti.s. iyy
dependant lcs quatre dcrniers vers font diffe-
rent , quoique le fens en foic le merae :
Robins mVchata corroie (sourfoic, cfmturc)*
Ec auraonicre de foie ;
I'aimerais-jepasi
Pourquoy done ne I'aimeroie \
&obins m'afane > Robirootfu
16
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Xj6 FABUAJt
Par A. IE M A R I A G E.
dam dele
Halc,fur- Alias
nomme
U Boffu LE JEU D'ADAM,LE BOSSU D'ARRAS*
F A v C h 9 T en fait mention*
Les manufcrits qui offirent Ji fouvent plujieurs
verfions tout -a- fait differences fun mime Contc*
offrent quelqutfois aujji pour ces verfions un
different titre. On en a vu un exemple dans le
Fabliau <f Hueline , & Von en verra heaucoup
dkmtrts dans la Jitite. Taurai foin d chaque
Conte de tranferire ces titres , comme je le fais
pour celui-ci.
II commence par dou\e vers alexandrins S
tout le refte eft en vers de quatrepieds.
Le Poete nous apprend dans une autre piece
que le Jitrnom de Boflii lui avait etc 4 donni
tomme fobriquet ,fans quit le me'ritdt par unfi
rm its reelle.
J.VJLes amis , favez-vous pourquoi j'ai
changi d'habk ? Vous m'avez vu mari£ ,
;d by Google
O U C O N T E S. IJ7
jc mc iais Clerc , & viens vous dire
adieu. Paris ( a ) m'a ofFert des Beautis
dignes dc mon coeur , je vole le re-
trpuver. Ce n'eft pas a ton qu'on vantc
cette ville j & vous voyez que je n'y ai
pas perdu mon temps. — Infenfe* 1 quel
eft ton pro jet } Tu crois bonnement qu'on
va voler au-devant de toi , d& que tu
te preTentefas ? Non , jamais homme de
mente ne fbrtit d'Arras (£). Tu auras
beau te faire annoncer , on te laiflera
dans l'oubli. — Dieu m'a donne* quelqu'ef-
prit , je veux en profiter. Ici'je ne trouve
que des fbts qui me rient au nez quand
je leur recite mes vers. Ma foi je ne
trouve point parmi eux affez d'agrement ;
& entre nous , j'ai tire un affez boh
parti des Belles de la ville , pour n*y
regretter perfbnne. — Et la commere
Maroie , que devlendra-t-elle? —Ma
femmc } Je la laiffe chez fon pere. — Ne
t'attends pas quelle y refte , elle voudra
t'aller retrouver. Et toi-meme auras-tu la
durete 1 de sparer ainfi ce qu'a uni l'Eglife,
— Faut-il vous parler vrai ? Eh bieni
j'ai feit une fotrife. J^tais , quan<J j*
;d by Google
$58 Fabliaux
Tepoufai , jeunc & ardent 5 a cet age 1c
coeur s'enflamme comme paiile , & la
taifon nc park gueres > bref, je devins
amoureux. Vous eft-il arrive* quelque-
fbis de voir un beau jour de printems ?
Les oifeaux chantent > le ciel eft ferein,
la terre verte & fleurie , l'eau des ruif-
feaux claire & brillante. L'hiver vient
enfuite ; & plus de chant , plus de ver-
dure : tout change. Mes amis , voila en
deux mots mon aventure. Ma femme ,
quand je la vis la premiere fbis , me
parut blanche comme lis , vermeille comme,
rofe. Je lui trouvai l'humeur joyeufc ,
la taille bicn faite , Tail amoureux. Peu
de tems a fuffi pour lui faire perdre
tous ces avantages 5 fon teint eft devenu
jaune , fa taille epaifle , fon cara&erc
trifle & grondeur. — Elle eft la memc
encore ; vous feul etes chang^ , & ji'en
lais la raifon.
fait
.... Ele a fee envers vous
marchi
Trop grant marchic de fes denreesj
• Et tel eft feffet ordinaire des plaifirs
;d by Google
O V C O N ? £ S. If$
qti'on a droit d'exiger. — Tel eft auffi
Tamour $ il embellit . tout , & d'une laide
femme peut a fon gti faire'une belle
Reine. Les cheveux de la mienne qui
aujourd'hui me paraiflent noirs ( c ) &
pendans , me femblaient alors blonds ,
luifans & boucle's. Ses yeux qui me
femblent petits , je les trouvais bleus,
charmans & bien fendus. Couronn& par,
tin fourcil brun & deffine* comme au
pinceau , quand elle vous lan^ait un re-
gard il n'etait pas poflible de s'en d£-
fendre. Sur fes joues vermeilles & arron-
dies fe creufaient , dans le moment du
rire , deux jolies fofTettes qu'on croyait
voir naitre au milieu des rofes. Non ,
je n*imagine pas que Dieu puifle faire
un vifage plus agreable. Que vous dirai-
§e ? Son petit pied , fa jambe fine , fon
menton fourchu , fes dents petites , blan-
ches & ferries , tout m'enchantait. Ellc
nc s'en appercut que trop la friponne ;
ellejoua lareTerve, affe&a des rigueurs ,
& ne fit , comme vous vous en doutez
bien , qu'accroitre mes defirs. Un grain
de jaloufie, le deTcfpoir ? la rage, que
;d by Google
i6o Fabliaux
fais-je ; tout s'en mela. Plus j'aimais ,
moins j'avais dc raifon. Enfin je n*y pus
tenir & j'epoufai. Voila comme je fus pris.
Mais je n'ai point trouve" ce qu' Amour
me promettait 5 & puifqu'il ne m'a point
tenu parole , il m'eft permis de lui en
manquer a mon tour. Ainu* done , tandis
qu'il eft terns encore de me repentir , &
t avaHt qu'une groflefTe ou d'autres ob£-
tacles viennent m'arreter s je prends mon
parti , & je pars j car ma faim eft en-
ticement appaifee.
NOTES.
(a, Paris m'a offert des bcautes dignts de
mon cctur. ) Quoique Paris alors file bien loin
d'etre ce qu'il eft devenu depuis , cependant le
f£jour qu'y faifaicne les Rois , 1'afHuence des
Strangers qu'y actirait la c&ebrite des Ecoles ,
plus de facilite pour les commodity de 1st vie ,
line liberie plus grande , inseparable des gran-
des villes ,* une police meilleure en bien des
points que celle des autres , pouvaienc .en fake
tin lieu de del ices & de plaifirs. Une chanfon
fit* x;w e ficclc , iiree d'un manufciit qui a ap-
;d by Google
o tj C o m t e s.. itfr
partenu au Prefident Bouhier, apres avoir parl6
des reflburces qu'offirait cc fejour pour lc luxe ,
pour la bonne chere Seles agremens de la vie,
ajoute qu'on y trouvera des Dames d'honneur:
& quelques aucres d'une vercu moins farouche
pour le iecours de ceux qui font preffes*
trouve-t-on J
Et fi trueve-on entre deu«
moindre qualiti
De menre fuer pour homes defireus .
( b , Jamais homme de merice ne forth
itAiras ). Ce reproche fait a la Ville d'Arras
a ete renouvejle , il n'y a pas long-ccms.
L'Abbe le Bceuf a cru devoir y repondre *; & * A la
pour le detruire il cite le nom de quatre ou fid** <*«
cinq Precres ou Clianoines qui, dans le xi a ^ /'
ou xu fi fiecle , ont ecritfur l'Office divin & fur \^ tat & 9S
la Mefle. 'Outre Adam de le Hale , on compte Sciences
encore parmi les Poetes d'Arras , au xme en ran ~
(iecle , Jean Bodel dont il vient d'etre parle \ t #ni .ft*,
plus haut 5 & Ton a vu que ces deux Au- bert,
teurs font , avec Rutebeuf , lqs premiers qui
aient fait en Fiance , ou du moins les pre-
miers dont il nous foit parvenu des Pieces
dramatiqiies.
{ c , Les cheveux de la mifnne qui an-
jourSJiui mi paraiffent noirs & pendans , me £f
;d by Google
nCi Fabliaux
femblaitnt dots blonds , luifans & bouclis. J
J'ai deja prevcnu qu'on ne voyait loues dans
Us Fabliaux que les bcauces blondes : ici
voila des cheveux noirs regardes comme une
marque de laideur. Ccpendant avee des che-
veux blonds & des yeux bleus , le Poete
donne plus bas 4 fa Belle des fourcils
i>runs»
;d by Google
C U C O N T £ $• l£j
LES C R O I S A D E S. £K? ■
Alias
DISPUTE DU CROIsi ET DU NON-CROIst
Cette piece , fur lejujet de laquelleje m'interdis
toute reflexion , eft remarquable par fa forme ;
front compojee de trente couplets , chacun de
huh vers , Jur deux runes croiJe%s qui font al-
ter nativement , excepti dans quatre ftrophes ,
tnafculine & feminine, Les cinq premiers cou*
f lets ft trouvent employe's pour Vexpofition; les
pingt-cinq autres font prononce's par les deux
Intcrlocuteurs 3 qui tour-d-towr en difentchacw
tm , ou chacuu deux*
J e mc promenais a chcval 1'autre jour
( c'&ait vers la Saint-Remi , ) & je mar-
chais tout penfif , fongeant a nos pauvrcs
Chretiens d'Acre , que rennemi prefTe ,
& que les Chreaens d'Europe abandon-
nent. Cette penfte douloureufe m'affc&a
fi fort, que fans m'en appercevoir jo
;d by Google
1^4 Fabliaux
# m'egarai. Revenu a moi , & cherchant
quelqu'un qui put mc remettrc dans ma
route , je vis par hafard fortir cTune
maifon peu eloignee deux Chevaliers ,
qui apres leur fouper, allaient refpirer
l'air de la campagne ( b ). lis s'affirent
au pied d'une haie & cauferent avec affez
de chaleur. Comme la haie nous feparait
& que je pouvais tout entendre fans etre vu,
je m'approchai , j'ecoutai un inftant. Uun
des deux avait pris la Croix ( c ) 3 il
exhortait fon compagnon a fuivre Con
cxemple, & lui parlaft ainfi.
Vous favez , bel ami , que Dieu vous
a donne* une ame raifonnable capable
de difcerner & le bien & le mal , &
qu'il vous a promis , fi vous pratiques
ce qu'il ordonne , une grande & magni-
fique r^compenfe. Or il vous offre en ce
moment l'occafion de la marker, Vous
n'ignorez pas en quel &at fe trouve la
Terre-Sainae. Le Royaume de Dieu eft
en proie aux Infideles. Si nous avons
quelque courage , venons-nous de fang-
froid une profanation pareille $ & pou-
yons-nous mieux employer qu'a fa gloire
;d by Google
O \f CONTBS. l6$
la vie & les biens que fa main nous a
donnas (<0.
Je vous entends, repondit l'autre. Vous
voulez , n'eft-ce pas , que pour ailcr ,
£ii prix de mon fang , reconquerir un
pays lolntain , dont on ne me laiiTera riea
quand on^en fera le maitre , j'abandonne
ici & que je laifle en garde aux chiens
mon heritage , ma femme & mcs enfans \
J'ai fouvent entendu dire , ce que tu
liens , gardt'le. Ce mot a un grand
fens. 11 me dit que ce ferait foUe de
quitter cent fous pour en aller gagner
quarante en folde. Dieu ne nous enfeigne
nulle part a femer ain£ 5 & qui fait ce
meuer , court grand rifque de finir par
avoir faim.
Lfc C a 01 s I.
Vous naquites nu du fein de votre
mere , & cependant vous, voila grand ,
fort & bien vetu. La Providence a pourvu
a tout. OubUez-vous d'ailleurs que Dieu
rend au centuple ce qu'on perd pouf lui ,
& ignorez-vous que ce n'eft pastrami-
teraent qu'il donne fon Paradis (e).
;d by Google
3 66 Fabliaux
Le No n-C r o i s e.
Ami , jc vois tous les jours des gens
qui out travaille* toutc leur vie & fm£
fang & eau pour amafTer quelquc chofc.
On les envoie pour leurs p£cWs a Rome ,
en Afturie (/) , je ne fais ou ; & j'ignore
ce qu'on leur fait dans ce pays-li : mais
je les vois tous enrevenirnus, &n'avoir
plus ni valet ni fervante. On peut fervir
Dieu ici comme a Rome & menter Pa-
radis fans courjr fi loin. Vous croyez ,
vous , quil faut ppur cela paffer la mer 5
& moi je tiens que ce n'eft pas etrc
fage que d'aller bien loin fe faire le fervi-
teur d'un autre , tandis qu'on peut de
meme chez foi gagner le Ciel & vivrc
en paix dans Ton heritage.
Le C r o 1 s i
f Ce que vous dites eft tel que je ne
dois pas y repondre feneufcmait. Vous
penfez done vous fauver en riant & fans
peine 5 tandis qu'il en a coutd la vie aux
Martirs , & que tous les jours vous
voyez des p&utens renoncer a tout , alk*
;d by Google
OU CONTES. l£#
fc'enfevelir dans des Monafteres , & n$
croire jamais en faire affez pour merited
la recompenfe qu'ils attendent.
L E N O N-C R O I S E.
/ Sire , en honneur vous parlez tres-*
bien ; mais que n'allez-vous precher tous
ces riches AbWs , ces gros Doyens & ces
Prelats qui fe font vouis a fervir Dieu t
Quoi 1 ce font eux qui ont ici bas tous
fes biens 5 & e'eft nous qu'on vient ex-
horter a aller le venger \ Convenez-en ,
la chofe n'eft pas jufte. Helas I peu
leur importe la grele ou l'orage 5 les reve-
xms leur viennent en dormant. Ma foi ,
fie'eft par ce chemin qu'on va en Para*
&s , ils ieraient fous de le changer 5 cai?
je doute qu'ils en trouvent un plus doux«
Le Croise. /
Laiflez-la les Pr&ats & les Pretres „'
& confidcrez le Roi de France qui , depo-
sit fes enfans entre les mains de Dieu(#) y
va expofer fa vie pour lauver fon amc."
H quitte bien plus que nous afTur^ment |
& neanmoins rien ne L'arf£te.
;d by Google
*i6B Fabliaux
Lb Non-Crois£.
Mon ami , je dors touteS les nuits en
paix , je ne fais tort a perfonne , je vis
bien avec tous mes voifins ; & par Saint
JSerre , fi cctte vie vaut celle d'aller an
loin obeir a un autre , je veux encore
la mener quelque temps , & rire ici 8c
chanter avec eux. Pour vous , qui vifant
aux hauts faits d'armes courez abattre
outre-mer l'orgueil du Soudan votre mai-
tre , dites-lui , je vous conjure , que je
me ris de fes projets & de fes menaces.
S*il vient me troubler dans mes foyers ,
oh i alors je faurai me defendre : mais
s*il refte chez lui , qu'il ne craigne rien,
je n'irai certe$*pas rattaquer.
L e C r o i s i.
Vous ne parlez que de vie & de di-
. vcrtiffemens. Eh 1 croyez-vous done vivre
coujours ? Peut-etre votre terme eft-il
proche ? Buvez , mangez , enivrez-voik j
demain , aujourd'hui peut-£tre , vous ne
ferez plus. La Mort marche au milieu
dc nous , la maflue levee 5 jeunes &
Yieux ,
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O U C O N T E $• \6§
vieux , elle renvcrfe a fes pieds tout ce
qu'elle rencontre. Si par hafard elk vou*
menac^ait , que de reproches en ce mo*
ment votre confeience aurait k fe faire !
L E N O N-C ROISE.
Sire Croife* , il y a des chofes qui m'e*-»
tonnent toujours. Beaucoup de gens y
grands & petits, fages & honnetes ,,vo«t
dans ce pays que vous vantez tant. lis
s'y conduifent bien , je n'en doute pas ;
leur ame en eft fan&ifie'e , allurement.
Cependant ( & je ne fais comment cefa
arrive) , quand ils en reviennent ce font
des mcchans& des bandits (A). Au refte,
je le Tepete , fi Dieu eft par-tout , il eft
audi en France 5 & il ne s'y cachera pas
expres pour moi. D'ailleurs je vous dirai
a Poreille que je paffe hardiment un
ruifleau 5 mais* il y a tant d'eau depuis
Acre jufqu'ici , & elle eft fi profbnde
que , fi j'y plpngeais par accident, j'aurais
peur d'y rafter.
L E C R O I S E.
Encore une fois , vous ne parlez qut
Tome II. K
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170 Fabliaux
de vivrc , & vous # ne fongez done pas
qu'on meurt ? Que deviendrez-vous quand
arrivera ce moment } Voulez-vous ref*
fembler a 1'animal de votre e* curie , qui
finit d'exifter fur fa paille 1 Ah ! mon
ami , penfez a l'Enfer 5 & noubliez pas
que pour fauver fon ame , il faut perdre
fon corps & renoncer a fa femme & a
fes enfans.
L E N O N-C R O I S £.
Sire , vous m'avez convaincu. Je me
rends a votre Eloquence tranchante , 8c
confacre a Dieu ma vie & mes plaifirs.
Au nom du Roi de gloire qui , pour
nous racheter , fe fit une mere de (a
creature, je veux prendre la Croix comme
vous & meriter de voir la-haut tant de
merveilles. Car qui ne ferait rien pour
y entrer , ii ferait bien jufte qu'il reftat
a la porte (/).
1 ■
NO TE S.
( a , Ruteleuf. ) Ce Fablier , Pofe'te & Me-
ijiccrier en meme terns , ne mourut que vert
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OU C O N T E S. 171
T3IO-; il floriflait fous S. Louis , auqucl
mcoic plufieurs morceaux dc fes poefies font
-adrcflcs.
( b, Qui aprfo fouper allaient refpirer Vair
dc /a campagne. ) Commc on foupait de
tres- bonne heure , ainfi que je i'ai d6ja remar-
que , les Gens de qualite fe promcnaient or*
dinaircmenc a vane de fe couchcr. On a vti
dans Je Lai de Lanval , que e'eft a Tune de
ces promenades d'apres fouper qu'arrive l'aven-
ture principale du beros.
( c , Vun des • deux avail pris la Croix* )
Tout le monde fait que ceux quife vouaient
aux gueres faintes de ce terns allaient prendre ,
des mains des Prelats ou des Abbes, une
Croix qu'ils coufaient fur leurs habits entre
les deux epaules , ou plus ordinairement fur
l'epaule droite 5 & que e'eft de 14 qu'ils s'ap-
pellerent Croifis. Dans les guerres contre lef
•Albigeois , on portait la Croix fur la poitrine .
pour fe diftinguer des Croifes d'outre-mcr.
( d , Verrons-nous de fang froid une pro-
fanation pareille. f Et pouvons - nous mieux
employer qu'd fa gloire la vie &• les liens que,
fa main nous a donnes. ) Tels etaient cxac.
tement , & prefque mot pour mot , les
jnotifs qu'alleguaienc alors les Predicatcuri
K x
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172 Fabliaux
dans lcurs Sermons , & les Papes dans lcurs
i pi eur : letcres pour exhorter aux Croifades \ Rute*
t. xvi , beuf parait n'avoir. fait qu'analifer lcurs
del'Hift. ra if ns.
Eccl.Pr. ~ , - . ,.. ,
p 'I (e , Ce n eft pas gratmtement qu u donne
fon Paradis ). II y a enfuite dans Tociginal : Les
Princes des ApStres ne crurent pas tropj aire ,
en mow ant poUr le mcriter : le fecond Che-
valier re pond : Ces deux ApStres ctaient des
fots* J'ai fupprime cette impiete fans efprif
(f, On les envoie pour leurs fechis en Af
turie, ) Apparerament qu'il y avait alors dans
cecre Province un pelerinage celebre , qui
■n'eft plus connu aujourd'hui ; ou peut-ccre
que le Fablier , par une ignorance crop com-
mune aux Poe'ces de fon rems , aura place
dans les Afturies S. Jaques de Cornpoftelle ,
qui eft en Galice.
(g , Confide'rei le Roi de France qui
depofantfes enfans entre les mains, de Dieu ..)
Le Roi done il s'agit ici eft Saint Louis. U
avaic , quand il panic , crois enfans 5 deux
gardens &c une fille ? qu'il laifla fous la tu-
tclle de la Reine Blanche fa mere.
( h , Quand Us en reviennent , ce font des
biichants & des bandits, ) Ce n'eft pas ici un
frail de fatire de Rucebeuf. Les Auteurs dt*
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DU CONTES, 173
tCmr font aux Croifes les m£mes reproches
.que lui 5 & il n'y a chez tous les Hiftoticns
qu'un cri concre leurs defordres. Je ne jiris
pas Jurpris quHls foient vaincus , difaic Sala-
din leur cnncmi : Dieu ne^peut ace order la x
vicloire d des hommes Jl vicieux.
(i ) Si j'ofais hafarder fur cetce piece une
conje&ure , qui pourraic , felon moi , y
ajouter quelqu'interet : je dirais qu'elle me
feniblc avoir ete faite en 1146 , quand
Saint - Louis ayant pris la Croix , fit voeu
duller a la Terrc - Sainte. On fait que ce
yoyage , contte leqUel les regies de la verita-
ble prudence * pouvaient faire beaucoup d'ob- » rr-« j.
je&ions , fut aflez generalement defapprouve 5 Fnparle
que la Keine Blanche employa tout, larraes- PfreDa*
& prieres , pour PempSchet^ que l*Eveque de m€ *
Paris chercha lui-m£me & en difluader le
Jloi , &c. Rutebeuf paraic avoir voulu auffi
lui en montrer les inconveniens 5 & il s'y prend '
d'une maniere , fort ingenieufe pour fon
terns , en fuppofanC deux inrerlocuteurs qui
difputant fur les Croifades , 6 talent ainfi ce
qu'on pouvait dire de raieux alors pour ou
contre. Mais tandi* que Tun n'allegue jamais
en leur faveur que des. motifs de devotion ,
i'aucre , deployant contre elles le farcafine,
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174 Fabliaux
le ridicule & la plaifanterie , les atwque en-
core avec des raifons excellences. Le denoue-
ment fur-tout , ou le Poe'te fait prendre le
Croix au fecond Chevalier , me femble une
chofe aflez adroite. II ne pouvait menager
avec plus de refpeft la conduite de fon Sou-
Veraio , ni fe mettre plus surement lui-m£me
hors de route atteinte. Mais cette converfion
fubite , qui d'ailleurs ne detruit pas une feule
raifon , vient fi brufquement 5 & elle eft
enoncce mSme dans l'original d'une maniere
£ burlcfque que , loin de produire quelque
impreflion fur le Lefteur , elle ne fait que
le revolter.
Rutebtfuf , quand i\ vit U Monarque refter
Ssebranlable dans fa reTolution , changea de
ton fans doute pour lui plaire 5 car j'ai vu
cle lui quelques Pieces ou il exhorte tres-ferieu-
fement aux Croifades. Cette , bade flatterie
n'eut aucun fucces : il paraic par plufieurs
endroits de fes poefies qu'il yecut pauvte &
miserable.
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O U C O N T E S. • ijf
LE SONGE D'ENFER. Par
Raoul del
Alias Houdan^
ft^LE CHIMIN D'ENFEIL
Fauchet en park.
E,
in Conge doivent fc trouver fables.
Je revai un jour que je me faifais Pte-
rin , & que , jaloux de voir des pays que
d v autres n'avaient pas connus , je voulais
voyager en Enfer.
Au debut de ce Fabliau, en n'imaginerait
gueres que e'efi une piece fatirique. Ce que je
va\s en extraire Jbffira pour faire connattre
mix Gcns-dc-Lettres comment on maniait la
fatirt au XIII* Jiecle, De plus longs details fur
des Bourgeois oifcurs dont les noms ne nous
inter ejfent plus , feraient d coup stir ennuyeux.
Le Poete arrive d'abord a la ville de
Convoitife, ou il trouve Enyic * Ay aria
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i7§ Fabliaux
& Rapine. Avarice luwkmande des nou-»
velles de fes fujets ; il repond que les ri-
ches ontchafR Largeffe de defTus la terre,
& qu'on n'y en connait plus que le nom.
Rapine l'interroge fur les fiens $ il lui
apprend que le Royaume qu'elle a etabli
en Poitou eft toujours floriffant , & a ce
propos il fait une fortie contre les Poite-
vins. Plus loin il rencontre la demeure de
Filouterie qui lui fait quelques queftions
fur certains Parifiens , Gautier Morel ,
Jeanie Boflu d'Arras ,' Bojon & Fardoil-
liez ; fur Charles & Marie de la Loge ,
deux Bourgeois de Chartres , fes prote-
ges y fur un Michel de Troille , un Sal-
vage , & d'autres gens adroits quipojfle*-
dent le fecret d'etre toujours heureux au
jeu. Il rdpond que ces deux derniers font
aux troufTes d'un nomm£ Girard. Quant
aux deux Bourgeois de Chartres, ce qu'ils
aiment le plus apres fargent , dit-il , e'eft
Marie & Chaillo ( deux femmes de la ville
(ansdoutc ). Raoui vientenfuite a Ville-
Taverne ou il trouve Yvreffe avec fon fils
nit en Angle terre. Ce jeune homme eft fi
jrigoureux qu'il renverfe les plus forts {d}+
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O V C O N T E S. I77
De-la, notre voyageur paffe chcz Forni-
cation^ dont la maifon s'appelle Chatel-
B , > enfin il arrive a la porte d'Enfer
qui «ft gardee par Meurtre , Pefefpoir &
Mort-fubite. Il eft furpxis , en entrant , d'y
trouver des tables toutes fervies, & ce-
pendant la porte ouverte $ coutume bien
e'trangere en France , dit-il , oii chacun
maintenant s'enferrhe pour manger & ne
revolt perfonne a moins qu'il n'apporte.
Ce jour-Ule Roi d'Enfer tenait fa Cour.
U avait paffe par Vernon & faifait le foir
la revue de tous fes Sujets. Dans ce nom-
bre dtaient force Clercs , Evequcs & Ab-
Ws. Il fait afleoir tout le monde a fa table
& y invite le voyageur auquel il fait
fervir de la chair d'Ufurier & de Moine
noir (b) y engraiffes , l'undu bien d'au-
trui , l'autre de faine'antife. Comme notre
Pelerin ne mange point , Belzebut caufe
avec lui & l'interroge fur les motifs de
fbn voyage. Vers la fin du repas , le Mo-
narque fe fait apporter fon grand livre
noir fur le'quel font Merits tous les peckes
faits'ou a faire- Il le met entre les mains
flu voyageur qui 1'ouvre , & qui tombant
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178 Fabliaux
fur le chapitre dcs Menemers , y trouvc
e'crite la vie dc chacun d'eux. Jc l'ai rc-
tenue par coeur , dk-il, & fuis en e'tat
dc vous en reciter quclques Iraits curieux.
Mais tout-a-coup il s'eveille , & le Come
fink.
Dans la verjion du manufcrit&u Roi, n© 761 y,
Us Demons , apris s'itre bieri divertis , moment
d cheval 6» vontfur la terre chercher dt nouvelles
proies, Dans le manufcrit de S. Qermam , tous
Us ddtailsfont dijfc'rens 5 perfonne iCefi nommi ;
cefont Us picMs des hommes en general que It
Voyageur voit dans le Livre Noir, b il n* eft fait
rmlle mention des Mcne'triers*
NOTES.
(a ,11 trouve Yvrcflc avec fin fils ni en An-
glttzrre. Ce jeune homme eftfi vigoureux qu'il
renverfe Us plus forts ). L'Auteur dit ici qu'il
lui fallut fc battre & lutcer avec ce fils , comme
sHl fk'entrt dans Guingamp & dans Ruititr.
On fait quel a etc de tout terns le gout dcs
Bretons pour la lutte > encore aujourd'hui en
vigueur dans la partie de cette Province qu'on
nomme Bafle-Bretagne. Appareimnent que Jet
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O U C O N T £ S. I79
liabitans de Guingamp excdlaient dans cct
art , & que , jaloux dc conferver leur reputa-
tion , quand un etranger entraic dans leur
ville , les plus habiles d'entt'eux fe detaefcaient
pour venir le d 6 tier & lutter avec lui. Au
lieu d'Huitier, un maftufcrit porte Yticr. Je
ne connais point de ville qui porte Tun ou
l'autre de ces noms. ,
( b , On lui fait fervir it la chair d*UJurier
& de Moint noir ). On partageait rous les
Moines en deux clafles , les noirs & les bland ,
qu'on diftinguaic par la couleur de leur habit
& la difference de leur Regie. Ceux-li fuivaiei\c
cells de S. Benoit , & ceux-ci celle qu'on ap-
pelle de S. Auguftin. L'Autear fe declare ici
contre les premiers 5 fic^'ai vu avec furprife
dans millc endroits des p 06 fits du terns , le
meme acharnement contre les Moines noirs ,
tandis que les b lanes 6taient formellement dif-
tingucs. Je me concente de citer ce fair fur
lequel on nc.fera que crop de rlflexions*
3?
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tPar R u .
cbcuf.
180 Fabliaux
LE CHEMIN DE PARADIS*
E X T R A IT.
J— TAuteur , comme cclui du Fabliau
prudent , a un reve dans lcquel il veut
entreprendre le voyage de Paradis. Le
chemin en el): dtrok y raboteux & fati-
guant. Beaucoup de gens , rebutes , le
quittent pour en prendre un autre fur la.
gauche , qui eft agreable 8c feme* de
fleurs , mais qui .conduit a un abime*
Pour lui il eantinue fa route & arrive k
la*ville de Penitence^ ou iltrouve Vi6ti p
laquelle s'offre a Paccompagner , tanc
pour lui fervir de guide , que pour lui
apprendre a fe garantir des diiKrens en-
nemis qu'offrira le voyage.
Le premier qu'ils rencontrent eft Or-*
gucil dont le palais, bati fur une Emi-
nence & ornE par-devant d'un frontifpice
magnifique, par-derriere tombe en rui-
nes. Habile tantot en Eveque , tantot en
Archidiacre,
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6 U C 0-N;T E 5. l8f-
Archidiacre , en Prcvot memc & en
Bailli ( a ) , il dedaigne tout le monde ,
quoique fouvent fon infolence lui ait at-
tire de cruelles humiliations. Ses courti-
fans font vetus de foie ^carlate ( b ) &
portent en tout terns fur la t&e un riche
chapel (c)> II les fixe aupres de lui en
leur promettant des dignit& & des hour
neurs.
Plus loin eft Colere , le vifage rouge ,
les yeux enfiammds , grin^ant des dents
& dans fa rage fe d^chirant & fe frappant
clle-meme.
Au detour d'un vallon il voit Avarice*
EUe a de vaftes prifons dans lefquelles
'elle tient renferm^s fes fujets , maigres
& pales , affis fur des monccaux d'or
qu'attire un aimant particulier ( d ) , dont
(sl maifon eft couverte.
Au milieu de
Emmi la falle fur un coffre
trifie
Eft affife mate fif penfive e). .
Chez elle tout eft terme* a double feu*
xuie ? 6c Ton n'y entre que par unc
Tome IL L
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282 Fabliaux
feulc parte , dont die tient toujours \%
c\L
Tout au fonds de la valine s'eft retiree
i*Envie qui , felon Ovide (/) , dit l'Au-
teur , tient en main des Terpens dont elle
luce le venin. Toujours cachee dans Tom-
ire , elle n'en fort que pour venir fecret-
"tement epier fe voifins. Si alors elle en-
fend des gemiffemens & voit couler des
Jarmes, elle eft dans la joie; mais s'ils
rient ou slls chantent , elle pleure & fc
retire. '
Pres d'elle eft le. fejour de Pareffe, ha*
billee en Chanoine. "Du lit oii elle eft
couchee , elle entend le bruit des cloches,
qui Tappellent a Teglifc 5 elle maudit 16
fonneur & ne voudrait jamais & levet
<|ue pour fe mettrc a table.
Gourmandife , quoique malade encore
d'une indigeftion qu'elle a eue la velUe ,
ne fonge cependant qu'a retourner a la
taverne. Elle eft entouree de Moines &
de Pretres.
Plus loin enfin eft un manoir ou Ton
n'entre qu'avec home , ou Ton refte cache*
ttans les tenehrcs , & iod Ton ne fort
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6tJ CoNTES. 1%
que m&ontent. Lc Portier rebute ceu*
qui s'y preTentent les mains videsj il
ouvre a ceux-la feuls qui apportent. La
MaitrefTe les accueille, mais c'eft pour
les voler. Us y font vertus a cheval^ ils
s'en rctournenc a pied. AulG trcs-rarement
y reviennent-ils deux fois ; ou fi Ieur fai-
blefle les y entraine , ils fa vent que c'eft
fe preparer un reperitir. C'eft le fejour
de la Luxurc.
Rutebeuf apres avoir traverft heureu-
fement lc quartier des Vices , arrive enfiii
dans cclui des Vertus. Il voit Liberaiitc
qui eft mourante •> Franchise dont la mai-
fon eft prcfque deTerte , &c. &c. Enfin il
parvieric cfiez Confeflion oii il voulait
aUer ; 6c c ? eft-la ce qu'il appelie la vote
de Varadis*
NOTES.
( a , RailH ). Quant Tart de la chicane fe fuc
t*«fcdicmne & -que Petude ~des lpix 6tant de-
tcnue plus di/ficile,les Grands^ Seigneurs, par
leur ignorance , ne furent plus en ecac d«
tcndie cux- mimes la juflTicc a leurs Vauaux,
L &
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184 Fabliaux
ils chargerenc de ce foin des Officiers aux-*
quels ils confierent la Baillie ou tutele da
Jeurs domaines. Ces places de Baillis ou Se-
ncchaur etaienc dans l'origine tres-impor-
tames j car en meme-tems qu'ils jugeaienc les
Vaflaux de Seigneur , ils les conduifaienc a la
guerre quand le cas l'exigeait , & recevaicnc
Ces revenus 5 ce qui me tea it a la fois dans
leurs mains les armes , la -juftice & les finan*
ces, Les abus qui en refulccrenc furent caufe
qu'on ne leur lauTa que l'adminiftracion de la
juftice 5 & encore ces Officiers d'epee y etanc
devenus inhabilss & s'ecanc choifis eux-rnemes
des Lieucenans pour les rcmplacer, on trans-
fera aux Lieutenans coute l'aucorite de la
charge done ils ne conferverenr que quelques
droifs honoriflques.
( h , Ses courtifans font vitus de foie icar-
late ). L'ecarlate , comme la couleur la plus
precieufe , fe trouvant afrettee exclusive*
mene aux Princes , aux Chevaliers & aux
femmes de grandc qualitc , on conviendra que
e'eft garder le coftume que d'en habiller la
^ Cour d'Orgueil. Le mot rouge done nous
* Mint* avons form6 celui de rogue , s'eft pris long*
furlaCh. terns pour fier & hautain '
r. t
P * .l c * Portent en tout vejnsfiir la tfa un rUht
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OU CONTES, l8|
ehapcl). On a vu ci-deflus.dans la note fur
les chapels , que les Princes en porcaient un
dans les jours d'appareil.
( d > JJJis fur des monceaux d*or qu'attire un
almant particulier dontfa maifon eft couverte )-.
On connaifiait alors non-feulement , comme
le prouve ici le Fabliau , Pattra&ion de Pai-
mant , mais encore fa direction , ou autremrnt
la propri6t6 qu'a une aiguille aimantee , libre ,
de fe mouvoir, de diriger une defes poincesvers
le Nord. On ignore PAuteur & le terns precis
de cecte decouvcrte imporcante & laquelle nous
devons 1© ; perfe&ionnement de la navigation
& la connauTance d'un nouveau Monde ; mais
cllc cxiftait deji au terns de nos Fabliers. On
en trouve la preuve dans une piece tres-fati-
rique , intitulle Bible , ecrite vers la fin du
Xlle iiecle par un certain Guyot de Frovins;
& non , ainfi que l'a dit par inadvertance PAu-
uur de Particle Bovjfole du Diclionnaire En-
cyclopedique , dans le Roman de la Rofe,poC*
terieur de pr£s d'un fiecle. Comme ce paflage
deji connu des Savans , mais mal cite par la
plupart, pourra faire plaifir au plus grand
nombre de mes Lcfteurs , je vais le rapportet
Jci , quoique Stranger au Conte de Rtttebeuf.
J'ai demand^ plus haut la permiffion de rendrq
;d by Google
j8$ Fabliaux
>nftru#if & utile un Ouvrage qui , par fa nature
faic pour £t:e agreablc , pourrait bien , par lcs
defauts de fes fujets , ne pas 1'ctrc toujours.
Guyot , apr£s avoir d6clame contre tous let
Etats , inveftive coucre la Cour de. Rome, Le
tape , felon lui, devraic £tre pour tous lea
Fideles ce qu'eft pour hs Matelots la Trc^
montaigne ( Tecoile polaire ) ; ils one toujours ,~
en mer , les yeux £x6s fur elle, Lcs autres
ecoiles , dit-il , tourneni & circulent fans ce(T<j
dans le Ciel ; clle feule eft invariable & les
guide suremenr,
Ils fe font 7 outre tela , par 1«
•vertu de la Mariniert , up an qui
ne peut les troraper, Ils ont upq
pierre hide & brune qui attire le
fer. Ils tichent de trouver Tea
p61es, & y frottent une aiguille
qu'ils couchent fur un brin do
paille, & qu'ils raettent ainfi, fans
plus d'appret , dans un vjfe plein
d'eau. La paille fait furnager Pat-
guille , & celle-ci tourne fapointe
. • . z • . vers r&oile polaire. Quand lamer
Quant la mer eft obfeure & brune , eft couverte de tenebres & qu'on
Quant ne voit eftoile ne lune , ne voir plus dans le oiel ni la lune
DontfontaPaguilealumer; ni les etoiles, ils apportent une
VuU n'ont y garde d'efgarer. lumiere pre* de Taiguille, & ne
craignem plus de s'egarer.
Un art font qui mentir ne puet
Par la vertu de la Marnicre,
Vne pierre Iaide 6c bruniere
Oh li fers volontiers fe ioint
Ont ; fi efgardent le droit point :
Puis c\me aguile i ont touchie
Et en un feRu l'ont couch ie ,
lin Peue la metent fans plus s
Et li feflu la tient defus.
Puis fe tourne la pointe tonte
Contre Peftoile • , • . .
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O V C O N T E S. I??
On reconnait dans cettc description unc in-
vention naiflante , groffiere encore & impar-
faite. Rarement en raer le vaifleau devait Stre
aflez ttanquille pour qu'on put employer ce
vafe plein d'eau & cette aiguille fi aifee a fe
<lcranger, Aufli voit-on par le paflage meme
qu'on ne s'en fervait que quand le ciel etait
couvert , & que le$ matclots ne pouvaient
confulter les aftres. Dans tout autre cas , ils
dirigeaient leur route d'aprk l'infpe&ion de
l'6toile 1st plus voifine de notre p61e.
Ceft en cet etac d'imperfe&ion que les Eu^
ropeens trouverent la bouflble a la Chine
quand leurs flottes pour la premiere fois abor-
derent dans ce Royaume : mais fi nous la de-
vons aux Chinois j il eft sur au moins que ce
n'eft pas Marco-Paolo qui Ta apportee en Eu-
rope , comme le croienc quelques Auteurs ,
pujfque ce Venitien ne fit fon voyage qu*au
XIH e fiede , & que Guyoc caivaic dans le
xn e .
Quant au Napolitam Gioia auquel on fait
communement honneur de cette decouverte »
f ignore fur quoi Ton peut fonder fes droits ;
il ne naquit qu'en igoo.
Les pretentions de quelques Italiens qui en
artribuenr la gloirc i leur Nation , fondes fu$
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t88 Fabliaux
h mot Bojfola tire dd leur langue r nc mSti-a
tent pas d'etre refutees (erieufement. On in-
venta la bo'ete dans la fuite ; on vient de voir
que du tcms de Guyot elle n'exiftait point en-
Core : mais quand me*me elle ferait due aux
Italicns, ce ne ferait pas-la* un titre pour pr6-
tendre i la decouverte de l'inftrumcnt lui-me*me.
Cependant il faut avouer que celui, quel qu'il
foit , qui le premier plac,a Air un pivot l*ai-
guille aimantee , qui fenferma dans une boe'te
itllement fufpendue , que malgre tous les mou-
^emens du yaifloau , elle garde toujours une
(ituation horifontale, doic ttrc cenfe le veritable*
inventeur de la BoulTolc , puifque ce n*eft qu*i
ce moment qu*elle a commence d'etre verica-
blement utile pour la navigation. Des aiguilles
du XII« fiecle & celles-cl il n'y avait qu'un
pas 4 faire; & cependant quels eflfets prodl-
gieux cette difference fi legere n'a t-elle pas
produits i
On lit dans un ouvrage infinknent eftima-
* Mem. ble * , en patlant du morceau que je vlens de
d * V *c. c j ter ^ quc Guyot appelle la Bouflble , Tre 4 -
r. xxi ' montaigne. L'Auteur n'entend par-li que Pe-
p. X£3« tpijc que nous nommons Polaire , la Tra~
montana. des Italiens. II nomme mariniere
| mewiert par abr6viauon pour fait? foa»
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ou Contis. iffff
rers ) Paiguille aimantee dont fc fervaicnt le*
Marinhrs*
( e , Emmi lafallt fir un coffre eft ajfife matt
& penjivt ),
Et rintlrlt , cc vil Dieu de la Terrc ,
Trifte & penfif aupres d'un coffre forr ,
Vend le plus faible aux crimes du plus fotu
• Ceux qui ft rappelleront le Poeme ou fe
trouvent ces vers , fans foup^onner plus que
moi leur Autcur d'avoirlu Rutebeuf, admire-
ronc comment la mfime image s'eft prefentee
•dans deux t£tes fi differences.
( /, VEnvie qui felon Ovide, uent en main
des ferpens ). Voici un Fablier qui a lu & qui
cite 5 on en verra encore quelques exemples ,
mais lis font tares. II parait m&me ici que
Rutebeuf avait voulu compofet & peindre dans
le gout des Anciens. Ses tableaux allegoriques
montrent ds Pefprit , de rimaginacion ; & on
y ttouve disjefti memhra Poeta. C'eft de tous
les Poeces fut lcfqucls j'ai ttavailU , celui qui
gagne le plus a etre extraic*
3S
m
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x^o Fabliaux
c^D U VILLAIN
QUI GAGNA PARADIS EN PLAIDANT.
u,
N Villain mourut 5 & , cc qui peat-
foe jamais n'arriva qu'a lui foil , pcr-
fonnc au Ciel ni aux Enfers n'en fut
avcrti. Vous dire comment cek fe fit,
je ne le faurais. Ce que je (ais fculc-
ment , c'eft que par un fci£ard lisgulier
ni Anges ni Diables , au moment qu'il
rendit fon ame , ne fe trouvercnt-la potir
la reclamer. Seui done & tout tremblant,
le Villageois partit fans guide; & d'a-
bord , puifque perfonne ne s'y oppofait,
il prit fon chemin vers le Paradis. Ce-
pendant comme -il n'en connaiilait pas
trop bien la route , il craignait dc s'e-
garer 3 mais heureufement ayant appercu
l'Arcange Michel qui y conduifait mi Ela,
il le fuivit de loin fans rien dire , & 1c
fuivit fi bien qu'il arriva ea m&ne-tems
que lui a la porte.
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OU CONTBS. 191
S. Pierre , de*s qu'il entendit frapper ,
ouvrit au bel Ange & a fon compagnon j
mais quand il vit le Manant tout feul :
„ Paffez , paffez , lui dit-il , on n'entre point
„ ici fans conducteur , & Ton n'y veut pas
„ de Villains. Villain vous-meme , r£-
„ pondit le payfan. Il vous convient bien
„ a vous qui avez renic par trois fois notre
„ Seigneur de vouloir chaffer d'un lieu
,i od vous ne devriez pas etre , d'hon-
„ netes gens qui peut-etre y ont droit.
„ Vraiment voila une belle conduite pour
9y un Apotre , & Dieu s'eft fait un grand
„ honneur en lui coniiant les elds 4e fon
„ Paradis „.
Pierre , peu accoutume a de pareils dif-
cours , fut tellemcnt etourdi de celui-ci
qu'il fe retira fans, pouvoir repondre. Il
rencontra S. Thomas auquel il conta naive-
jnent la honte qu'il venait d'effuyer. Laif-
fez-moi faire , die Thomas ; je vais trou-
ver le Manant & &urai bien le faire d&
guerpir. II y alia en effet , traira affez
durement le malheureux & lui demanda
de quel front il ofait fe prefenter au fi£-
jour des £lus oil rientrerent jamais que
L 6
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192 Fabliaux
des Martirs & des Confefleurs. " Eh I
„ pourquoi done y etes-vous , repartit 1c
„ Villain , vous qui avez manque* de fbi 9
„ vous qui n'avez pas voulu croire a la
„ ReTurre&ion, qu'on vous avait pourtant
„ hien annoncee , & auquel il a fallu
„ faire toucher au doigt les plaies du
„ Refliifcite' ? Puifque les Mdcreans en-
„ trent ici , je puis bien ! y cntrer , moi ,
99 qui ai toujours cru commc un bon FL*
„ dele „. Thomas baiffa la t£te a ce re-
proche , & fans attendre davantage il alia
tout honteux retrouver Pierre.
S. Paul , venu la par hafard , ayant en-
tendu leurs plaintes fe moqua d'eux. Vous
ne favez point parler , leur dit-il 5 & ju-
rant par fon chef qu'il alha.it les venger
& les d^barrauer du Villain , il s'avancc
d'un air fier & le prend par le bras pour
le chafTer. cc Ces facons-la ne me furpren-
„ nent point , r^pond le Villageois. Per-
„ fefcuteur ou efpion des Chretiens , vous
„ avez toujours 6t6 un tyran. Pour vous
„ changer il a fallu que Dieu ait deploy^
„ tout ce qu'il fait faire en fait de mi-
„ racles 5 encore nVt-il pu vous gu&iu
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OU COHTES. I93?
„ d'etre un brouillon , ni vous empecher
„ de vous quereller avec Pierre , qui pour-
„ tant &ait votre chef. Vieux chauve ,
„ rentrez , croyez-moi 5 & quoique je nc
„ fois parent ni de ce bon Saint Etiennc
,. ni de tous ces honnctes gens que vous
„ avez fi vilainement fait maffacrer , fa-
„ chez que jc vous connais bien „.
Malgr£ toute l'aflurance qu*il avait pro-
mife, Paul fut deconcerte. II retourna
auprcs des deux Apotres qui, le voyanc
aufli m&ontent qu'eux , prirent le parti
d'aller fe plaindre a Dieu.
Pierre , comrae chef, porta la parole,
II demanda juftice , & finit par dire que
Tinfolence du Villain lui avait fait tant
de honte qu'il n'oferait plus retourner a
fon pofte , s'il croyait l'y retrouver en-
core. Eh bien ! ;e veux aller moi-meme
lui parler , dit Dieu. II fe rend auffi-tde
avec eux a la porte ; il appelle le Ma-
nant qui attendait toujours, & lui de-
mande comment il eft vehu-la fans con-
du&eur , & comment il a l'aflucance d'y
refter aprss avoir infulte' fes Apotresw
h Sire , ils ont voulu me chaffer , 8c fa*
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*94 Fabliaux
„ cru avoir droit d'entrer aufli-bien
„ qu'eux ; car enfin je ne vous ai pas
„ reine" , jc n'ai pas manque" dc fbi en-
„ vers votre fainte parole & n'ai fait em-
„ prifonner ni lapider perfonnc. Onn'eft
„ pas recu ici fans jugement , je le faisj
„ eh bien , je nVy foumets , Sire Dieu ,
„jugez-moi. Vous m'avez fait naitre
„ dans la miferc j j'ai fupporte* mes pet-
„,nes fans me plaindre & travailM toutc
„ ma vie. On m'a dit de croire a votre
„ Evangile 9 j'y ai cru. On m*a precne* je
„ ne fais combien de chofes ; je les ai
„ feites. Bref , tant que vous m'avez lailK
„ des jours , j'ai tache* de bien vivr*. 8c
„ n'ai rien a me reprocher. Venait-il chez
„ moi des pauvres ? Je les logeais, je les
„ faifais aneoir au coin de mon feu Sc
„ je partageais avec eux le pain gagne* i
„ la fueur de mon front. Vous favez ,
„ Sire , fi je vous ments en la moindre
„ chofe. Des que je me fuis vu malade ,
„ je me fuis confe/Te & j'ai re^u les Sa-
99 cremens. Notre Pafteur nous a toujours
„ annonce* que qui vivrait & mourrait
„ ainfi , Paradis lui ferait donne ; je viens
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OU CONTES. l$f
„ en confluence vous le demander. An
„ refte vous m'y avez fait entrer vous-
„ meme en m'appellant pour vous repon-
„ dre ; m'y voila , j*y refterai : car vous
>s avez dit dans votre £vanglile , fouve-
„ nez-vous-en, il eft entre , quon Vy
„ laijfe {a) : & vous n'etes pas capable dc
„ manquer a votre parole. Tu Tas gagn£
„ par ta plaidoierie , dit Dieu , reftes-y »
M puifque tu as fi bien fu parler* Voila
„ ce que c'eft que d'avoir &e a bonne
M &ole „.
NOTE.
(a) Jc ne connais point cc paflagc-U dan*
rfjvangile.
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496 Fabliaux
D V JONGLEUR
QUI ALLA EN ENFER.
Alias
• DE S. PIERRE ET DU JONGLEUR(*V
X^/uand on fc melc de fairc rire,otl
n'a garde, vous vous en doutez bien, <fc
rejetter une idee jolie, lorfqu'elle vienc
fe preTenter.
A Sens jadis vivait un Mineorier, lc
incilleur humain de la terre, & qui , pour
un trefor , n'euc pas voulu avoir querellc
avec un enfant > mais homme fans con-
duite & d&ange" s'il en fur jamais. II paf-
fait fa vie au jeu ou a la taverne , a jnoins
qu'il ne fut dans des lieux encore pires. Ga-»
gnait-il quelqu'argent? vite ii le portait-la.
hTavait-il rien 1 il y laiilait fon violon
en gage. Auili , toujours deguenille , tou-
jours fans le fou, fouvent meme nus pieds
#u en ckemife par la bife & la pluie , il
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OU C O N T E S. • 197
fbus eut fait companion. Malgre* ccla *
gai, content, la tete en tout terns cou-
ronn^e d'un chapel de branches vertes ,
ii chantait fans cefTe , & n'eut demande*
a Dieu qu'une feule chofe , de mettre
toute la femaine-en Dimanches.
II mourut enfin. Un jeune Diable , no-
vice encore , qui depuis un mois cherchait
& courait par-tout pour efcamoter quel-
qu'ame , fans avoir jufques-la , malgr^
tputes fes peines , pu re'ufftr , s'&ant trou-
vd-la par hafard quand notre Violonneur
trepafla , il le prit fur fon dos & tout
joyeux l'emporta en Enfer.
C'^tait Theure pr^cifement ou les De-
mons revenaient de leur chaffe. Lucifer s'6-
taitaflis fur fon tr6ne pour les voir arriver ;
& a mefure qu'ils entraient , chacun d*«ux
venait jetter a fes pieds ce que dans le jour
il avait pu prendre * celui-ci un Pretre , cdui-
la un voleur* les uns des Champions morts
en champ clos, les autres ^esEveques, des
Abb£s , des Moines ; tous gens furpris au
moment qu'ils s'y attendaient le moins.
Le noir Monarque arretait un inftant
fes captife pour les examiner 5 & d'ua
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198 ♦ Fabliaux
fignal auffi-tot il les fai&it jetter dans fe
chaudiere. Enfin quand l'heure fut pafTee »
il ordonna de fermer les portes & demanda
& tout le monde £tait rentre\ « Qui , repon-
» dit quelqu'un > excepti un pauvre idiot »
» bien ncuf & bien fimple , qui eft forti de-
» puis un mois , & qu'il ne faut pas encore
„ attendreaujourd'hui probablement , parce
„ qu'il aura honte de rentrer a vide „.
Lcrailleur achevait a peine de parlcr,
quand arriva le jeuneDiable, charge* de fon
M<£nemer deguenille' qu'il preTenta hum-
blement a fon Souverain. " Approche, dit
» Lucifer au Chanteur $ qui es-tu? voleur>
„ efpion } riband ( b ) ? — Non , Sire , j'etais
„ Menemer , & vous voyez en moi quel-
„ qu'un qui poffede toute la fcience qu'un
„ homme fur la terre peut avoir (c). Mal-
,, gre* cela j'ai eu la-haut bien de la peine &
„ Trien de la mifere ; mais enfin puifque
„ vous voulez vous charger de mon loge-
„ ment , je chanterai , fi cela vous amufe.
„ — Oui , ventredieu , des chanfons ! Ceft .
„ bien-la la mufique qu'il me faut ici 1 E-
a, coute; tu vois cette chaudiere, & te voi-
^ ci tout nu : je te charge de la faire chauf*
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OU CONTES. I99
„ fcr 5 & fur-tout qu'il y ait toujours bon
„ feu. — Volontiers , Sire 5 au moins je fe-
„ rai sur dor^navantden'avoir plus froid,,.
Notre homme aufli-tot fe ren^ita fonpofte,
& pendant quelque terns il s'aquitta fort
exa&ement de fa commifTion,
Mais un jour que Lucifer avait convo-
que' tous fes fuppots pour aller faire avec
eux fur la terre une battue genlrale , avanc
de forth* il appellale chauffeur. " Je vais
„ partir , lui dit-il , & je laiffe ici fous u
„ garde tous mes prifonniers j mais fon-
» ge que tu m'en repondras fur les yeux de
w ta tete , & que fi a mon retour il en man-
*, quait un fcul . , . — Sire , partez en paix,
„ jerepondsd'eux j vous trouverez les cho-
„ fes en ordre quand vous reviendrez , &
„ vous apprcndrez a connaitre ma fide*lite\
„ — Encore une fois prends bicn garde , il
„ y va de tout pour toi , & je te fais man-
„ ger tout vif „. Ces precautions prifes ,
l'arm^e infernale partit,
C'ltait-la le moment qu'attendait Saint
Pierre. Du hautdu ciel il avait entendu cc
difcours , & fe tenait aux aguets pour en
profiter. Des que les Demons fuxcnt dehors*
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200 Fabliaux
il fe deguifa * prit une longue barbe noire
avec des mouftaches bien trefRes, defcen-
dit en Enfer , & s'accoftant du Menetrier :
„ Tami , veux-tu faire une partie nous
„ deux 1 Voila un Berlenc avec des dez ( d) ,
„ & de bon argent a gagner „. En meme
terns il lui montra une longue & large
bourfe toute remplie d'efterlins. " Sire ,
„ repondit Tautre , e'eft bien inutilement
9> que vous venez ici me tenter 5 car je vous
#> jure fur mon Dieu que je ne poffede rien
„ au monde que cette chemife d£chirde
„ que vous me voyez. Eh bien I n* tu lVas
„ 'point d'argent, mets en place quelqucs
„ ames 5 je veux bien me contenter de
„ cette monnaie , & tu ne dois point crain-
„ dre ici d'en manquerde fi-tot. — Tudieul
„ je n'ai garde 5 & je fai trop ce que mon
„ Maitre m'a promis en partant. Trouvez-
„ moi quelqu'autre expedient , car pour
„ celui-ci je fuis votre ferviteur. — Imbc-.
„ cille i comment veux-tu qu'il le fache ?
„ Et fur une telle multitude , que fera-
, , ce , dis-moi , que cinq ou fix ames de
„ plus ou de moins. Tiens , regarde , voila
„ de belles pieces toutesneuves. Il ne tient
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O U C O N T E S. UO%
9P qu'a toi d'en faire pafTer quelques-unes
„ dans ta poche. Profite de Poccafion r
„ tandis que me voila ? car une fois forti ,
„ je ne reviens plus. . . . allons je mets
„ vingt fous au jeu , amene quelque ame „.
Le malheureux devorait des yeux les
dez. II les prenaic en main , les quitrait ,
puis les reprenait de nouveau. Eniin il n'y
put tenir , & confentit a joucr quelques
coups ; mais une ame feulement a la fois 9
de peur de s'expofer a trop perdre. <* Tope
„ pour une , nipond FApotre $ blonde 01*
„ brune , male ou femelle , peu m'im-
„ porte, je t*en laifle le choix? me|§ a«
„ jeu „. I/un va done chercher qudques
damned , Tautre &ale fes efterlins $ Us
s*affeoient au bord du fourneau & com-
mencent leur partie ( e >. Mais le Saint
jouait a coup surj auffi gagna-t-il confram-
ment. Le Chanteur pour rattraper ce qu'il
perdait , eut beau doubler , tripler les par
ris , il pcrdit toujours.
Ne conceyant rien a un malheur fi con-
ftant, il foupconna enfin de la tricherie dans
fon adver&ire , fe facha, d&lara qu'il nc
paieiajt point , & traita l'Apotre d'efcroc
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ioi Fabliaux
& de fripon. Celui-ci lui donna un demen-
ti 5 ils fe prircnt aux cheveux & fe bat--
tirpnt. Hcureufement le Saint fc trouvait
le plus fort > Sc fautre , apres avoir 6t6
bicn rode* , fe vit oblige encore de deman-
der grace. 11 propofa done de recommen-
cer la partie , fi Ton voulait tenir la pre-
miere pour nulle ; promettant au refte de
payer tres-fide'lement & ofFrant meme de
donner a choifir dans la chaudiere tout
ce qu'bn voudrait, Larrons, Moines , Ca-
tins , Chevaliers, Prefres ou Villains , Cha-
noines ou ChanoinefTes. Pierre avait fur
le cccur le mot de fripon ; & il en fit
plus ii'uft reprochej mais on lui deman-
da tant d'excufes qu'enfiri il fe laifTa fl£-
chir & fe remit au jeu.
Le Menemer a cette parde ne futpas
plus heureux qu'a la premiere 5 & je vous
en ai dit la raifon. Il fe piqua , joua cent
ames , mille ames a la fbis , changea de
dez , changea de place, & n'en perdit pas
moins a tons les coups. Enfin , de deTef-
poir il fe leva & quitta le jeu , maudif-
fant le Tremerel & fa mauvaife fortune
qui le fuivait jufqu'en \Enfer. Pierre
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O V C O N T E S. 10J
ftTors s'approcha dc la chaudierc pour y
choifir & en tirer ceux qu'il avait gagn&.
Chacun d'eux implorait fa pitie afin d'etre
Tun des heureux. Oe*taient des cris a
ne pas s'entendre. Le Menemer furieux
y accourut ; & r^fblu de s'aquitter ou dc
tout perdrc , en homme qui ne veut plus
rien menager, il propofa de jouer ce qui
lui reftait. L' Apotre ne demandait pas mieux*
Ce va-tout & important fe decida fur lo
Iieu-meme > & je h'ai pas befbin de voua
dire quelles furent pendant ce tems les
tranfcs des patiens qui en dtaient les t£-
moins. Leu/: fort heureufement fe trou->
vait entre les mams <fun homme a mi-
racles y il gagna encore , & parti t bien
vite avec eux pour le Paradis (/).
Quelques heures apres rentra Lucifer
avec fa troupe, Mais quelle flit fa dou-
leur quand il vit fes brafiers ^teinrs, fa
chaudierc vide , & pas one feule ame de
tons ces milliers qu'il avait laifKs. II ap-
pella le chauffeur; " Scelerat, qu'as-tu
„ fait de mes prifonniers ? — • Ahl Sire,
„ je me jctte a vos genoux , ayez pitie*
„ de moi , je vais tout vous dire „. Et
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i04 Fabliaux
alors il conta fon avanturc ; avouant quit
n'&ait pas plus heurcux en Enfer qu*ii
ne l'avait etc* fur la terrc. Quel eft le
butor qui nous a amene* ce joueur, ditlc
Prince irrite^ qit'on lui donne les emvferes*
Aufli-tot on faifit le petit Diablotin qui
avait fait un & mauvais prefent, & on
l'etrilla fi vertement qu'il promit bien de
ne jamais fe charger de Menemcr* " ChaC*
„ fezd'ici ce marchand de mufique, ajouta
„ le Monarque ; Dieu peut les recevoir
f , dans fon Paradis r lui qui aime la joie j
„ moi je ne veux plus jamais entendre
parler d'eux,,,
Le Chanteur n'en demanda pas davan-
tagej II fe fauva promptement 5 & vint
tout courant en Paradis ou Saint Pierre
le re^ut a bras ouverts & le fit entrer
avec les autres.
Men&riers & Jongleurs, re'jouifTez-vous
deTormais , vous le pouvez ; il n'y a plus
d' enfer pour vous; celui qui joua contrc
Saint Pierre vous en a ferme' la portc.
Dcni
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© V COMTES. 10$
Dam les Facetiae Bebelianae , p. 7$ , des Sol*
dots , 8*& tm jour <?e bataille , defcendent aux
Enfers avcc un appareil militaire & leurs drch
peaux rouges qui teprifentaient S. George 6*
la Croix* A la vue de ce figne redoutable , Us
Demons effrayis fi barrieadenu Us croiera
qu'on vient les attaquer , 6* crient aux Soldats
de prendre d dfoite br d % alter au Ciel. La
troupe s y y rend ; mais S. Pierre lew ferme la
pone au ne^, en difant que le Paradis n'eft
pas fait pour des hommes de fang & de cat'
nage. Un d'eux lui ripond comme le Villain
du Fabliau ; & VApStre honteux 6* qui craint
r quelque nouveau reproche que pourraient en-
xenire Us Bienheureux , ouvre aux Soldats , (f
fe promet tfetre ddrenavant moins dur aim
pauvres pecheurs.
NOTES.
(a,Du Jongleur ). Quoiquc ce Muficien ,
dan J le cours du Conte , {©it tou jours app«U<
Jongleur T ccpendant comme ce n'cft poipc
yn faifeur de tours , qu'il eft donne comnat
Tome II. M
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iOfi F A B t 1 A U X
Chantcur 6c ayanc une Vicille ( violon ) , }e
J*appelle toujours Metictricr , felon la diftinc-
tion que j'en ai faire dans la Preface.
( b , Voleut , Efpion , Riband ). Les Ribands
6taient un corps d'Avanturiers ou d'Enfans-
perdus qui dans les bacailles & les fieges com-
men^aient l'attaque. II en eft fouvent parl&
thez les Hiftoriens de Philippe-Augufte. En
tres-peu de terns , par une fuite du peu de
difcipline qui regnait alors dans les amices,
& par la maniere mime dont fe faifaic la
guerre , ces Compagnies degenerent en trou-
pes de bandits , fans principes & fansmceurs,
tellcment decries pour Iturs defordres & leurt
debauches efFront6es que leur nom devinc une
injure qui a pafie jufqu'A nous. Nos Rois ,
dans le nombre de ieurs Officiers domefti-
ques , en avaient un qu'on noraraait le Roi
des Ribauds, Malgr6 ce nom pompeux, ce
n'etaic cependant qu'une efpece d'Hui flier. A
rarmce ou dans hs voyages , il avait i'inf-
peftion fur les jeux publics , fur les lieux de
debauche & les femmes de mauvaife vie , Ief-
quelles etaient mfirae obligees pendant tout
le mois de Mai de faire fa chambre. II prc-
fidait aux executions criminelles, & fouvent
cfxecucaic- lui-me'me : ce qui pourraic infirmcr
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o u C o n t e s, toy
la reraarque 4c l'Abbe Velly \ que l'office de % H(M«
Bourrcau doic , ainfi que ce nom , fon origin? '
£ un pertain Clerc nomm£ Borel , qui pofle-r
dant en 1161 le fief dc Bellencombie £ la
charge de pendre les yoleurs du canton , 8c
xxt pouvant , comme EccUfiaftique , les exe-
cutor lui-m&ne* fut oblige de fe donner un
fuppliant. Quoi qu'ilen fbit , ce fait prou-
verait , ainfi que Pautre , ( $C c'eft-Ja ce qu'ij
tft important de remarqucr ) , que Temploi
d'ex&cuteur criminel n'etait point alors desho*
norant. Dans un etat de la Maifon du Rot
an. 1328 ,- on voit h Roi de$ Ribaudf ou
Bovrrcw de TouUufi.
• ( c , Jtfrais Minctrur , 6» vous voye\ en mol ,
~fuelqu'un qui poffide toute la fcience qu'un
homme for la terrepeut avoir ). Les Conteur*
favaient des Romans , des Chanfons $c des .
Fabliaux. C'etait d-peu-pres U que fe rSdui*
fait toute la literature du terns & la fcience
des gens du monde. Ainfi le Muficien de
notre Conte pourait fe vanter 4 jufte titre de
pofTedcr tout ce qu'il etaic pofliblc a un homme
de favoir.
On Yoic auffi par ce paflage que le mSmq
homme , comme je l'ai dejd dit , pouyaic £tr*
£ U fois Conteur, & Mfcnetrfcr.
■M *
;d by Google
±d& Fabliaux
( i , Voild un Btrltnc avtc des Ae\ ). TL&
Itrlenc parait Sere ici un echiquier portatif.
Plujieurs compagnons jouans aux dt\ fur un*
*DuCan- ta M e ou herlenc •
ft, Glojf.
Van met fur le berlenc Ton gage*
Et l'autre met l'argent enconcre.
G. Guitrt t manuft.
< i , Commtnctpz leur partie ). Le Jen du
Conte eft appelle Trimtrtl > & fe jouait avec
trois dez, II y a fur les difFerens coups quel-
ques details, que j'ai fupprimes parce que
je n'y ai rien compris. Au rede , il eft beau-
coup patle de ce jeu du TrSmerel dans les
Fabliaux.
if' ft Z a i ntL tncort , 6* partit bitn vitc
cvec tux pour It Paraiis ). Dans l'Abbaye de
S. Guilain en Hainaut, on voit reprefente
* Mend' un miracle * after femblable A 1'aventure de
£i<m0» notre Conte. Une vieille pechereffe eft au lie
mourante. Le Saint & le Diable font aupres
d'ellc pour attendre fon dernier foupir & em-
porter fon ame. Le Diable, qui fe connate
de l'adrefle dans les doigts , ptopofe de jouer
la vieille aux trois dez. II tire & amene trois
fk: maifi. le Moine plus habile opcre un mi^
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OU CONTES. 20£
facie; H fait paraicre trois fept & gagne la
mourantc.
La Monnoie a fait fiir ce Cujtt une 6pl*
gramme.
MS
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aio Fabliaux
■ ■ ■ ■ ■ ■ ■■ i ■ ■ I. a
IE PARADIS D'AMOUR.
Alids
LA COMPLAINTE D'AMOUR*
\if u ah d on ne fe fent point en etat
de faire quclquc chofe qui plaife , on ne
doit pas fe meler d^crire. Jc vous en aver-
tis ici,parce que j'ai fouvent moi-meme
cette demangeiforu Eh ! pourquoi done
cVris-tu , me direz-vous ? C'eft que j'ai
trouve' un fujet qui m'a fait plaifir , 8c
que je voudrais qu'il vous en procurat au-
tant qu'a moi % Peut-ctre apres tout ne le
rendrai-je pas aufii-bien que le devrais ,
& je vous pric de nVexcufer, car j'ai
peu de fcience; mais au moinsje puis vous
aflurer qu'il eft joli, & me flatte qu'U
vous paraitra tel.
Au doux mois de Mai , quand la terrc
fe pare de verdure & les arbres de fleurs 5
quand la nature commence a renajtre , que
tout ce qui vit rentre en joie , que les
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h
OUCoNTES. 2H
oifeaux s'accouplent en chantant, & qu'une
tendreiTe nouvelle s'allume dans les cceurs
loyaux; Amour , qui fubjugue ies orgueil-
leux , vint chez moi. J'avais pour toujours
renonce' a lui 5 jc raillais meme ( car ja-
mais je n'avais fenti fes coups ) ccux qu'il
rendait malades.d'aimer, & ks regardais
commc des fous qui enfantaient des chi-
. meres afin de pouvoir s'en afEiger. H&as 1
c^tait moi qui £tais ftnfenfe\ Votre heurc
viendra un jour # me repondaient-ils 5 vous
foupirerez corome nous „ & alors vous ap-
• prendrez a nous plaindre. Leurs veeux nc
-furent que trop bien exauce's. Amour pout
. me punir choifit le plus fort de fes traits
& en perca mon coeur fi avant que , s'U
n'eut pris bientot pici<5 de moi , e'en e*tait
fait de ma vicCette flecfae fut un regard
de la plus belle des femmes 3 regard plus
brulant & plus penetrant que la flainme
.memc.
Que les coups d' Amour fontsurs & qtt'ils
.font redoutablesl Des qu'il m'eut atteint ,
je rougis & je foupiraL Bientot je devins
. pale & trills. Dans certains momens mon
^orps bruiait cornme le charbon enflasv*
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in Fabliaux
«ie* 5 dans d'autres il itzit glace" , comma
fi mon amc eat 6t6 prctc a Tabandonncr,
Enfin je perdis le repbs.
La beaute* que j'aimais ignorait mes tQiir-
mens. Je n'avais pas oft les lui d^couvrir >
& au fond de mon coeur neanmoins je
lui faifais des reproches infenfts de ne pas
les foulager. NFarrivait-il de paffer devanc
fa porte 1 je la blamais de ne point ae-
courir au-devant de moi , & faccufais
d'orgueil & de cruautl. Dans mon cha-
grin maudiffant pones & murs, il me
femblait qu'ils rfavaient hi inventus que
pour moi fcul & pour faire mon firo-
•plice. Si quelquefois devenu plus fage,
je formais la reTolution de renoncer a une
ingrate qui caufait ma mort j " Ta mort ,
„ me repondait une voix fecrette , eh I
„ comment la caufe-t-ellc ? — e'eft que
„ je Taime , & qu'elle ne m'aime pas. — •
>, Mais l'as-tu price d'amour ? — Non. -*
,, Ne tc plains done pas , car fi tu lui eufles
^ conte* tes peines , elle eft fi douce , ellc
„ eft fi bonne , qu'a coup sur elle en cut
„ eu pitie\ Tu meurs, & ne fais trop pour*
•j <l u oi (a). - Oui, oui je le fais > e'eft fqg
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& U C'ONTES. II f
*, doux fourire & fon vifage agreable ,
yy ce font tous fes appas dont je defire
^ «nvatn la poflcffion , qui mc deTef-
„ perent. — Tes-tu flatt£ qu'elle vien-
99 drait a toi pour te les prodiguer 1 Va
„ la voir , decouvre-lui tes maux , & tu
„ fauras alors & tu peux efpfrer. — Plu-
„ fieurs fois d£ja je 1'ai rente 5 mais a peine
to fiiis-je en fa preTence , a peine a-t-elle
„ jetti un regard fur moi , que mon coeur
^, fe glace , mes genoux tremblent & je
„me vois force' de fortir fans avoir ofiS
9 y Iui parlcr^
Ceft ainfi que chaque jour mon mal
empirait; car je ne pouvais un inftant
m'abftenir de penfer a elle. Avec de telles
foufFrances & fans aucune forte de re-
lache , j*eufle bientot fuccombe' $ mais
Ainour enfin vint a mon aide.
J*avais pafTe' la nuit dans les larmes.
Le jour venait d^dore 5 & j'erais forti
pour aller dans les champs dilfiper ma
trifteffe. D<Sja l'alouette s^lancant dans
les airs appellait le Soleil avec fa voix
gaie & percante. Ces fons de l'oifeau du
inatin, par un prodige que je ne pus corn-
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114 F A B L I A u xr-
prendre , porterent tout-a-coup le calme
dans mon cceur. Je goutais , en l'ccou-
tant , un plaifir ineffable ; & la joie ,
comme une douce rofee ayant penetrd
ddlicieu Cement mon ame , je commenjaj
cette chanfon.
Ahutttt
Aloete
Jolictte ,
Peu fimporte
Petit t'eft de raes maus ;
Si amour venait felon mes vatux •
S'amor venift a plaifir
qu'il voulit mettre en pejfejjion
Ec que me voufift fefic
blondq
De ia blondettg
plait
Qui medilectc,
Je ferais joyeux
J'en feufle plus baus (b)»
• Ma chanfon n'&ait pas encore finie,
que je me trouvai infenfiblement arriv^
dans une prairie d&icieufe. La viclerte ,
ie muguet & mille fleurs difft rentes email*
laient de leurs couleurs varices la beautd
,.<k ce tapis verd, I/air y &ait parfumi
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OD CoNTES, II J
£ar des aromates precieux (c). Du fein
de la terre s'elanc^ait a gros . bouillons
une fontainc dont l'eau , plus tranfpa-
rente que l'emeraude & le ruhis , s'£chap-
pait entre des rives ornees de rofiers &
de glaieuls ( d) 9 & coulait fur un fable
d'or pur. Un bel arbre , pair fes rameaux
agreablement arrondis , lui '. formait un
dais epais , impenetrable au foleif , & en~
tretenait la fraicheur de fbn bafEn. On
-defcendait a ce baflin par des degr^s de
marbre auxquels tenait attached , avec
une chaiiie d'argent , une taffe d'or email-
Mc. Je crus qu'elle ^tait-la pour puifer ;
& fallais m'en fervir , quand je vis des
caracteres en argent & en azur qui d£-
fendaient aux Villains & aux laches d'y
toucher. Cette fingularite* m^tonna d'a-
bord, & je xeftai un moment interdit&
trouble ; mais la' curiofite* bientot l*em-
porta fur mes craintes. Je. pris la taffe &
l'enfon^ai dans les bouillons.
L'infenfe ne craiht rien avant le dan-
ger. Soudain la terre trembla autour de
moi , & le tonnerre gronda avec un
fracas fi horrible * avec de tels £clair$
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u6 Fabliaux
& une pluie fi violente , qu'on cut StB
que le ciel & la tcrre combattaienc en*
femble pour fe d&ruire. Quelque harcX
que je fois , la frayeur me faifit 5 je me
jettai a terrc A cbaque inftant la foudre
fe preciprtak de k nue comme pour m'&-
crafer ; & de frayeur mes cheveux fe
drefTaient fyr mon front. Mais le bel
arbre , a Tabri duquel je m'&ais mis ,
femblait par un charme magique , ^car-
ter de deffus ma tcte & la fbudre & la
pluie ( e X
Apres quelque terns enfin Torage fe
difKpa. Le ciel parut '.riant & azure" , &
du tronc de l'arbre fe fit entendre ime
mufique delicieufe a laquclle des millicis
cToifeaux , qui de toutes parts vinrent fe
percher fur ks branches , jorgnirent leurs
concerts. Le plaifir m'afToupk. Dans cec
itzt une main inconnue m'enlera , & a
mon reveil je me trouvai nu, & plonge'
dans une cuve remplie d'eau rofe ou Ton
vint meparfumer , & de laquelle je fortis
pur & blanc comme la neige. A peine
moi-meme pouvais-je me reconnaitre.
On mc preTeau enfuitc de riches habits
avee
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OU C N T I S. 217
avec un manteau de pourpre , fourre;
d'hermine & relev<£ par une broderie d'or
qui reprefentait difRrens oifeaux. On
m'en revetit, & Ton me montra un che-
min que je fuivis 5 il conduifait au palais
d'Amour. Jamais je ne vis route plus
agreable, on n'y marchait que fur des
fleurs.
A peine eus-je fait quelques pas que
j'appercus au milieu d'un champ aride &'
pierreux une maifon , tombant en mi-
nes , a laquelle conduifait un fentier feme
, de ronces. Des malheureux sy etaient
renferm& , & guettaient par les crevafles
ceux qui paffaient : on les appefle les Me^-
difans. lis me montrerent au doigt, & jc
les recormus fans peine. Maudits foient-
ils a jamais > car ils etaient en fi grand
nombre que je ne dois pas me flatter de
voir fitot leur race s^teindre.
Apr£s avoir double le pas pour leur
ichapper , je vis plus loin , par-dela ua
large foiTc qui nous feparait du chemin ,
une troupe plus meprifable encore. Ceux-
ci etaient occupe*s a s'embrafTerj mais
Jeurs baifers n'itaient pas finceres , $c
Tome II N
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n8 Fabliaux
Jcurs yeux pendant cc terns cherchaiette
d'Un autre cold. On les nomine les faux
Amans. t . r >
• Voicnt-ils une Beaut* qui leur plaife?
Us voila en peine auflkot, lis eir*loient ,
pour la feduire', toutes les rufes polTiblcs y
jufqu'a ce qtfelle ait fatisfeit leurs defirs *
defirs honteux & qui n'ont pour but que
de la deshonorer. Bien autrement hardis
qu'un amant ftneere , ils ne parlem que
dc leurs tourmens, A ics entendre lis
meurent d'amour. Faut-il s'&onner apres
ccla qu'un cccur fimple & naif tombe
dans leurs filets ? Les traitres s'humilient 5
ils foupirent , pleurcnt , g^miffent. Cc
fexe auquel la Nature a donne" un coeur
fi doux , fi compatiffant , pourra-t-il y
reTifter 1 Verra-t-U d'un ceil inflexible un
malheureux en larmes implorer a genoux
fa pitied 1 Non. L'infbrtunee s'attendrit ,
ellc pleure avee le perfide & lui c6de,
•Ah! Mcffieurs , ce n'eft pas elie qu'il
f aut Mamer * fa chute n'eft que la cre%
^iulitd d'une arne trop confiante & trop
bonne. Le vrai coupable , e'eft le traitre
-qui , pax unc hipocrific raffinic , a com*
;d by Google
ou Contes. it$
bin^ de loin fon mallicur, & qui aufli*
tot qu'U i'a #duite , Tabandonne pout
aller aillcurs en trompfer d'autres. Que
► toujours fbit en execration cctte race
federate. Combien clle nuit aux vrais
Amansl
J'entrai enfin dans une longde avenue
d'arbres odoriferans , au bout de laqueile
s'offrit un paiais dor^ , & tel que n'en
eut jamais ni Due ni Monarquc. Se$
foiled , revetus en marbre & remplis
J* une eau limpide , ^taient couverts de
eigne? & d'autres amphibies qui tous , unis
4deux a deux , nageaient amoureufement
Tun a c6te* de I'autre. Les poirfbns da
canal, les animaux de la plaine,les oi-»
feaux du verger , tdus &aient de memo
jr^unis par couples. Je ne vis (euhqu'ua
tourtereau i U^gemiiTait fur une branch©
ftche.
, La facade dq. paiais &ait brn& de deu*
colonnes de criftal , qui chacune por~
taient une ftatue de marbre blane,l'ou-<
vrage du Dieu , & faite avCc tant d'arc
que Tune fc levait magiquement pour
Ycnir embroflcr l'autre , & que rioftanfc
N ft
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no Fabliau sr
d'apres, celle-ci fe levant a Con tour ,
allait , avec un fourire , rendre a la pre*
miere le baifcr quelle en avait recu. J'ad+
njiraisL cctte mervcille , quand les deux
portes s*ouvxirent & expoferent a mes
yeux Pinteneur du palais. Je fus ebloui,
je vous Pavoue 5 Sc m'ecriai , voici le
Paradis. Non , quand j'aurais cent Ian*
gues, je ne pourrais jamais vous ra+
confer :ce -que 5'ai vuv-
La fe trouvaient re'tmis tout ce qu'ai-
ment les hommes , le plaifir & ia beauti*
Oa n'y refpirait que des parfums; on n'y
entendak que des chants amoureux ou le
bruit des baifers , & Panned n'y parai£
fait qu'une flfce &e*nelle. Sur un trone
de fleurs £tait aifis le Dieu, Monarqud
d^bonnaire &r bienfaifaht , fait pour
pi aire a tous les hommes.; Sa beaute* , an
milieu de la Cour qui l'entourait , ref*
fcmblait a Peclat ^bdouiiTant du Soleil au
centre du firmament, -fipars autour de
lui , & lous fes regards protecteurs ,
ctaient les Amans avec leurs Mies , oc-
cupes uniqueraent du plaifir de fe ca-
lmer. II iburiait i Jeurs jeux , & leu*
it zed by G00gle
O U ' C O N T E S. lit
laricait des fl&hes amoureufes qui lcs
cnflammant d'un feu toujours nouveau ,
rcnouvellaic fans ceffe pi eux le befoin
d'aimer.
Mais^tant de bonheur excita ma ja-
louiie. Tout ce que je voyais &ait heu-
reux 5 moi je me trduvais feul , loin
des regards de ma Mie , & je fouffrais ,
comme Tenvieux \ du bien des autres.
Amour vit ma peine. Il m'appella &
m'interrogea fur mes ennuis. Je lui.ra-
contai tout ce que j'avais fouffcrt ; & ,
en finiflant , un foupir & des larmes m'e-
chapperent. « Prends courage ; me dit-il :
» l'inftant de ton bonheur approche. Cc
» n'eft pas fans peine qu'on goute les
» plaifirs d'Amour , & on ne les tfouvc
„ d£licieux qu'en proportion de ce qu'ils
9t ont coiife* „.
lei commencent de tongues explications alli-
goriques , dans le gout de celles qui termi-
ner le Fabliau des Chanoinefles. Cefi-l* Amour
qui les fait, lui-mime d VAuteur j comme c y eft
lui qui a tnvoyi - Valouettt , Vora%e , le fom-
meil , be. Valouettt , dit-il, marque le chant
mainal de ramantj V or age , les peine* qui
N J
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xii Fabliaux
Pattenient ; It bain, la purtti qu'il dolt apolr $
U tounereau gimljant d Vkart , la. jidiliti
fu*on doit a celle qv*on aime qiiand on Va per*
due , 6»c. brc. 6\r. 11 infifle heaucoup Jut cette
pwrett du cceur 9 Jignc non eavivoqut d'un vrat
emour.
SI vWettle
Se homme penffie a vilonie,
Tu doit favoir qull n'aime mie.
2?nj?n It Po'ete finit par dire qu'il a bhtt
retenu toutes ces lemons , qu'il Us a pratiqueet
l§yalement , b qui I en attend la ricompenfi*
NOTES.
( d , Tu meurs , £/ nt fais irop pourquol )i
L'original de ce. dialogue eft en partie dans
la Preface. Quoiqu'il foit fimple , vrai , na-
curel &r m£me aflez prefle ; cependanc comms
It vient apr£s la peinture d'une paffion vivc
& forte , & qu'il la refroidic , j'ai cru devoir
i'abrcger.
( b , Alouettt joliette. • • . ) On remarqtiera
Sri , comme moi fans doute j que ce couplet,
dans fon.vieux ftile , a du nombre , de l'har-
monie , 6c que la coupe de$ vers en eft ljrri<juc|
;d by Google
© V COKTBS. 22f
fcr CCtte remarque m'en rappelle une autre que
j'ai faite en liGmt les Chaufonniers du terns :
c'eft que leur langue, fans etre plus pure ni
plus 616gante que celle des aucres Poeces leurs
conremporains j eft au moins plus coulante
* 8c plus douce. Ce qu'on a vu d'cux^en ce
genre jtifqu'd prefent, in fere dans les fabliaux ,
fuffira pour s'en convaincrc. Que ceux qui
aiment-la Mulique s'exercenc quelquefois A
xneccre des paroles fur un air , ils fentiront
feietnoc que des vers chances exigent plus d'har-
fnonie encore que des vers flits pour £tre
Reclames ou lus. Rien ne forme Toreille aufli
t
proniptement jjue la Mufique , & rien ne la
rend audi difficile. Ce n'eft pas fans raifon
que les Ancient eo joignaient l'itude 4 celle
de la Grammaire.
( c , Vairy itait parfumepar ies aromates ).
(.'original ajouce , la canelle, k gingembrc
& le citoal ( j'ignore ce que e'eft que le ci-
toal )• Les aromates de l'Afie arrivaient en
Europe pat la voie d'Alexandrie.
( d , Rivesomies de rofiers €f de glaieuls );
Le glaieul pft ce qu'aujourd'hui nos Jardi-
nieres nommehc Iris. Cetce fleur 6tait dans
la plus grande eftime ; on en trouve le nom
i chaque page chcz les Chanfonniers. lis ne
N4
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124 -F A B L 1 A V X
font pas une dcfcuption d'uti lieu agreabl?
ou d'un printems qu'ils rCy pjacent Us fiors
de glai,
( e ) Cec epifode inutile de la fonraine en-
cbantee * qui avec fon orage & touc fon fra-
cas ne^produit que le fommeil du Poete, que.
le chant de- Palouette cut pu endormir touc
auffi-bien , fe trouve dans piufieurs Roman*
anciens , & notamment dans le Routan ma-*
nufcrit du Chevalier au Lion.
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o v C o n t e s. aiy
L'ART D* AIMER. . T „
Guiart
^ U).
Faucsrt en fait mention*
UAuttur de ce Fabliau didaclique , compofi
par ftrophes de qu&tre vers , tous quatrefur
une mime rime, annonce qu'il fe propofc
d*y enfeigner comment on doit fe conduire
dans les trois circonfiances de la vie les
plus importantes ; quand on veut faire tint
emit ; quand on eft parvenu d lid plaire ,
if quand on veut la quitter. II finira , dit~
il , par montrer la vanitc du monde , 6" pat
apprendre comment on doit fervir Dieu*
JL/'abord vous devez d&ouvrir vos
feitimens a la Belle qui vous a plu, &
Jui dire : " Beaute douce & fage ; j'ai
„ perdu par vous Pappem & le fommeil.
„ Je pleure , je foupire fans ccfle. Dc
iy vous ieule depend ma |uenfon , Sc(\
„ je n'ai votre amour il me faut mourir.
" - N$
;d by Google
tit Fabliaux
M Coeur , defirs , penfees , belle douce
9 , amie , je vous livre tout : vous £tes
„ mon efp&ance , ma vie , 8c tout ce
„ qui m'eft cher au monde ; & fairhe
„ mieux penr par vos rigueurs que
„ d'etre heureux par les bonte*s d'unc
„ autre „.
Peut-erre clle nc fe rendra pas d'abord
a cette premiere attaque & montrera
quelque fierte\ Ne vous rebutez pas,
voyez-la fbuvent, redoubiez de (bins 5c
ne la perdez pas de vue : car la femme
eft legere ; elle a le coeur volage & il
ne faut qu'un inftant chez elle pour c£-
facer le fouvenir de longs fervices. Sur^
tout gardez-vous bien de lui faire aucune
demande avant d'etre aflure' qu'ellc vous
aime ; c'eft-la le point important pour
vos fucc£s. Mais des qu % elle vous aura
fait cet aveu fi doux , deployez alors tous
vos talens & fongez feneufement a ga*
gnei> du terrein. Salucz fes voifines , faites
politelTc a fes compagnes , donnez , pro-
mettcz aux domeftiques & ne nlgligez
perfonne. Enttndant tout le monde dire
du bien de vous , la Belle s'applaudira
xi by^Google
O V C O N T E S. 117
dc fon choix & vous en aimera da-
vantage.
Une fois sur de fa tendrefTe, informez-
•vous quand elle fera feule. Entrez dans
ce moment & demandez-lui un doux
baifer. Elle le refufera , il faut vous y
aftendre; prenez-Je de force & foyez,
convaincu que dans fon ame elle vous
en faura gre\ Retournez le lendetnain
pour en prendre un autre. Celui-ci vous
"fera accorde. Prenez-en deux , prenefc-en
dix , rendez-les fur-tout bien favoureux :
c'eft-la ce qui enflamme le plus les de-
firs d'une femme. •
Quand vous aurez obtcnu la demiere
preuvc de fon amour, continue, Guiart ,
'vous e*prouverez qu'elle s'attachera a
vous plus qu'auparavant. De votre cot6 9
fi vous la trouvez tranche , douce Sc
«elle qu'ilivous convient , attachez-vous
auffi a elle. Honorez-la , fervez-la fid£-
lenient & n'Mfitez meme' pas de l'epou-
fer. Mais fi fon cara&ere , fon peu d'ef-
prit ou fa conduite vous deplaifent , feparez*
vous-en peu-a-peu. En voici les moyens^
N <*
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ii8 Fabliaux
A-t-elle befoin d'un pcu dc parure**
Faites-lui une vifite le maun , avant
qu'elle ait eu lc tems de commencer fa
toilette & de mettrefon fard ( £). Si ellc
ales dents laides, faites-la rire 5 fi fa
voir eft ridicule , faites-la chanter. Bien-
tot elle parviendra ainfi a vous deplaite.
Eft-elle au contraire jeune , f belle &
frafche ? gardez-vous de la voir , je vou$
le defends 5 votre amour ne ferait qu'aug-
menter. Elle vous enverra un menage
pour fe pjaindre *de votre changement.,
n*y repondez pas. Quand vous la verreZ
venir. par un . cote., . retirez-vous par un
autre ; repandez-vous dans les. affembl&s
de vos voiiins 5 allez a la chafTe , oc-
cupez-vous de vos vignes, de vos champs,
, de votre verger. Si tout cela ne fuffic
pas , faites une nouvelle amie 5 celle-ci
fera oublier 1'autre $ car tEcriture die
quon ne peut pas fervir deux maitres
a la fois w
EnfinGuiart propofe tin dernier moyen; e'efl
de fe rappeller les devoirs de la Religion , d*
finger chajue jour d la Vierge q\d futfi pure ,
& de bien mediter quel pfche c*eft que celui
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OV C O N T E S. 12$
lie Id chair 6» quelles peines il attire pour un
plaijir Ji court* Tout- d- coup VAuttur fe met
d precher ; il parle de la Confeffion , de la
Penitence, des Sacremens ; recommanie Vau-
mdne, &jinitpar une longuepriere d la Vitrgc.
Toute cette devotion , aprh ce qu'oh vient
de lire ! aprh le morceau que fai Jupprime ,
jur-tout,!* dont.il eft aife d'imaginer les de-
tails ! Et Von vient aprh eel a nous vanter les
mceurs de nos pens , la picte de nos peres !
NOTES.
( a t Guiart }. C'eft probabJement Ic meme
que Gtril. Guia/t dont il nous reftc unc Hif-
toire de France , manufcrite , en vers , de-
puis Philippe-Augufte jufqu'A 4'an 130$ , fous
le nom de la Branche aux Royaux Lignages.
Du Cange , & la Ante de THiftoire de Saint
Louis par Joinville , en a fait imprimer ce
qui regarde ce Prince. Guiart etait d'Orleans.
Son Art d'aimer prouve qu'il avait lu Ovide j
& Ces Royaux Lignages , qu*il n'en avait gucrct
profite.
( b % Avant quelle ait eu le terns de com'
mencer fa toilette & de mettre fon fard ), Les
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jLjo Fabliaux
fcintncs connaiftaient Pemploi du rouge & Atf
klanc pour leur toilette. Dans une piece irv-
ritul6e le Merrier , & qui n'eft qu'une enu-
meration que fait un de ces Marchands , de
»outes Us chofes qui font dans fa boutique^
il die:
elUt
J'ai queton dont eus fe rocgiffent,
J^a! blancbet done eus fe font blanches.
;d £yG'
o-u C o n t e s; l$t
GRISfeLIDIS.
Ce Conte , devenu celebre , & celui qui a h
plus contribue a la reputation de Bocace ,
eft fi connu t que 'fat prefque hijiti a It
donner. Je* ne I'offre a mes Lecleurs que.
comme on offre quelquefois a une famille 9
d'anciens titres honor able s qui lui ont ite
derobis pendant long -terns , & qu'un Archi-
vifte probe vicnt enfin lui rapporter, I)u-
chat , dans fes notes fur Rabelais , avait
dija dit que Grifelidis itah tiri d'un ma-
. nufcrh intitule le Paremenc des Dames ; S»
c'eftd*aprls ce tJmoignage fans donte t que itf*»
Manni y dansfon llluftrazione del Bocaccio ,
*n a.reftitue I'honneur aux Francois. La
quantite de verjions en profe qu*on en fit
au quator\ieme fiecle , prouve la grande re-
putation qu'il avait des-lors. J^n ai trouvi
plus de vingt difffrentes fous Us titres de
Miroir des Dames ; d'Enfcignement de*
Femmes mariecs ; d'Exemple des bonnes 5c
mauvaifes Femmes; &c. &c. II a eti im-
prime en gothique ; puis remis en yers pat
Perraut dans le Jiecle dernier ; & en 17 49 s
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i3i F A B L I A XJ X
retraduh en profe avec des changement &
des augmentations par Mademoifclle de
Montmartin. *
* Hid ^°B u * er S pretend que Grifilidis n'eft point an
de Tou* nam zmaginaire , & que ce ph£nix des finwzcs
loufe t p." a exiflS vers Van too 3. Philippe Forrfit,
'* ' Hiftoriographe Italien , donnc auffi fon hif-
toire comme veritable.
E„
i Lombatdie , fur les confins du Pie-
mont , eft une noble contree qu'on nom-
ine la terre de Saluces , dont les Seigneurs
pnt porte de tout terns le titre de Marqnis.
De tpus ces Marquis , le plus noble &
le plus puhTant fut celui qu'on appellait
Gautier. 11 £tait beau , bien fait , avan-
rage* de tous les dons de la nature : mais
il avait un deTaut ; c'etait d'aimer tro? la
fibefte' dujce'libat , & de ne vouloir en
ancune facon entendre parler de manage.
Ses Barons & fes Vaflaux en ^taicnt a£-
fligds. lis s'afTemblercnt pour confcrer
entr'eux a ce fujet j & d'apres leur delibe-
ration, quelques deputes vinrent en Icur
Horn lui. tenir ce difcours.
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O* U C O N T E S. l$$
* « Marquis , notre feul maitrc & fbin
„ verain Seigneur , l'amour quef nous vous
„ portons nous a infpire' la hardieffe de
„ venir vous parler : car tout ce qui eft
,» en vous nous plait , & noiis nous repu-
,j tons heureux d'avoir un tel Seigneur,
„ Mais, cher Sire , vous favez que les
„ annees pailent en s'envolant , & qu'elles
„ he reviennent jamais. Quoique vous
i, foyiez a la fleur de Tage , la vieillefle
„ n^anmoins , & la mort dont nul n'eft
„ exempt , s'approchent tous les jours.
„ Vos VafTaux , qui jamais ne refuferont
„ de vous obeir , vous fupplient done d'a*
,„ greer qu'ils cherchent pour vous une
„ Dame de haute naiflance , belle &
„ vertueufe , qui foit digne de devenii?
fy votre e'poufe. Accordez , Sire , cettc
„ grace a' vos fideles Sujets; afin que
„ fi votre haute & noble perfonne eprou-*
„ vait quelqu'infortune , dans leur mal-
„ heur au moins ils ne reftaffent point
„ fans Seigneur „.
A ce difcours Gamier attendri , repon-
dit affe&ueufement : " Mes amis , it eilr
h vr|i , je me plaifais a jouir de cetw
;d by Google
134 /Fabliau*
„ liberte qu on goute dans ma Situation ,'
„ # qu'on perd dans lc manage , fi j'en
„ crois ceux qui l'dnt eprouve. Un autre
f , inconvenient de ce lien encore , e'eft
„ que ces enfans que nous d^firons fi
„ fort , nous ne fbmmes pas toujours surs
„ qu'ijs foient les notres. Toutefois , mes
99 amis % je vous promets de prendre une
„ femme 5 & j*efpere <fe la bonte *de
„ Dieu , qu'il me la donnera telle que jc
„ Tx>urrai avec elle vivre heureux. Mais
„ je veux auffi auparavant que vous me
», promettiez une chofe 5 e'eft que celle
„ que je choiiirai , quelle qu'elle (bit,
„ iille de pauvre ou de riche, vous la
„ refpe&iez & Phonoriez comme votre
„ Dame ; 6c qu'il n'y ait aucun de vous
„ dans la fuite qui ofe blamer mon choix
„ ou en murmurer „. Les Barons &
Sujets promirent d'obferver fidelement ce
que leur ayait demande* le Marquis leur
Seigneur. lis le remercierent d'avoir deTere'
a leur requete j & celui-ci prit avec eiuc
jour pour fes noces ; ce qui caufa par tout
le pays de Saluces une joie univerfelle.
Qr , £ pcu de diftance du, chateau, jly
;d by Google
OU CONTIS. 2Jf
ivait un village qu'habitaient quelques
laboureurs , & que traverfaif ordinaire-
ment le Marquis , quaiid par amufement
il allait charter. Au nombre de ces habi-
tans etait lin vieillard , appelle Janicola. ,
pauvre , accable* d'infirmite's , & qui nc
pouvait plus marcher. Souvent dans une
malheureufe chaumiere repofe la benedic-
tion du ciel. Ce bon vieillard en &ait la
preuve ; car il lui reftait de fon mariage
une fille nominee Grifelidis , parfaitement
belle de corps , mais Tame encore plus
belle , qui foutenait doucement & foula-
geaic fa vieillefle. Dans le jour , elle allait
garder quelques brebis qu'il avait; le foir,
quand elle les avait ramen^es a ratable ,
clle lui appretait fon ch&if repas , le levait
ou le couchait fur fon pauvre lit 5 & enfin
tous les fervices & tous les foins qu'une
fille doit a fon pere , la vertueufe Gri>
felidis les rendait au (left.
Depuis Jong -terns le Marquis de Salu-
ces avait 6t6 informs , par la renommee
commune, de la verm $c de la.conduitp
re (peccable de cette fille. Souvent en allanc
a Michafic il lui l&it arrive de s'arretot
;d by Google
ij6 Fabliaux
pour la regarder ; & dans fon cccur il
avait deja d&ermine* que , & jamais il lui
faJlait choifir une epoufe , il ne prendrait
que Grifelidis.
Cependant le jour qu'il avait fixe pour
fes noces arriva 5 & le palais fe trouvait
rempli de Dames , de Chevaliers , de
Bourgeois & de gens de tous les etats.
Mais ils avaient beau fe demander les
uns aux autres oji e'tait l'epoufe de leur
Seigneur , auciia ne pouvait reponcre.
Lui alors , comme s*il eut voulu aller au
devant d'elle , fortit de fon palais > &
tout cc qu'il y avait de Chevaliers &
de Dames le fuivit en foule.
Il fe rendit ainfi au village chez le
pauvre homme Janicola , auquel il dk :
« Janicola, je fais que tu m'as toujours
» aime* : j'en exige de toi une preuvc au-
*> jourd'hui , e'eft de m'accorder ta fillc
» en mariage ».. Le pauvre homme , in-
terdit a cette propoficion , repondit hum-
blement : « Sire , vous etes mon Maitre
*> & Seigneur , & je dois vouloir cc que
*> vous voulez ». *
La Pucelle pendant ce terns &ait ddfcuc .
;d by Google
O V C O K T E S. 257
aiipres de fbn vieux pcre , toute honteufe ;
car cllc n'ctait pas accoutumee a recevoir
nn pareil hote dans fa maifon. Le Marquis
lui adrefTant la parole : cc Grif<£Kdis > dh>il ,
» je veux ,vous prendre pour mon epoufe :
» votre pere y confent , & je me flattc
*> d'obtenir auffi votre aveu 3 mais au-
to paravantrepondez-moi a une demande
» que je vais vous faire devant lui. Je
*> defire une femme qui me foit foumife
*> en tour , qui ne veuille jamais que ce
» que je voudrai* & qui, quels que foienc
» mes caprices ou mpsordresj {bit tou-
» jours prete a les executer. Si vous de-
» venez la mienne , confentez-vous a
*> obferver ces conditions » 1 Grife'lidis
lui repOndit : « Monfeigneur , puifque
» telle eft votre volont^ , je ne ferai ni
*> ne voudrai jamais que ce qu'il vous
n aura plu me commander 5 & ordonna£-
» ficz - vous ma mort , je vous promets
» de la fouffrir Tans me plaindre. II furrit,
» die le Marquis ». En mte terns ii la
prit par la main , & fortant de la maifon
ii alia la preTencer a fes Barons & a Ton
pcuple : « Mes amis , voici ma femme >
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*40 Fabliaux
m a dcvenir un jour les Vaflaux de U
» petite - fille de Janicola 5 & moi dont
» l'interet eft de menager leur amitie , je
>? me yois force de leur faire ce facrtfice
» douloureux qui coute tant a mon caeur.
» Je n*ai point voulu m'y refoudre ce-
» pendant fans t'en avoir prevenue 5 &
» je viens demander ton aveu , & t'ex-
** horter a cette patience que tu m*as pro-
4 , mife avant d!etr& mon epoufe. Cher
„ Sire , ripondit humblement Grifelidis
„ fans laiffer paraitre fur fon vifage au-
>, cun figne de douleur , vous etes mon
*, Seigneur & mon Mari 5 ma fille & mpi
„ nous vous appartenons j & quelque
„ chofe qu*il vous plaife ordonner dc
„ nous , jamais rkn ne me fera oublier
^, l'obcifTance & la fdumiffion que je
„ vous ai vouie & que je vous dois „.
x Tant de moderation & dc douceur e'ton-
nerent Je Marquis* II fe retira avec i'ap-
parence d'une grande triftefle 5 mais au
fonds du coeur, plein xTamour ted'admi*
ration pour fa femmcQuand il fut f<?ul %
i\ appella un vieux fervitcur ,. attache' a
lui depuis treate aos^auquel il expliqu*
fon
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C TJ Co N'T E S. 24f
/on projct , & qu*il envoya cnfuitc chcn
ia Marquife. " Madame , dit Ie Scrgent *
„ daignez me pardonner la trifle com-
„ mjflion dont je fuis charge ; mais Mon-
„ feigneur demande votre fille,,.
A ces mots, Grifelidis fe rappellant Ie
difcours que lui avait tenu le Marquis 9
crut que Gautier envoyait prendre fa fillc
pour la faire mourir. Elle e'touffa fa dou-
leur/ n^anmoins , retint fes larmes ; &
fans faire Ia mbindre plainte ni memc
poufTer un fbupir , elle alia prendre l'en*
fant dans fon berceau , la regarda long*
terns avec tendreffe 5 puis lui ayant fait lc
figne de la croix fur le front , & la bai-
fant pour la derniere fois , elle. la livra
au Sergent
Celui-ci vint raconter a fon maitre I'c-*
xemple de courage & de £j»mifIIon dont
il vcnait d'etre t^moin. Le Marquis ne
pouvait fe lafTer d'admirer la vertu de fa
fern me j mais lorfqu'il vk pleurer dans fes
bras cette belle enfant, fon coeur rut e'mu „
& peu s'cn fallut qu'il ne renoncat a fa.
cruelle ^preuve. Cependant il fe remit,
& commanda au vieiui ferviteur d'allcjc
Tome IL O
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*4* Fabliau*
a Boulogne porter fecrettemenr 6 filld
chez la ComtefTe d'Empeche Csl faeur 5 en
la priant de la fairc elever fous fes yeux ,
mais de facon que perfonne au raonde,
pas meme le Comre fon mari , ne put
avoir connaiflance-de cc miftere. Le Ser-»
gent ex&uta fidelement fa. commiffion*
La Comtetfc fe chargea de Tenfant , &
la fit elever en fecret > comme le lui re^
commandait fon frere.
Depuis cette feparatidn , le Marquis
vecilt avec fa femme comme auparavant.
Spuvent il lui arrivait d'obferver fon vi*
fage * & de chercher a lire dans fes yeux ,
pour voir s'il y demelerait quelque fignc
de reflentiment ou de douleun Mais il eut
beau examiner, elle lui temoigna toujour^
le meme amour & le meme refpeft. Ja-
mais elle ntt^montra l'apparence de la
triftefTe ; & ni devant lui ni meme en
fon abfence , ne prononca une feule fois
le nom de fa fille.
Quatre ann&s fe paiTerent ainfi , ait
bout defquelles elle accoucha d'un en*
fant male qui acheva de combler le bon-
fceur du pere & Ja joie <ks Jujets. EU%
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O V C O N T E $. 245
Ie nourrit de Ton lait comme l'autre. Mais
quand ce fils bien-aim£ eut deux ans , 1c
Marquis voulut lc fairc fervir a ^pronver
encore la patience de Grifelidis , & il vint
lui tenir a peu-pr£s ies memes difcour?
qu'il lui avait tcnus autrefois au fujet de
fa fiUc.
Oh ! quelle douleur mortelle dut ref-
fentir en ce moment cette femme incpm-
parable , quand fe rappellant qu'elle avait
deja perdu fa fille , elle vit qu'on allaic
faire mourir encore ce fils, fon unique
efp&ance , & le feul enfant qu'elle croyait
lui refter, Quelle eft , je ne dis pas la mere
tendre , mais meme l'etrangere compati In-
fante & fenfibie , qui , a une telle fen-
tence , eut pu retenir fes larmes & fes
cris \ Reincs , Princefles , Marquifes ,
femmes de tons les ^tats , exoutcz la r&>
ponfe de celle-ci a fon Seigneur , & pro*
fitcz de Texemple.
" Cher Sire , dit-elle , je vous Tai ju*e\
„ autrefois , & je vous le jure encore ,
„ de ne vouloir jamais que ce que vous
t , voudrcz. Quand , en entrant dans votre
11 pa&is > j? quittai mes paavres habits t
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144 Fabliaux
yy je me d^fis a la fois de ma proprc vo*
i, lont6 , pour ne plus connaitre que la
„ votre. S'il m'e'tait pofiible de la deviner
„ avant qu J elle s'explique , vous verriez
„ vos moindres defirs preVenus & accom-
„ plis. Ordonnez de moi maintenant rout
„ ce qu'il vous plaira. Si vous voulez que
„ je meure , j *y confens : car la mort n'eft
„ rjen aupres du malheur de vous d6-
„ plaire „.
Gautier e'tait de plus en plus ^tonne*. Vn
autre qui eut moins connu Grife'lidis , cut
pu croire que tant de fermete' d'ame n*£-
tait qu'infenfibtlite' $ mais lui qui , pendant
qu'clle nourriflait fes enfans , avair 6t€
mille fbis temoin des exces de {a ten-
dreffe pour eux , il ne pouvait atcribuer
fon courage qu'a l'amour qu'elle lui por-
tait. II envoya comme la premiere fbis
fon Sergent fidele prendre l'enfant , 6c le
fit porter a* Boulogne od il fat 6k\6 avec
ft petite four.
Apres deux atifli terribles epreuves ,
Catitier eut bien dti fe croire sur de £a
fcmme & fe difpenfer de l'affliger davan-
**£e* Mais il eft des cams foupconneux
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O V CONTES. 24J
que rien ne. guirit; qui, lorfqutune ibis
lis ont comment, ne^peuvent plus s'ar-
reter , & pour lcfqucls la douleur des
autres eft un plaifir d&irieux. Non-feule-
meat la Marquife paraiflait avoir oubIi£
fon double malheur : mais de jour en
jour Gautier la trouvait plus foumife , plus
carefljinte & plus tendre ; & n^anmoins
il.fe propofait de la tourmenter encore.
Sa fille avait douze ans , fon fils en
avait huit. II voulut les feire revenir au-
pres de lui , & pria la ComteAe fa faeur
de les lui ramener. En meme - terns il
fit courir le bruit qu'il allait repudier fa
femme pour en prendre une autre.
Bienrot' cette barbare nouvelle panrint
aux oreilles de Grif&idis. On lui dit qu'iine
jeune perfonne de baute naifTance & belle
comme une Fee , arrivait pour etie Mar*
quife de Saluces. Si elle fat confternee
d*un pareil ev^nement , je vous le laine
a penfer. Cependaht elle s'arma de cou-
rage , & attendit que celui a qui elle de-
vait oWir en voulut ordonner. Il la fit
venir , & $ n preTence de quelqles-uns d«
ics Barons lui parla ainii : « Grif^lidis f
O3
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u& Fabliaux
r> depuis douze ans que nous habiton*
w enfemble jc me fuis plu a t'avoir pour
^ compagne , parce que je rcgardais a ta
* vertu plus qua ta naifTahce > mai$ il mc
» fautun heftier, mes Vaflaux 1'exigent;
*> & Rome permet que je prenne enfia
» une epoufe digne de moL Elle arrive
„ dans quelques jours ; ainfi prepare-tpi
„ a aider ta place > emporte ton douaire ,
„ & rappelle tout ton courage. Monfei-
„ gneu{, repondit Grifelidis , je .n'ignore;
f> point que la fille du pauvre Janicola
„ n'ettit; pas faite pour devenir yotre;
„ epoufe $ & dans ce palais , dont vous
„ m'avez rendue la Dame , je prend?
„ Dieu a temoin que tous les jours , en,
• „ le remerciant de cet honneur , je m'en
t , reconnaiflais indigne. Je laiiTe fans re-»
99 gret , puifque telle eft votre vplont£ >
„ les lieux ou j'aj demeure' avec tant dp
t , plaifir j # je retourne rapurir dans la
„ cabane qui me vit naitre , & ou je;
„ pourrai rendre encore a mon pere.des
„ fojns que j'ltais fbrcee , malgr^ moi,
f , de laiffcr a un Stranger, # Quant ai*
»> dowtfrc d<W vow 4»e parjez , voui
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O u Contes. Z47
„ favez, Sire, quavec un cceur chafte
„ je nc pus vous apportcr que pauvrete' ,
9 , refpecl; & amour, Jous les habillemen?
„ que j'ai v&us jufqu'ici font a vous ;
„ permettez que je les quitte & que je.
„ reprenne les miens que j'ai confervas,
„ Void fanneau dont vous m'epousates,
,, Je fortis pauvre de chez mon pere , j'y
„ rentrerai pauvre > & nc veux y porter
,, que rhonneur d'etre la veuve irrepro*
„ chable d'un tel epoux „,
Le Marquis fut tellement £mu de ce
difcours*qu'il ne piit retenir fes larmes ,
& qu'il fe vit oblige de fortir pour les.
cacher. Griftlidis quitta fes beaux vetc-
tcmens , fes joyaux , fes ornemens de
tete 5 elle rcprit fes habitsjruftiques , &;
fe . rendit a fon village , accompagneQ
d'une foule de Barons, de Chevaliers 8c
de Dames qui fondaient en larmes & re-»
grettaient tant de vertu. Elle feule nq
pleurait point ; mais elle. marchait* en
filence , les yeux bain^s,
On arriva ainfi chez le pere qui ne paruu
jpas ^tonnd de l'evenement. De tout tgn$
CC jnariage lui avait paru fufpeft # & U
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248 Fabliaux
s'etait toujour? dout£ que tot ou tard le
Marquis , quand il ferait las" de fa fille ,
Ja lui renverrait. le vieiliard PerabrafTa
tendrement 5 & fans t^moigner ni couroux
ni douleur, il remercia les Dames & les
Chevaliers qui Pavaient accompagnee , &
les exhorta a bien aimer leur Seigneur &
a le fervir loyalement. Imaginez quel
chagrin reflentait inteYieurement le bon
Janicola , quand il fongeait que fa fille ,
apres un li long-tems de plaifirs & d'abon-
dance , allait le fefte de'fa vie manquer
de tout : mais elle ne femblait {feint s'en
appercevoir , & elle - meme ranimait le
courage <}e fon pere.
Cependant le Comte & la ComtefTe
<f Empeche , iiiivis d'un grand nombre de
Chevaliers & de Dames , allaient arriver
avec les deux en fans. D<*ja ils n^taient"
plus quia une journee de Saluces. Le Mar«*
quis^ pour confommer fa derniere epreu-
*e , envoya chercher Grifelidis , qui vint
aufli-tot a pied , & dans fes habits dc
payfanne. " Fille de Janicola , lui dit-il ,
iy Remain arrive ma nouvelle epoufe j 5c
*, comme performs dans mon palais oe
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OU' CONTH. 249
*, connait auffi bien que toi ce qui peut
„ mc plaire , & que je fouhaite la bien
„ recevoir , ainn* que mon frere , ma
„ fpeur & toute la Chevalerie qui Tac-
9> compagnent , fai voulu te charger de
„ ces fbins , & particulieVement de ceux
*, qui la regardent Sire , T^pondit - ellc ,
99 je vous ai de tello* obligations que ,
*, tant que Dieu me laiflera des jours ,
99 je me ferai un devoir d'ex^cuter ce qui
,* pourra vous faire plaifir „.
Elle alia aufli-ror donner des ordres
aux Officiers & Domefliques. Elle-meme
aida aux diflFcrens travaux , & prepara la
chambre nuptiale & le lit deftine a cellc
<3ont l'arriv^e prochaine Pavait fait chaffer.
Quand la jeune perfbnne parut , loin de
laiiTer e'chapper a fa preTence , comme on
devait s'y attendre , quelque figne d' emo-
tion , loin de rougir des haillons fous lef-
<juels elle fe montrait a fes yeux , ellc
alia au-devant d'elle , la felua refpe&ueu-
fement , & la conduifit dans la chambre
nuptiale. Par un inftind fecret , dont elle
tie devinait pas la raifon , elle fe plaifait
dans U corapagnk des deux enfans 5 elle
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*jo Fabliaux
ne pouvait fe laffer de les regarder & louait
fans cette. leur beauti.
L'heure du feftin arrivee , lorfque tout
lc monde fat a table , le Marquis la fit:
venir 5 & lui montrant cctte epoufe pre^
tendue qui , a Ton &lat naturcl , ajoutait
encore une parure -^blouifTante , il. lui
demanda ce qu'elle, en penfait. * Monfei^
„ gneur , repondit-elle , vous ne pouyiez
„ la choifir plus belle & plus honnete; &
„ fi Dieu exauce les prieres que je feral
„ pour vous tous les jours , vous ferez
„ heureux avec elle. Mais de grace , Sire p
„ epargnez a cclle-ci les douloureux ai^-
t> guillons qu'a fentis Pautre, Plus jeunc
„ & plus de'licacement elevee , Ton cceuj;
„ n'aurait peu«tre pas h force de les
*, (butenir ; elle en mourrait „.
A ces mots , des larmes s'echapperent
des yeux du Marquis. Il ne put dinlmuler
davantage , & admirant cette douceur
inalterable & cette vertu que rien n*avait
pu laffer , il s^cria : « Grifelidis , ma
„ chere Grifelidis , e'en eft trop. J'ai fait,
,, pour cprouver ton amour, plus qup
„ jamais homme fpus le ciel n'a oXc ima->
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O V G K T E S. 2JI
I, gine* 3 & jc n'ai trouve" eii toi qu'b-
3, be'iflance , tendrefTe & fidelite* „. Alors
il s'approcha dc Grifelidis qui t mod^te-
ment humiliee de ces louanges , avait,
baifle la tete. II k feirra dans fes bras , 8c
l'afrofant de fes larmes , il ajouta en pfe^
fence de cette nombreufe affembtee :
*' Femme incomparable , oui , toi feulc
j, au monde es digne d'etre mon epoufe ,
99 & toi feule le feras a jamais. Tu m'as
„ cm , ainfi que mes Sujets , le bourreau
„ de tes enfans. lis n'etaient qu'&oignes
h de toi. Ma foeur, aux mains de qui je
> , les avais confi^s, vientde nous lesra-
H mener ; regarde , les voila. .Et vous ,
„ nia fille , vous , mon fils , venez vous
y, jetter aux genoux de votre refpe&able
j,*\nere „.
Grifelidis ne put fupporter tant de joie
a la fois. Elle tomba fans connaiflance j 8c
<juand les fecours qu'o'n lui prodigua lui
eurent fait reprendre fes fens , elle prit les
deux enfans qu'elle couvrit de fes baifers
& de fes larmes , & les tint fi long-tems
ferr& fur fon coeur qu'on eut de la peine
a les lui ajrracter, Tout; le monde pleurait
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2j2 Fabliaux
dans I'aflcmble'e. On n'entendak que de§
cris de joie & d'admiration j & cctte fete,
ce fitftin qu'avait prepares l'amour du Mar-
quis devinrent pour fa femme un triomphe*
Gautier fit yenir au palais de Saluces 1c
vieux Janicola , qu'il n'avait paru negliger
jufqu'alors que pour eprouvcr fa femme ,
& qu'il honora le refte de fa vie. Les deux
epoux vecurent encore vingt ans entiers
dans, l'union & la concorde la plus parfaitc
lis marierent leurs enfans dont ils virentr
les fuccciTeurs , & apres eux leur fils h&-
rica de la terre , a la grande fatisia&ion,
de leurs fujecs.
II ferait difficile de compter routes le,s imi-
tations qii'on a /kites de ce Fabliau , I'/tno
des hifioires les, plus attendriff antes qjfau-
eune Nation ait jamais imaginees. II a et£
traduit dans prefque toutes les Langues de
I'Europe ; mais d'apres Bocace , qui fcul m
eu Vhonneur de le faire connaitre : tant font
a efiimer la. grace duftile & le mtrite de lm
narration, le celcbre Pitrarque *n a public
une verfiun Latine , que M» Manni dit £tre
Unt traduction 'de Bocace. Je la croirais pin-
t4t
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DU CONTE J, 2f)
t6t Jake cTapres nos Profateurs du quator\icme
^ jtecle, qu'ilfuit ajpnexa&ement, & que j'aifuivU ^
moi-mime ; au lieu que Bocacl dans la fienna
a fait quelques fupprejfions , telles, par ex un-
fit , que eelle du diftours tendre & naff it*
Vajfaut a leur Seigneur pour Pengagcr a fe
v tnarier , celle du tableau Ji touchant du ca-
waclere de Grifttidis & de fts foins pour fort
vieux pere , &c. Pcut-itre aujfi Bocae e # qui
Wait du godt, a-t-il voulu fauver quelques -
unet des invraifemblances de ce Conte ; & n'a*
t-il pas cm qu'un vieillard infirme qu'on eft
Oblige* de lever & de coucher tous Its jours *
puiJJ'e vivre encore dou\e ans , aprls avoir Hi
sbandonni*
Vers Us dernkrea annies du quato^iemt %
Jjecle, on mit che^ nous le Fabliau en drame ^ Th F*
fous le nom de Miftere de Grifelidis % 5 & ce t , z 9 p.
Miftere extfte encore manufcrit a la Biblio* *9S»
theque da Rot. II fit imprimi a Paris, aveC * eauch *
• 5» > . « Recherc.
quelques changemens , par Bonfonds , vers tSjS* r ur r cs
Plupeurs nations, & en particulier les Ita- Th*Ut,
liens , en out fait de mime une piece de th&a\* P ^A''
jjibl* du
4rt : & ll y en a une d'Apoftoto Zen©. 2>. JCV,
Tome II J?
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1J4 F A B L T A it r
<• *
— ■■-■■ "■■ ■■ .11 I. . «t
ParRu. * D E *L'A FEMME
jtebcuf*
QUI FIT TROIS FOIS LE TOUR DES MUR*
DE L'£gLISE.
Fauckbt err a donni rextrala '
M.
Lari qui tente d*attrapper fa fcmnje
tu picgc , je lur confeille auparavant d*e£»
fayer d'attrapper lc Dfable. Fattez-fa tout
lc jour , meurtri/lez-la de coups 5 lie lciv*
demain il n'y paraitra feulement pas ,«eHer
fcra pr£te a recomraencer. Ceft reette-
ment un fpe&aclecurieuxavoir que femme
poiRdant un mari bon-homme , & quj
a intent de lui perfuader quelque chofe.
Regardez-la faire; die le tournera fi bien 9
elle iui en dira tant , qu'elle finira enfiti
par le conVaincrc que le lendemain it
rerra les nue"es flamber & lc ciel tonw
ber en cendres.
Je vous dis eeci a propos d'une Demoi—
Telle ( a ) qui &ait U femme d'un Ecuyer
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OU CONTES. 1|J
Jc Bcaufic oa de Berry j je nc me fou-
viens plus crop lequel. Ce que je me rap*
pellc , c'eft qu'elle e'tair ramie chin Curs' ,
& qu'eile faimak aa point d'entreprendre
de grand coeur, pour le lui prouver >
Jes ctofes les plus difficilcs , s'il les avait
digues.
EfTe&ivement , un jour qif ellc e*taft ve-
nue a TEglife, le Pr£tre, apres TOffice,
Tayanc pri^e de fe trouver le foir pour
one affaire , difait-il , importante , dans '
un bofquet qu'il lui nomma , elle le 4ui
promit fans h^liter. La chofc au rcftej&aic
<fautant plus facile que le man dans..ec
moment ne fe trouHait point a la mai-
fbn. Quant a l'afFairc qui devait s'y trai-
ler , je ne puis vous en rien dire, parce
qu'on n'a pu mt rapprendre. Je vous di*
xai feulcment que les maifons, baties
aoutes deux au milieu d'une enceinte d'cV
pines , commc le font les maifons du
Garinais, Itaienr eloigners Tune de l'autre
<f un bon quart de lieue $ qu'a mi-che-
min fe trouvait le bocage ; & qu'il ap*
partcnait au Servant de S. Arnoud ( b).
le foir a (ks que le foleil fut couch£
Pi
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x?£ Fabliaux
4c que ie Cure* «rut pouvoir s'&bapper
fans crre vu , il fe rendit fecrettemertt
au bofquet & s*y affit ert attendant fa
belle. Ceilc-ci de fon c6ti fe preparait
a alier le joindre , quand tout-a-coup Sire
tAmoud rentra & dirangea le rendez-vous.
Une autre a la place de la Demoifelle
fc fut d&onccrtee fans doute ; mais notrc
heroine ne crut pas , pour fi peu , deroir
manquer a fa parole 5 & en depic da
contre-tems , elle trayailla tout auffitot £
fe'mettre en etat de la tenir.
. Le mari Itait harafle' & mouiIle\ Sous
pr&exte de ne le point laifler refroidir , fans
pcrdre un moment tile lui fit a fouper*
U vous croyez bien qu'eile ne s'amuia
pas a lui apprerer quatre ou cinq plats.
" Beau Sire , rep^tait-ellc a chaque inftant,
„ vous &es fatigue* , je vous confeille ie
„ manger peu. Quand oh a beaucoup mar-
M ch/T c'eft du reposqu'il faut. Venez vous
„ coucher, croyez-mou, 3c tfallez pas vous
„ ^chauffer encore a veiller „. Elle avait
tant d'envie de fe d^barraffer de lui qu'clle
lui arrachait prefque les morceauz de la
bouohe. Enfin , elle le precha tant , que le
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O V G O N T I S. 2 S7
bonrhommc , flatte* dc ccs attentions, fortit
de table , quoiquc mourant dc £iim ., Zc
£c laiila conduire au lit.
. II ccmptait que fa femme allait fe cou*
cher aufli j mais lorfqu'il vit qu'elle nc
fe d&habiilait pas, & qu'il lui en eut de-
mand^ la raifon : " Sire , repondit-clle 5 fl
„ eft encore bien bonne heure pour moi.
„ Vous favez que 1'ouvrier me preflc pour
„ la toile que jc vous fais faire > je n'ai
„ plus dc fil, & 1'on ne trouve pas a.
„ en acheter d'aufE beau que le mien.
„ Dormez toujours , je in'en vais encore
„ travailler quelque terns. Au Diable foit
B9 la fila/Tc , repartit le mari m&ontent.
„ Elle a toujours quelque chofc a faire
t , quand je me couche , & puis le iende*
„ main , pour fe lever, e'eft la miferc,,.
Cependant, apres avoir un peu bougorme' i
il fit fon figne de croix , & s'endormit.
JLa Demoifelle, comme vous i'imagmcz,
lie pefdit pas fon terns a le garder. Ellc
courut bien vite au bois ou Tattendait
(on ami , & ou rut traitee £ amplement
rafFaire dont je vous ai parle, que le term
t&oula Cms qu'ils s'en appercufTent.
P*
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2)8* Fabliaux
Vers minuit Sire Arnoud s'eVeilla; ft
furpris de nc point (entir fa femme an-
prcs de lui , il appella la chambriere pour
favoir oii elle dtait. Elle m'a dit en for*
tant , repondit la fervante , que pour nc
pas s'ennuyer elle allait filer chez fa com-
mere. II ne faut pas demander fi VEcuyer
fit la griinace , quand il apprit que (i
Moide* etait dehors a unc pareille heurc.
II prit a la hare (on Turcot , & couth*
chez la eommere , qui dormait fort tran-
quillement, &qui ne fut ce qu'on you*
kit lui dire. Trop convaincu alors de ce
qu'il avait a craindre , fEcuyer retourna
chez lui en fureur j & d'apres quelques
foupcons qui lui furvinrent , il voulut , en
revenant 9 prendre par le bofquet. Mais
fa femme heureufement Tappercut, & elk
ie tapit fi bien qu'il pafla fans rien voir*
Neanmoins comme il enrit terns de rcn-
trer; quand il fut un peu lloigne* elle
ie leva & prit conge' de fon ami. " Moa
„ Dieu ! je fuis A&CM , difait le Pretre 9
„ vous allez &re aflbmmee , il vous tuera.
„ Songez feulement a n'ctre point rcconnu ,
„ lui repondit-elie en riant 5 le refte cfl
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<y v C o n t e «• ij9
.& mon affaire , & vous pouvez dormir
*,cnpaix„,
Elle fut recue , en rentrant , avec un
torrent d'injures. " Coquinei raalheureufei
*,<fou viens-tu? D*avec notre Cur6, je
*> gage } ( kelasi il di&it vrai fans le fa«<
*, voir). Je no m'&otme pas maintenant
„ fi tu etais fi pre/Tee de ra'envoyer cou-
*, cher „. Efle ecouta fes reprpches avee
un fang-froid etonnant , ne repondit pas
un mot , & lui laifla jetter fon premier
feu, dans t'e(perance fans doute que la
querelle finirait zvee les invedives. Mais
qi&nd elk vit pourtant que prenant fon
filence pour un avcu ,* il lui faiiif-
(ait de/a les cheveux pour les lui cou>
ycr(<?): " Arretez, dit-elle , & jugez-
t , moi. Vous fave;z,.Sirc, 1'envie extreme que
*, j'avais de vous donner un heritier. Je
. it crois maintenant pouvoir en etre fiire ,
„ & mes voeux en panie font combles.
„ Mais jlgnorc encore le feze de 1'enfant
>t que je pone.; & voiia ce que je ferais
„ curieufe de favoir s'il Itair poflible. J'aJ
# , done que(rionn£ tout le monde , j'aj
„ interroge* mes amies , elles m'ont re~
P4
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16b
„ pondu mais vous allez' vouS
„ moqucr de moi „ : Et alors , afFeo
rant unc efpece dc honte , cllc panic
rougjr.
Gc miftcre, cet air d'cmbarras , cc conv*
mencement d'aveu fingulier exciterent la
curiofite' de l'epoux. II ordohna a fa fcmmc
d'achever. Elle fe fit prefer bcaucoup, lui
fit bien promettrc qu'il ne fc moquerait
pas d'elle , & cnfiri , commc il commen-
^ait a fe facher , elle ajouta : " Eh bien ^
„ puifque vous voulez le favoir , on m'a
„ cnfeigne' un fecret qu'on dit fur ; &
„ le voici. Il faut alter pendant trois nirits
„ conftcutives a la porte de TEglifc ; puis
„ a chaque fois faire trois tours en de-
„ hors fans parler $ dire enfuite trois Pater
„ en Thonneur dc Dieu & dcs Apotres j
„ enfin . creufer avec le talon un trou en
*, terre. Le troifieme jour on revient exa*
„ miner la fofTettc Si elle eft ouverte ,
„ ceft un garcon qu'on doit avoir ; mais
„ fi on la trouve fermec , c'eft unc fillc*
., J'ai done cntrepris avant-hicr ma de%
f , votion , jc viens de finir mon dernier,
» tour, & jc fauraidemain k quoim'en
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e v Gontes. 161
w tcnir j ou plutot , cotnme lc jout
„ eft d^ja comment, je puis lc fa-
99 voir des rinftanc mSmc , fi vom
„ voulez „.
A ces mots , clle pria Ton *nari de re-
toumer a PEglife avec elle. II eut beau
aHeguer des excufes & pr&endre qu'il fc-
xait aflez-tot d'y aller pour la Mefie 5 clle
le prefla tant, die montra on befoin fi
extravagant de contcntcr (on envie , que
lc bon Ecuyer , par egard pour Ntat re£
peclablc ou elle difait tec , confentit a
1'accompagner. Quoique le jour fut <teji
aflez grand pour fe conduire , dlt vou-
lut encore qu'il prit une lanteme afin M
xnieux voir.
Arrived a la pone de l'Eglife , clle lui
montre a quelque pas de-la , l'endroit
pr&endu ou clle dit avoir frappe* du ta-
lon , 8c le prie d'aller voir ce qu'eile doit
attendre. 11 s'approche , regarde , ouvre
ia lanterne, & crie qu'il ne voit point
dt trou. A cette nouvellc la Dcmoifcllc
4ccourt tranfportee. Elle fe jctte a foa
cou, pleurc de. joie , rembrafTc mill*
Jfois , fe met a genoui pour remercic*
Pf
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ifct Fabliaux
Dicu de la grace qu'elle en a otxc*
nue, & fait tant de folics que le bon
Arnoud , ravi a Ton tour , fembraffc
auffi & revient chcz lui au comble dit
bonheur. •
Que vcut vous apprendre Rutebcuf par
ce Fabliau ? Rien , Meffieurs j finon que
femme qui eft marice a un fot , a tort*
fi elje deTIrc encore quelquc chofc.
NOTES.
( a 9 UneDcmoifelle qui itau la fimmefta.
Ecuyer )• Cette femme quoique marice , eft
appellee Demoifclle , parce que fon man
n'eft qu'Ecuyer. On ne donnait dans la ri-
gueur le titre de Dame qd'aux epoufes des
Souverains , des trds-grands Seigneurs & des
Chevaliers. Brantome, qui ecrivait trois fic-
clcs plus tard, appelle encore fon aYeule la
Senechale de Poitou , Mademoifillc dt Bour-
4tti.lt. Si' quelquefois let Fabliaux offrenc lo
contraire , fi l'on y volt des femraes de ViU*
tains ou de Bourgeois , nominees Dames a
s**ft • ou line dcrulon t ou xmc £15011 do
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OU C.ONTE'5, 16$
Jtttler ramillere qui n'eft point aftrcintc aux
iregles. . . .
( & ; Appartenalt <& Servant de Saint- Ar-
jurai ), Ii n'eft pas 'bcfoin , je crois , d'ex-
pliquer. ccttc pjajfaneerie que tout le raondc
•eatend, & qui eft deycnue populaire :
Suif-Je nit dans la conftairie
Saint ArnoaM , le Seigneur det Coux?
( e ; lid fiifijfait dija les cheveux pour lei
lul couper )• On rafait la t£te des femmes
convaincues d'adulcere 5 & cette coutume,
afitee chec les anciens Getmains , parafc
£rre une de celles que les Francs apporte-
xenc & eublirenc dans les Gaules. La Na-
tion, qui efti.nak adez fa chevelure pour
«n faire ' le figne djftin&if de 4a nobleflc ,
dcvaic attacber i cetce perte beaucojip de
*46shonneur. On fait que fous la premiere
Race l'amputacion des cheveux fuffifaic feule
pour degradcr un Prince du fang Royal &
le rendre incapable de fuccedcr £ la Cou-
ronne. Plufieurs anciens mahufcrits prou*
vent que quand la rcmme adultere avait ece*
ieduite ou proftituee par une autre fenune,
celle-cl £ufr attaches au pilot! ou on lui
;d by Google
164 Fa'b-liavx"
brulaic Jes cheveux , & bannic enfuite. LA
meW peine etait deftinee 4 cellc qui profti-
tuaic fa fille. On lira plus bas un Fabliau
qui roule tout entier fur des cbereux coupe*.
C'etait encore il y a quelques ann6es une del
puniuons des femmes publiques.
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ov ■ Conns. x6;
* LA ROBBE D'ECARLATE.
U,
N Chevalier du Comte* de Dammar-
tin, fage& fans reproche , avait fak fa
Aiie d'une famine aimable & joie , marine
un riche VavaiTeur( a ) , dont le Chateau
tfe'taic diftant du fien que de deux lkues.
Jaloux de plaire a la Dame , il ne laifTait
Ichapper aucune occafion d'aquenr gloire
& honneur: auffi dans teute la contree
Ic regardait-on gen&alement commc un
preux Chevalier. Le VavafFeur au contraire
aimait a juger ( b ) , & ne trillait que
quand il fallait parler dans un tribunal,
ou difcuter u/ie affaire.
Un certain jour de Juilfet, celui-ci fue
oblige de partir pour aflifter aux plaids
•de Senlis. La Dame aufli-tot envoya fe-
crettcment vers fon ami , & lui fit dire
de fe rendre aupres d*elle , des que fa
nuit le permettrait. Le Chevalier qui n*i-
gnorak pas le refpeel: qu' Amour exige en
pareil cas , prit fes cpeions d'or , fa bdk
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166 Fabiiaox
robbe d'e'carlatte fourr& d*hermine(Of
& v£tu comme un jeune Bachelier , Tcf-
froi des Amans , il partit fur Con grand
palefroi { d ) , emmenant avec lui pour
Vamufer en route , fi par hafard il trou-
vait a fairc lever quelqu'alouette , un
tpewrier & deux chiens. Tout le monde
itait de'jat couche' au chateau , quand il
y arriva. H prit done lc parti d'attacher
ion cheval , fit percher fon oifeau , &
fins appellor perfonnc fc rendit a la chambrc
dc la Dame qui l'attendait au lit.
Au point <ki jour le mari rentra. JLes
j>Iaids de Senlis avaient it& remis a la fe*
maine fuivante, & il rcvenait chez lui
cpucfaer ; mais imaginez quel fut fon e'ton*
nement, quand, en entrant dans la cour,
il vit un cheval , des chiens & un eper-
vicr. II foupconna quclqu'iin aupres dc
fa femme & monta rapidement chez ellc #
pour s*en e'claircir. Le Chevalier heureu*
iement fentendit ouvrir. Il faifit a la hate
ce qu'il put de fes habillemens & fe pre*-
cipita dans la ruelle, ou il fe tajnt. La
Dame , pour k cachfcr , jetta fur lui foa
;d by Google
o u (Jqntes. i6j
jnanteau & Ton pelicon 5 mais il e'tait fi
preAe* qu'il n'eut pas lc tems de prendre
fa robbe 5 elle fe trouvait fur un coffre
aupres du lit , & ce fut le premier ob-
jet que le Vayafleur appercut.
"Madame, dit-il d'un ton fort fec t
»> que fignific tout cela ? Jc viens de voir
„ la-bas un cheval & des chiens j yoicj
„ une robbe s qui eft venu id en moa
„ abfehce 1 Sire , repondit-elie fans fe de-
n concerter , e'eft un prefent qu*on vou*
>, fait. Mais dites-moi , eft-ce que vous
„ n f avex pas vu mon frere? j'en fuis fur*
y> prife 9 car il vient de partir dans fin*
y, ftant , $c vous auriez du le rencontre*.
n II eft venu bier ici avec certe bell*
„ robbe. Moi , narvement 8c 6ns in$en-
# , tion , je me fuis avi$e de laciber dan$
*, la xpnver&tion que je croyais qu'elJe
t , vous irait bien. Je le defies, nVa-t-U
M repoadu; & auffi-tot il s'taieft depouil!4 #
„ me priant de vous faire accepter en meme
„ tems , pour dormer quelque prix a (a
„ gaknterie , fes eperons (f or. , fes chienft,
„ £bn epervier & fon patefirei qu'il^smt
to tanc Vous devinez, &rc, quelk aejtf
;d by Google
t6i Fabliaux
„ ma reponfc a ccttc ofFre generenfe;
„ mais j'ai cu beau dire , beau me fa-
„ cher, il n*a rien Scoute* & a tout laifR
„ chez vous. Recevez done fon cadeau ^
„ puifque vous ne pouvez le refufer fans
„ lui faire de la peine. Il ne vous (era
„ pas difficile de trouver bientot quelquc
„ chofe qui lui plaife & qui pourxa
„ fervir a vous aquiter „.
La bourde riuffit a mcrveille. LcVa-
vaiTeur , naturellemeat un pcu avare , fur
enchants* du preTent. Cette robbe cepen-
dant rhumiliait j il aurait voulu que &
femme Teut exclue du cadeau , & appre^
liendait qu'onnc le taxat de peu dc d&ica-
tefle. " Point du tout , Sir* , on dira que
,, e'eft dc votrc pan franchife & com-
„ plaifance. Rien ne doit tec refufi dc
„ La main d'un ami ; & , pour moi -, quand
f , je vois quelqu'un craindre de rccevoir ,
„ jc dis a coup sur que e'eft qu*il a peur
, dc rendre „. Enfin die parla fi bien quil
avoua qu'cllc avaic raifon 8c promit dc
tout garder. 11 fc coucha enfuite* 8c
Dicu fait comrac ilfut rccu 8c baife* , 8c
tout cc qu'on fit pour lcndormir. Mais
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6>U C "O N T E S. l€$
i peine cbmmericait-il a ronfler que la.
Dame pouflk du pied fon ami. Celui-ci
alia doucement feprendre fa robbe. j &
remontant fur fon cheval •s'en retourna
avec fes chiens & fon oifeau.
Vers le midi le Vavaffeur fe reveilla , & .
fa. premiere penfte fut de demander fa
belle robbe. Son Ecuycr , qui la veiile
avait iti' aux champs tout le jour pour
faire travailler les moiffonneurs , & qui
nc favait ce que' lignifiait ce difcours *
lui en apporta une verte (*) qu'il avait.
** — Eh non , ce n'eft pas celle-la , c'eft
„ la robbe e'carlate qu'on m'a donnee
„ hier ,,. La femme le regardant d'un
air ^tonne* , lui dcmanda s'il avait achet6
ou emprunt^ quelmie robbe a Senlis.
« -Non , Madame , encore une fois ,
„ c'eft cclle de votre frere. Mais vous
„ dever le favoir mieux que moi , puif«
„ que ce matin , en arrivant , quand je
„ l'ai trouvee fur ce coffre , vous m'avei
„ die vous-meme que c'&ait un cadeau.
„ qu*il me raifait. — Mon ftere , Sire 1
„ il y a plus de quatre, mois que je ne
M l'ai vu. Affur^ment c'eft un reve que
;d by Google
$70 JFabliaux
^vous avcz fait en dormant 5 8c s'if
„ leak vena ici , commc vous 1c pr£-
„ ten^ez , il tfeut eu garde de me tenk
t> le propos frun homme ivre ou <Ftm
„ fou & de vous propofer une de ft*.
5 ,robbes. Laiifez cela aux M&i&riers ,
*, aux Jongleurs & a tous ces vagabonds
*, qui chantent pour nous amufer.' Votre
^terre tous rapporte plus de,*o li-
» vrcs (/) 5 il y a la de quoi fatisfaire
M toutes vos fantaifies. Achetez un pa*
„ lefroi aufli beau qu'il vous plaira , don-
s , nez-vous Jes habits qui vous feront
s , plaifir , vous lc pouvez ; mais fongex
„ que vous n # &e$ point rait pour porter
w ceux des autres. — Eh <juoi 1 ce matin
t> c'&ait vous qui nto exhortiez, A vous
„ entendre , je ne pouvais refufer vorrtf
f , ftere fans l'humilier & fens lui faire
„ de la peine. A pr^fent e'eft moi qui
„ me deshonore : lequcl croire des deux 1
99 — Moi, Sire , j'ai pu tenir un pareil
t , difcours I Moi j'ai M vous dire que
», mon frere m'avait parte , lorfqu'il n'&-
t , tait pas venul^n v£rit£ & je ne favais
i» que vous avez doxmi , vous m'inqu&»
!d by Google
ou Contes.' iyt
»> teriez beaucoup. Mais surement vous
yy voulez vous amufer. £a , parlez-mot
„ franchement 5 dc bonne-foi croyez-vous
„ avoir vu ici unc robbc \ — Oui ccr-
99 tes , jc 1'ai vue , elle cuit la , & j'cn
„ fuis audi stir qu'il Peft que jc vous
„ vois. — Ah ! doux ami, vous m'al-
„ larmez, & il wus eft arrive* en route,
w j'en repondrais , quelqu'accidenr- que
„ vous ne voulez pas me dire. Regar-
„ dez-moi ; eh 1 oui , voila ce que je
„ craignais ; vos yeux font jaunes , vour
„ fentez la fievre. Certainement vous eteft
„ malade. Recouchez^vous , croyez-moi ;
„$c puifqu'il a plu a Dieu det trouble*
99 votre rrfemoire, recommandez-vous a
„ Notrc-Dame ou a quelque bon Saine
„ du Paradis , pour qu'ils vous la ren-
99 dent. Faites vceu d'aller vi&er VtgliCt
„ du Baron S. Jaques (g). Vous revien-
„ drez par celle de Monfeigneur S. Ar-
„ noud j il y a long-tcms , fi vous m'en
„ eufHez cru , que vous lui auriez pn>-
„ mis un cierge auffi grand que vous „.
♦Quoique tout ce difcours commencat
a inqui&er lc Vavafleur , il ne pouvait
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i 7 x Fabliaux^
n£mmoins s*6ter dc refprit qtfil avairvn
unc robbe for lc coffre , & il fit venir
tous fes gens pour lcs intcrrogcr a ce
fujet. Mais nul d'eux, commc je ▼ou$
Tai. dit , n'avait vu lc Chevalier; ft
quand meme ils euflent e^6 temoins de
toute raventure , ils fe fuflent bicn gzt&
dc dire autrenient que leur mairreue.
I/epoux crut done pour le coup avoir
1'eiprit trouble* ; & feneufement allarme*
de Taccident , il fit voeu d'allcr en pcl6-
rinage a S. Jaques , & partit effe&ivc-
snent trois Jours apres.
Meflieurs, ce Fabliau eft rait pourles
maris. U les averttt que e'eft etre fbu
que. d'ajouter fbi a ce qu'ils voient de
Jeurs^propres yeux. Pour bien feire & allct
leur droit chemin , ils ne doivent croirc
que ce que difent leurs femmes.
St trow* dans dans les Tromperies de c*
6ecle,p, 40.
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U C O N T £ 5. 17j
NOTES.
. (a,Mari£e d un rieht Vavajfeur), Le V*»
vafleur etait Cclui qui tenait un arriere-fief |
c'eft-A-dire , dont la rctre n'avait que moycnne
& bafle jufticc , & relevait d'un Seigneur qtfi
lui-m6me etait Vaflal d'un autre. Nos JuriC-
jconfultcs jjc font point trop d'accord fur la
{ignification prtcife de ce titre 5 & Ton con*
501c que le fort, du VavafTeur 9 dependant du
caprice de Ton Suzerain, a du, felon. les lieux.
& les perfonnes, varier infinimca*
{by Le vavajfeur aimait d juger ). Outre let
Chevaliers qui par la nature de .leur fief
£taienc tenus d'aHUter aux plaids de kur
Suzerain. , il 7 en avait qui , dans les Cours-
dc-j 11ft ice des Souverains ou des Grands-Sei-
gneurs , fe deVouaient par gout aux fo nc-r
cions de J ug.es. On Jes appellait Chevaliers-
J*ettres , Chevalier s-de? Jufticc , Chevaliers-is-
2,oix» II y en eut pendant long-tems un ccr^
gain nombre dans le Parlement ; eux feulg
m£me avaient ^qualification de Monfeigncu*
ou de Me Aire ; & Ton ptetend que e'eft do*
JU , corome je l'ai deja dit , que vicnt la cou-
{umqyfc donnct au corps du Pailcmcnt I*
;d by Google
174 Fabliaux
titre Nojjeigneurs. On trouvc an excmple 4s
% Du Can- Cheralier-is'Loi* dh Pan x 1 1 j \
ge t Glojf. ( c , Prit fa robbe fourrie (Chcrminc ). II a
milcTlitr '**** M ' remarque* au t« dt Larval qu\m
teracus. porta* des fourrures en e*t£,
U eft die ici dans 1'original que le Chevalier
Worrit dlchauffi , £ caufe de la chaleur. J'avoue
que je ne con9ois crop rien a* cette maniere
d'allet I cheval, fans bas, & avec des cpe»
rons.
( a* , Parrft fir fin grand Palefroi ). Dan*
!es Jotices & les Tournois , le faeces d'uft
Chevalier 'dependant en partie dc la ibrce de
Ton cheval, on avait, pour ces occasions,
de grands & vigoureux chevaux de batailld
qu'on noramak Dextriers ; fie de-14 cette ex.
• predion proverbiale qui fubfifte encore , man*
tet fir fes grands chevaux , pour fe fickeri
Ceux dont la Chevaliers fe fervaienc pour
voyager , s*appellaient Pulefrois. Cependant
ces deux denominations ont etc ibuvenc con*
tfondues.
Jamais un Chevalier ne montait de jumenr.
C'euc ere pour lui une moncure derogeante
# qui feule eflt fuffi pour le faire rcgardet
Comme degrade.
( c * San Ectyer jui , la vetlle, <wunft/mi*
•
;d by Google
OU C K T 1 S. ljf
tlatnps tout le jour pour fare travaxlltr let
moijfonneurs , lui en apporta une verte ). On
temarquera que voici un Ecuyer faifant l r o^
ficc de valet de chambrc & d'infpefteur de
journaliers. Qu'ori ft rappclle ce qui a it6
die precedemmem fur Ics fbn&ions ^e cet
Geniils-hommcs dans la nete qui let ic^
gardaic. *
(/, Fbrre rerre v<m$ rapptrtc phtt de quarre*
mingt liwe% , (2 il y & Id de quoi fatisfair*
toutes vos fantaijits- ). Le Poe'te, quelquet
ligncs plus hant , a reprefente le VavaflTcut
commc un nomine richc Pour qu*on £uiile
apprccicr ce qu'etait cecct richefle rclad*.
yemeni 4 cello de nos jours , je vais ajoucet
jjuelques autres fcits du m&ne fiecle , que
f?aurai meme foki de ne choifir <jue dans la
Capitale, ou Ton cemprend que les prixdo
vaient en rout £tre plus hauts que dans lei
2rorinces,
En uy6, un Juif yendira PAbbe* de Same
Victor foixante fous parifis un demi-arpent de
Tignes \ Quelques annees plus tard Alphonfe 'Sawak
de France , le dernier des Comtes de Tou^ (f#: d *
loufe, acheta»pr£s du Louvre, 535 li*% un
grand terrein con tenant des maifons , des
granges U des places , & (1 tafte qu'apres fk
;d by Google
Paris + *,
a.
Vj6 Fabliaux
mort le Com:? de Pcrfgord, qui l'occupatvei
fon Rls, en vcndit la moitie au Comte d'A-
! Ibid* lencon, fils dc S. Louis*. On verra dans 1c
Fabliau de U Uovjfc coupee en deux , une
maifon occupee par. un Chevalier , Uquelli
itait fi bonne % dit l'Aiwur, qu'iZ Vtut Vitn
pi louer 20 iir*.
Sur ces faits , qu'il ne me fetait que trofl
AiCe de multiplier * j*obferverai que la dcmi- 4
Jivre ou marc d'argcnc qui > au commence-
ment du regne de S. Louis, valair 54 fous
7 deniers, vaut aujourd'nui jx liv. : que ft
valeur numeraire par consequent eft devenue
llix-huit fois plus forte , fans que fa • valeur
intrinfeque ait augments ; &c qu*ain(i un homme
qui auraitde nos jours 1400 lirres de reyenu\
ne feraic pas plus ricue- que notre Vavaffeut
retaic avec fes 80. U aurait memc phulque-
ment moins d'argent , quoique phifiquemem
il en cut le meme poids , parce que notrt
rnonnaie a de Palliage , 8c qu'alors elle n'civ
avait pAnt , ou en avaic cris-peu. Enfin , ej*
'■ cgard au prix refpe&if des denrees -qui » n'o-
tant point foumifes aux impots , ctaienr a*
tres-bas prix , il fcrait reellcment moins a Com
aife. On voic dans un Fabliau les gages d'un
jalc? de chacruc cfcim.es 4 4a igus par an*
D'apres
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O V Co K T E S. • iff
:tyapr^$ le calcul qu'en vienc dc lire, cc fe-
rait. environ % livres dc notre monnaie ; or
ye demande«|uel eft l'endroic du RoyaumeoA
Ton aurait a ce prix un valet ? Dans Beau-
wanoir\ la journSe de Thommc de pied eft *C*. JiJ
evalu£e huk deniers, fie celle de Thommede P' ***•
cbeval deux fous. En 1116 t Mathilde. , Cora-
tcfle de Nevers , ayant fonde" , pour executer let
derniere* volontcs d'Herve fon mari , une Cha*
fcelle i Entrain , dans TAuxerrois , elle f af-
figna quinxe lhrres de revenu \ Ces quinze li* * jj^
vres de rente 6taient fans doute fuffifanws tTAux,
pour vivre , puifejue Guillaunie , Eveque de P ar le
Paris , dans un Reglemenc public trente- * , ' f*
trois ans auparavant , avaic declare" qu'un Ec- ' %
clcfiaftique ne pouvait pas , en surete de cons-
cience , pofTeder a* la fois deux benefices don*
Tun rapporteraic cette fomrae;
Et pour ne citer , encore une fois , que
des exemples pris dans la Capicale , Sainc
Louis , afin d'engager les Juifs i fc conyer*
air, faifair & ceux qui recevaienc le Bateme
une rente d'un' ou deux deniers par jour.
Quand il fonda i'H6pital des Quinze-Vingts*
il ne donna pour la nourrirure de ces tro»
cens aveugles , que jo livres parifis par an.
Aux Hofpitalieres nominees Filles-Dicu , ilcf
Tome II Q .
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V$ . Fabliaux
donnait 400 ; & ayec cette fomme modiqtrtf ;
fur Jaquelle il lent fallaic encore de£d*
quer 10 livces pour le Cure d%S. Laurent- ,
elles trouvaicnt moyen d'entretenis Jcur H<J-
* Sdutal* pital*, de payer lcun domeftiques , dc rece-
§tr; k . tfoir les pauvres qui fe prefencaienc , de nourrir
Paris, t . . cu o j •
- . -deux cens nllcs rcpentics, & avaient de quoi
.vivre treVhonnetemcnt. Je vois par une piece
de jios Poe'tes, intitulce les Cris de Paris ,
que^e fac ds charbon coutait un denier; Sc
•par une autre, qu'on 7 avaic un pice poiir
une obole.
II en 6tair ainfi des chofes de luxe. Un
-compte de la Maifon du Roi pour 1'annce
% Brutfel 9 - 1 *©* *» prouve que l'habillement complet
traittdes -d'une Dame du Palais coucaic 8 liv. , celui
jS * -.des ^hambrures *8 fous , & la toile pour les
cpi. cbemifes des plus hauces Dames 1 f. 8 den*
^Vely* -Daos ua autre compte .dc l'annee 1117 ** f
Hifl. de la robbe la plus riche qu'avait eue le Prince
vi**' Louis, fils aine de Philippe- Augufte , monfe
70. * 9 Hy. 15 r. II y en arait une de %6 f.
Quand S. Louis confera la Cberalerie aa
^Prince Philippe foil fils , il y eut a Park
des feces magnifiqiies qui durerenc huic jours,
& pendant lefquelles plus de foixance Sei*
fneurs fuieac fries Chevaliers ayec le Prince.
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© V C O N T E S. *79
Jamais, remarquent Jes Hiftoriens, on nc vie
& pareille c6rcmonic plus dc Noblefle & de
Clerge raflembles. Lc Monarque en voulut fairc
tons les ftais. lis monterent & 1360 liv.
(£, VEglife du Baron S. Jaqucs ). Cc titrc
«fe Baron donn6 £ S. Jaques de Galice eft aflcz
commun dans nos vicux Auteurs. FroifTart l'cm-
ploic pluficurs fois dans le corns de fon'Hiftoire.
3 it zed by GOOgk
i8o Fabliaux
ParGu*. DELADAME
fin*
QtJI IIT ACCROIRE A SON MARI
<*U*IL AVAIT RIVE.
Alias
LES CHEVEUX COUPES.
*' i- ins que Gu&in a tant fait quede
„ rimer ce Conte , il eft jufte que fa
„ peine ne foit pas perdue , & il faut
„ que vous ayez la J bonte' de Tentendre „.
La fuitt nt peur ft priftnter qu*cn extrait.
La femme d'un Chevalier aime un
jeune homme. Celui-ci a une foeur ma-
rine, chez laquelle fe donnent pendant
quelque terns les rendez-vous. L'Amant
«nfin trouve le moyen de s'introduire
une nuit chez fa maitreiTe. Il s'avancc a
tatons vers le lit pour la reveiller $ mais
V obfeurite* fait qu'il fe trompe & s'a-
dreilc au jnari. Le Chevalier fentant des
;d by Google
O XJ CONTES, 1?I
mains Strangeres $c croyant avoir affaire
a un voleur , lc fault fbrtcment > & apres
avoir luttc* quelque terns avec lui , il le
xenvcrfc dans un cuvier qui fe txouvc
la , & eric a fa femme cftpporter bien
vite unc lumiere. La iemme qui ne doute
nullemenuque ct ne foit fon ami , i£-
pond qu'elle a trop peur pour aller ainfi ,
dans les tenebres , a la cuifine 5 mais
elle s'ofFre , & l'epoux veut y aller , de
cenir le voleur. Le Chevalier le lui faic
prendre par les cheveux , en lui reconv
mandant de ne point lacher , 8c court
allumer fa chandelle 8c chercher fon epee.
Pendant ce terns la Dame fait evader le
galant; apres quoi elle court prendre a
ratable un jeune veau , qu'elle pone
<lans le cuvkr 8c qu'elle faifit par la
queue (a).
Le Chevalier ,' quand il revient & qu'il
fe voit ttomp£ , fbupconnant ce qui n'eft
que trop vrai , dit fechement a fa femme
d'aller rejoindre celui qu'elle avaitmanae,
8c h met a la porte. Elle fe rend chez.
la four , oii de^a £tait arrive* le jeune
bomme & oii ton fe d&iommage da cont
;d by Google
282 Fabliaux
trctcms qu'on vient d'eprouver. Mais au-»
paravant cllc appcllc la fervarite , & lui
promet cinq fous f fi cllc vcut aller dans
la chambrc du Chevalier s'aifeoir au pied
du lit, & la Yanglotter & ge*mir de {on
raieux. La fiUc , fcduite par l'appas da
gain, y confcnt. Lc Chevalier, que lc
bruit reveille & qui croit entendre fa
fcmme, faute du lit. en coiere. Ii la
frappe avec un baton dont il s'etait
arme* a deiTein % & lui coupe les che-
veux pour rendre fa home publique. Ellc
fe fauvc enfin , & revient ^n pleurs ra-
sonter ce qui lui eft arrived On la con-
fole en lui promcttant de la dddomma*
ger plus araplement.
Quelques momens apres , la femme a
^uand elle foupconne que fbn epoux
pourra etre rendormi , retourne chezelle,
cnleve fubtilement les chtveui qu'il avait
founds fous le travcrfin , met a la place
la queue de fon veau qu'elle coupe , fq
desnabille enfuite & fc couche tranquil-.
Iemcnt. Le matin , le Chevalier , en fc
jeveillant , eft fort furpris 'de la voir i
ics cotes, & lui demande de quel front
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OU CONTES, l8$
die ofe refter chcz lui — Ehlou vou*
lez-vous done que j'aillc } n'ejes-vous pas
mon man ? La-deflus groffes injures fur
faventure de la nuit. La Dame affe&e
le plus grand e'tonnement, & d'un air
ferieuxj'-qui le deconcerte , lui demandc
a fon tour s'il reve, ou s'il eft devenu
fou. Pour la convaincre , il veut montrer
les cheveux qu'il lui a coupes , &C ne tire
que la queue du veau. A cette vue il
rcfte interdit & fe croit enchant^. Il
tate , il examine fa femme a qui il ne
rrouve ni la marque d'un coup, ni un
cheveu de moins, Celle-d profitant de fon
e'tourdiflement , fe plaint , de la maniere
la plus hautaine , des foupcons injurieux
qu'il a of6 concevpir fur fa vertu. Elle
pleure , elle fe faebe, elle veut fe re-
tirer chez fes parens. Pour l'appaifer, U eft
pblige* de lui demander pardon a mains
jointes j & il rcfte convaincu que, dans un,
xevc fans doute, il a &e lui-meme coupes
la queue de fon veau, croyant coupe*
les cheveux de fa femme ; mais jamais,
ajoute-t-il , je n'ai eu un reVe qui m'a»
autant fcappe* quccsluirci.
;d by Google
i?4 Fabliaux
Dans d'autres verfions la feint ft pajfe che\
un pay/an ; mais il y a peu de difference avec
la verfion qu'on vient de lire.
Ce'.Conte eft un de ceux que les Fabliers
out imittf de Bid -Pal ; car quoique la tra*
duBion que Galand nous, a donneede cet Au-
ttur foit fake dT&prh une autre traduction
turque affe\ moderne; quoiqu'il avoue que cet
Outrage ne nous eft parvenu que de traduc-
tions en traductions 6» que les tranftateurs fe
font per mis d'y faire des additions d lew grc;
nt an mo ins , vu Vimpojfibilke dt pouvoir dif*
tinguer ces morceaux modernes. je regarderai
comme de Bid-Pal tout ce qui Je trouvt dans
la verfion francaife de M, Galand*
Lafemme d'un Cordonnier a une intrigue i
de laquelle une voifiae > femme de Chirurgien ,
,tft la confidente & Ventremetteuft, Un rendez-
vous eft donne d Varmint , en. Vabfence da
Cordonnier ; mais celui-ci rtvient au moment
. qulon V attend le moins , 6* voyant quelqu'un
ruder dja porte ♦ il entre en foupgon y lie *
aprls beaucoup d 'injur es +. fa femmt d jtn pi-.
* by Google
o v Cont'bs, 28/
tier , y va ft eouchtr. La Chirurgienne , chf{
qui V amour tux s'eft rendu, vient la chercher.
L* autre lui conte ce qui lui eft arrive' ; elle la
fait confentir d ft laijfer Her pour quelques*
morn.tns d fa place b fort, Lt mari pendant
ct terns ft reveille (f appelle fa femme* La
Chirurgienne n'ofant pas repondre , il fimpa*
titntt , 6» avec un couteau vient lui couper It
ne^: La Cordonniere , dt retour , reprend la
place tie la Chirur gienue. Quelques moment
Ofris , elle feint d'adreffer d Dieu une pr\ere ,
dans laquelle elle le prie de la gucrir de fa
blcjfurc , fi elle eft inmcente. Elle appelle en-
fiitt fon mari , qui la trouvant faine 6» entiert
lui fait des excufes. La voijine Halt retournit
che\ tilt , fort embarrajfee de fon accident*
Mais le Chirurgien lui ayant demandi fes
cutils pour fortir , dlle-d aprh avoir fait
femblant de chercher Img'tems pour Vimpa-
tltnter , apporte un rafbir , qut dt colere il
tui jette d la tite. Elle s'e'erie alors au*il lui
a coupe 1 It nei ; 6» dh ju'fl fait four, elle va %
accompagnet de fes parens , demander juftict
au Cadi.
Se trouvt dans Its Novclle amorofe de
gli incogniti , p. 168 , Nov. *3 , 6* dans
Us Contcs Petfans uaduits de TAnglais
;d by Google
i%6 Fabliau x
pag* 301 , d pcu-pris comme dans Bid-Pah
% rn DansBocace \ une femme ft Aerobe la nuit
Journ. d'auprte de fon mari , 6* e\lt eft avertie par
Nov. m & 2 MZ ahoutit dans la rue b quelle J at-
tache au pied, Le mari , w\e certaine nuie au'il
ietait reveille, fent le fil en fe ret our nam 5 it
ft V attache , puis quand il fe fent tirtr , il
defcend avec des armes & pourjuit V amour eu»
qpiil ne peut atteindrt* De colert il revitm
hattre fa femme, a laquellt il coupe le* cht-
veux ,• b fort pour alter fe plaindrt d fes
beaux -freres. Mais e'et flit Id fervante qu'il avait
maltraitie fans le favour , &* que Vepouft qui
prevoyait tout ceci , avait fait entrer dans It
lit d fa place , Ah qu'il en etait forti. Quand
les freres arrivent , Us trouvent leur fceur tra-
vaillant paijiblement. Elle demands pourquoi
Us viennent , & afiefte la plus grandt colert,
St trouve ainfi dansj la Fontaine.
Dans les Cent Nouvelles nouvelles de U
Cour de Bourgogne ( ct font des Contes qui
furent faits pour Louis XI , lorfqxfitant encore
Dauphin , il fe rttira dans ceite Cour ) , la
femme fait coucher 9 la nuit , une defes voifinet
d fa place , parce quayant eu querelle dans It
jour avec Jon, mari , ellc craint d'en etre hah.
we ; le refie commt dans It Fallim*
* by Google
b tf Con ms, 287
De mime dans Us Novelle di Malefpini #
torn* i,p. 1 j 1 . y°. Nov. xl.
(a t Court d V habit prendre unjeune vecat
.ftfelle porte dans le cuvier ). Dans les Cent
Nouvelles de la Cour dc Bourgogne ,p. 104*
<Dans Us Cent Nouvelles contenant cent Hif-
toires. Dflni le Recueil des Plaifintes Nou-
vellcs , pag. 113. Dans les Fafcetieux devitz
des Cent Nouvelles nouvelles, p. 141. ( Cea
•quaere Recueils ne font que le memc , fous
des litres different , & je .previens que do re"-,
havant je ne citerai que. le premier .); un
Chevalier vient toutes les nuics chei la femme
d'un Marchand. Un coufin du man , qui s'en
eft apper^u , l'en avertit : le mari precexte
un voyage , le coufin refte aux aguets dans
la maifon 5 & quand le Chevalier arrive
l'autre , feignant d'etre un dbmeftique , le
prie d'actendre un inftant & le fait entree
dans un petit riduit obfeur ou auu*i-t6t il -
renferme. Le Marchand alors court. *:hez les
parens de fa femme , pour les convaincre de
fan dSfordre. Elle avait entendu le bruit, 6c
.. fctaic venue delivrer Ton amant , & la place
duqucl cllc aya« mis un inc. Toute la« fr-
;d by Google
188 Fabliaux
mille arrive 5 on s*appr$te & tugr lc coupdble?
on ouvrc , & Ton voic fortir l'ane qui coal-
men cc i braire. Le coufin feu! eft battu.
Y- Se trouve ainjl dans les Novelle di Malef-
l pini , c. > > p. 1x0, N<xp IX I,
J Dans Us Convivales Sermones , r- 1 ,p. ?>,
.\ Dani i« Novelle di Domtnichi , p. 7 1 •
. # Et dans les Joco-Seria Mclandri , t. 1 , ji«
V. 41 , mail j avec qutlques changemens* ■
Dans les Epift* Arifteneto » use femme eft
jtnfermie avet fin amant t qwmd. tout-dcoup
.arrive le mart. Elle lie les mains dm galant,
b le livre en cet itat dfon <'poux comme m
filou quelle vient de faifir (r d'arrker. Ui-
poux veut le tuer ; elle s % y oppofe , &• confeillt
plutSt de le garder jufqud ce qu'il fajfe jour
(? qtfon piaffe le mettre entre Us mains de
la Juftice; s*offrant eltemime de, veiller pen*
dam ce terns, Dis que Vepoux eft endormi , in
pre'tendu ifisur eckappe.
DIS
* by Google
O V C O N T £ S. 189
DES DEUX ANGLAIS.
Ce Contt , dont le finds , quoique plaifam }
manque nianmrins d'interk , eft, commt
beaucoup d'autres de ce Recueil, du nomhr*
de ecu* qui demandcraient , pour lore lus
arte quelque plaifir , des details de Poejia
piquans 6» agriables. Peut-Stre fera-t-iljup*
portable en n'en prifentant que VtMtrak*
u.
'ti Anglais nomine* George, venu a
Paris ayec Alain fon camarade , y tombe
jnalade. Dans cette circonftance il lui
prend envie dc manger un morceau d*a*
gneau , & il prie Alain , qui le garde ,
de lti en acherer. Mais dans fon man*
yais ftancais , ayant de h peine a s'ex*
primer (a) , il demande un morceau d'a*
ncl. Alain , qui ne parle pas mieuz que
lui , va de boutique en boutique deman-
der de l'anel. On ne fait ce qu'il veuc
dire , on lai rit au nez , on le prend pour
un Auvergnat 9 ou pour un AllemaruL
Tome IL R
;d by Google
190 Fabliaux
Enfin quelqu'un croit lc coroprendre , «
s'imaginant qu'il demande dc Pane , lui
vend un petit anon de quinze jours qu'ii
a chez lui. Alain emmene I'animal , &
ch accommode une cuiffe a foil amu
George , qui mourait de faim , la .de-
Yore ; cependant l'os lui parauTak bien
gros pour un os d'agneau. Ii foupconne
Alain de l'avoir trompe* & demande quelle
Torte dc bete U lui a fervi. Alain fou-
tient que e'eft de Panel, & pour le prou-
ver il va en chercher la peau. George
xegarde cette peau , il la. P rcnd P* r ^
les bouts , jl la retourne , & en revienr
'toujour* a dire quanel avait petit os >
& celui-ci nitre pas fiis a Be. Eh out,
"vous dire bien > reprend Alain, lui'n'Stre
yas fiis a Berbis , etre fib a Hi-kan:
& alors , pour imiter Tanimal dfcnt il
voulait parler * il fc met a ricanner &
a braire d'une telle force que le malade*
pamant de rire , eur une crife qui le tira
d'affaires
;d by Google
OU CONTES. . 29I
NOTE. .
( * 9 Dans fin man* ah frangah ayant de la
peine d s'exprimer ). La langue Romane fran-
^aife etak ccllc qu'oa parlaic alors en Angler
terre* Des le commencement du XI* ficcle ,
Jes grands Seigneurs Anglais avaient coutume
cPcnvoyer en France leurs enfans, pour l'ap-
prendre , parce qu'ils la trouvaient plus douce
& plus polie que la leur. Apud Ductm Neufiriaf
educator , to quod ' apud nobitijfirnot AngUs
ufus teneatfilios Jkos apud Gallos nutriri , ob
ujum armorum , b lingua native barbaritm
~tollendam\ £.Aouzrd h Con fcflcUT qui avaic cte *Q erv j*
lleve en Norraandie , introduifit cetce langue Tilb.otia
a* fa Cour & *lans fcs aftes puWtcs. Quelques ™peria-
annSes apres, Guillaume le Conqueran*' 1^- It**™ 1 "
tablic par la force* II voulut que touces les
loix & touces les charres fuflent en Romane ,
que ce fut la feule que dans les ecoles on en-
feignit aux enfant^ & la feule qu'on employee
dans les Tribunaux de Jufticc. En un mot
c'ttait tellement Ja langue du Gouvernement que
quandles ennemisde l'Eveque Ulftan voulurent
Eloigner du Confeil du Roi % \ une des prin- " M*rfc
«ip«lcs laifons qu'ils appgr^rcnt,fut qu'il ne l0 ^ s *
;d by Google
i9i . Fabliaux
Xavaic point le francais*& que par coniequent
ii oe pourraic 7 aififter. A la Cour , compofce
en grande partie des Seigneurs Normands qui
.avaient fuiti Edouatd ou Guillaume en An-
glererre , notre Romane put fe conferrer aflat
-pure ; mais chez le peuple , qui derate rabhorrcr
parce qu'elle etait une loi impofee pat le vain-
queur, & qui d'ailleurs avait deja la fienne,
die dut £tre fort corroropue. Qu*on en juge pat
FAnglais de notre Fabliau , que pcrfonne ne
peuc entendre , & que Ton prend pour Allc-
mand ou pout Auttrgaati ( j'ai deji dit que
let Provinces de France au midi de la Lois
- parJaient, la Romane Provencale ).
La Romane franc.aife continua d'etre la feule
admke dans les Tribunauxd'Angleterre jufqu'en
* 1 367 quTEdougxd III permit de plaider en An*
glals.
* by Google
OU CONTIS, 29$
======= — 1
L'ARRACHEUR DE DENTS.
J 'ax conntt en Normandie un certain
Marshal qui etait renomme' pour ion fa-
voir. Dc toutcs parts on accouraic le con-
fulter , & fa maifon ne deTemplin r ait pas ;
mais en quoi il exccllait lur-tout , e'euis
a arracher les dents des Villains. Void
comment il s'y prcnait.
Apres avoir vi/ite* la bouche du foufTrant*
cette dent-la ne vaut ricn, difait le Forgeron ;
il faut la d&oger. Alors il prenait un fil de
fer , & Jiait avec un des bouts , la dent
malade ; puis faifant mettre a fon hommc
un genou en terre & tourner le dos a la
forge , il lui approchait la tete centre fbn
cnclume a laquelle il attachait fautre bout
du 61. Pendant ce terns il faifeit rougir
un fer dans fa forge. Quand tout 6tadt
pret ; tiens bien , difait-il au Villain ; &
bft il lui paflait fous le nez le fer e^in-
cclant. L'autre , de furprife & d'effroi %
fc jettait en arriere , & avec une telle
;d by Google
294 Fabliaux
force qu*ordinairement il tombait a la
rehverfe ; mais de l'effort audi la dent
partait & elk reftait au £L
. Se trowe dans la Gibeciere de Moxne ,p. 397*
Vans Je Courier Face*cieutf,p. 158.
Vans Us Novelle di Fr. Sachcrti , r. i , p. ft.
Vans les S6rees de Bouchet,p.4s8,toeSCT¥*.
Vans It Trefor cjes Recreations , jr. 14*.
Itou /« Nouvcaux Coxites i rite »p. 179*
;d by Google
QU COMtlSi 295,
*L'IOTKGESTION DU VILLAIN («). p 4r R tt j
,tcbcuf«
1 Ji Paradis n'eft point fait pour les
Villains $ l'£criture nous Tannoncc. Ni
pour argent ni pour bonnes ocuvres , ils
tie peuvent jamais Tobtenir 5, & en veriti
cela eft bien jufte. Quoi 1 vous voudriez
<ju'un gredin logcat avec le Roi du Ciel !,
L'Enfer done leur e*tak deftine* > long-,
tems il a &e* leur partage; & s*il n'y
vont plus a preTent , e'eft par une avenr
ture finguliere que je vais vous raconter.
EXTRAIT DE CI QUI SUIT.
Un Villain , malade d'une indigeftion %
eft a toute extr£niite\ Satan, felon &
coutume , envoie faifir Tame ; mais par
dedain pour un objet fi peu important *
il n'emploie a cette vile fbn&on que le
*ius b£te <Je fes (atellites. Celui-ci qui
M
;d by Google
lo6 f ABtlAUX
if imagine pas que Tame d*un Villain doivel
fortir par le meme pafTage que celle des
autres , attache on fyc a. la porte oppo-
se. Tout-a-coup une crife heureufe fou*
lage le malade, Le fot 6&pm6 , voyant le
fac fc rcmplir , le lie promptement par
en haut & va le porter a fbn Souverain;
mais Satan maudiflant cette amc infe&e ,
jure de n'en jamais recevoir qui ait ha**
bite* corps de Villain,
Or maintenant , ajoute Rutebeuf ,
malheureux fur la terre , chants du
Ciel, rebut& des Enfers , je vous de-*
mande , MefTieurs } ou iron? ces. inibr*
tune's?
NOTE.
C a , Uindigctlion du Villain ). Tsti change
le litre de ce Fabliau qui dans Toiigrnal eft
intitule le Ptt du Villain, J'cufle memc fupprimo
le Conce fan* hlfiter , *'il n'eut contenu quo
la poliflbnncrio groifiere qu'annoncc Ton ri-
ce 3 mais en radmettanc > j'ai moins confix
i6rc le genre de plaiftnterie qu'il pffi;c , <ju»
;d by Google
OU C O N T £ s. %<y?
Pobjet memc fur lequel roule cette plaifan-
teric. On a deja* vu plufieurs exemples dc la
licence avec laquclle les Fabliers fe pcrmct-
taient de badiner fur le Paradis & i'Enfer.
Aux reflexions quo mes Le&eurs n'auronc
pas manque de faire a* ce fujet, j'ajouteral
feulemenc quelques faits qui suremene en oc-
cafionneront de nouvelles; e'eft que ces fa*
ceues fcandaleufes fur les deux points im-
porcans de toute Religion etaient cependant
la recreation des grands Seigneurs aux fetes
de I'annee les plus folemnelles : e'eft ' que ,
tandis qu'on exterminair paf le feu , par
des Croifades parriculieres , &c. certains he-
rcrique* qui ne difteraient qu'en quelques
points de la croyance general e , les Poe'tes
qui corapofaient ces impietes , les Muficiens
qui les chantaient , one veeu tranquille-
suent & font morts dans leur lit $ e'eft que
ces pieces enfin , dont aujourd'hui les Au-
geurs feraient pourfuivis » ont paru prefque
tonces fous le regne du plus religieux de
110s Monarques , fous un Prince dont la
maxime euit qu'il ne faut repondre que
par un coup d'epee a celui qui ofe midire
de la loi chrintnnt 5 fous un Prince .qui fie
pcrcet d'un fer rouge la langue d'un Bour-
* by Google
xc/i Fabliau*
geois de Paris convaincu de blafphemej
qui» lorfijue les Languedociens , revokes coauc
recablilferaenc de l'lnquifition , prircne les at-
met j employa Ton autoritc , &c. See &c*
;d by Google
O U C O N T E $. %$$
*DES CHEVALIERS,
DESCLERCS ETDES VILLAINS.
M,
. e s $ i e u r s , voulcx-vous connaitre
^utls font les gouts U les* moeurs de ceo
trois conditions dif&rentes \ mon Fabliau
ya vous l'apprendrc.
Deux Chevaliers, voyageant enfemble ,
trouverent dans leur route une peloufc
chaknante, ^maillee >de, fours, ombra-
gee par des arbres touffus y £c qui offrait
la vue la plus agreable. Ravis de la beaute*
du lieu , lis s'e'crierent , ah 1 .qpel plaiiir,
fi nous avions ici ton pate* , bonne chere >
avec d*excellent vinj*
Quelque terns aprespaflent deux Clercs*; * Ecclc-^
&c Tun dit a Ton Compagnon ; ami , qui fiaftique*
aurait en ce lieu , pour rire & folatrer ,
fcmme jolie qu'il aimcrait !
Eux partis , arrivent deux Pay&ns qui
revcnaient du marche\ Ceux-ci admirent ,
comme les autres > ce lieu delicieux. lit
;d by Google
joo Fabliaux
»'y arretcnt commc cox > mai& devinc*
I'ufage que les Villains en firent.
Malgre* ce que jc vicns de vous dire
contrc les Villains , fachez neanmoins %
Meffieurs , que ce n'cft que par le cceur
qu'on l*eft riellement j fachez qu'on nc
devrait etre regarde* comme tel , que quand
on a fait a&on vxaiment villaine* Sc
qu'on peut fc dcvenir, fut-on n£ an
premier rang.
;d by Google
O V C O N T £ $. }0I
I" 1 . }
DES CATINS
E T DES MfcNSTRIERS.
Ce. Contc manque dans les rtcutils de Af. de
SainttrPalaye , quoiqu y il folt du manufcrit de
Berne dont U a me copie; on Py a fins dovteou-*
W£. Ten ai trouvi dans le catalogue des
wnanufcrits de cette Bibliotheque , donni par
Mi. Skinner , un extrait en latin & fans
litre* Le poici tradjiit*
D,
'ietj, quand il cut ci&6 le mondc %
y placa trois efpcces cThommes , les Nobles ,
les EcclAfiaftiques & les Villains. II donna
les terres auz premiers , les d&imes &
les aumones aux feconds, & condamna
les derniers a travailler toute leur vie
pour les uns & les autres. Les lots ainfi
faits , il fe trouva neanmoins encore deux
fortes de gens qui n'ltaient pas pouryus ;
c'ltaient les Men^triers & les Catins. Ccux*
ci vinrent preTenter leur requete i Dieu ,
& le prierent de leur affigner de quot
;d by Google
^02 Fabliaux
vivre. Dicu alors donna les Menltriers &
nourrir aux Nobles , & les Catins aux
Prctres. Ceux-ci ont obdi a Dieu & rempli
avec zcle la loi qu'il leur a impose;
audi feront-ils fauv& inconteftablement.
Mais quant aux Nobles qui n'ont eu nul
foin de ceux qu'on leur avait confiet , Us
DC doivenc accendre aucun falut.
id byGO
OH COHIEJ,
*°$
* LE SIEGE PRET6 ET RENDU.
U»
N Cbnteur qui a quclque talent , &
qui , connaiflant le but qu'on doit fe
propofer dans Ton art , fe pique de le
rernplir , devrait toujours etre 6cout& avec
attention. Pourquoi cela* Ceft qu'il en-
feigne a bien faire , & que les bons exenv-
pies qu'il vous reate peuvent vous inftruire
■(a). Mais qu*arrive-t-il trop fbuvent ? A
peine ouvre-t : il la bouche que certaines
gens vous difcnt, ilva mentir. Meflieurs ,
fachez qu'il n'y a que Thomme couitois Sc
gentil qui cherche a devenir meilleur ;
au Villain & a l'Envieux rien ne profite.
Certain Comte , nomme' Henri , avait
pour Sendchal/^ un homme dur , avare
6c brutal. II fut creve* dc depit , je crois ,
s'il eut vu fon Seigneur faire du bien a
quelqu'un. Ce n'ecut pas au refte qu'il
fat extremement attache* a la perfonne d*
Comte ou z&e* pour fes int£r£ts 5 le fripojn N
* by Google
J04 Fabliaux
au contraire le volait tant que durait la
jounn& , & il n'£tait oecupc* qu*a efcamo-
tcr vin , poulets & chapons , pour aller
tout feul dans la depenfe s*cmpifFrer comme
un pourceau. Mais tel &ait fon cara&ere ;
il nc voulait que pour lui feul. Cctte hu-
meur rcyeche occafionnait quelqueibis,
fur-tout quand il arrivait des Grangers au
chateau , des fecnes divcrdflantes dont
s'amufait le Comte. Ceux qtfelles regar-
daient n*en riaient pas d'aulE bon coeur ;
il n*y avait aucun d'eux qui n'efit donal
volontiers bien des chofes pour voir le
bourru corrige* comme il le meritait.
Un jour Henri , qui imt noble & gd-
ne'reux , annonca qu'il tiendrait Cour-
Pleniere 5 & il la fit publier dans tout foa
voifinage. Chevaliers, Dames, Ecuycrs,
il y vint un monde prodigieur. La fete
£iit fomptueufe ; par-tout les portes ou-
vertcs, par-tout des tables dreffees & la
plus grande profufion. Il ne faut pas de-
manded quelle fut dans ce jour 1'humeur
flu Sen&hal. " Ces gueules afram£es ,
i, difait-il en grondant , n*ont peut - &rc
^ pas une Jfois dans i'annee mange* tout
;d by Google
OtJ CONTES. JOJ
& f cur appe*it$ cllcs viennent ici fe fou~
is ler a nos depens. Courage , Meffieurs j
iy prenez, demandez , x n'ayez pas hontc s
„ on voit bien que vous n'etcs pas chex
i3 0OUS „.
Dans ce moment entra un Bouvier
crafTeux & mal peign^ , nomine* Raoul ,
^ui revenait de la charrue. " Que vient
99 faire ici ce gredin , demanda Tordonna-
„ teur en colere * — Eh 1 parbieu , re^
„ pondit le Villain , j'y viens manger ,
5 , puifqu'on y regale „. Et en m£me-tems
il pria le Sen&hal de lui faire donner unc
place , car il n'y en avait pas une feulc
de vide ; tout euit pris. L'autre , furieux,
lui allonge de toute fa force un coup de
pied dans le derriere : tiens, lui dit-il,
affcois-toi la » defTus , je tc pr&e ce fiege-
1* (c).
Cependant quand il euc r&echi que fi
le Comte venait a etrc inftruit de cette
violence, il pourrait en recevoir des re-
proches , il voulut appaifcr un peu le
Bouvier & fit figne qu'on lui donnat a
manger. Raoul affec"tant de rire , mais
dans fon ame tres - reToiu de fe vengex
;d by Google
|o6 Fabliaux
s'il le pouvait , fe retira dans un coin ,
oii il s'arrangea comme il put ; & apres
Avoir bien bu , blctx mange* , il palla dans
h Me.
Le Comte venait d'y faire entrer Jcs
Menemers & les Jongleurs pour amulet
l'aflemblde ; & afin de les exciter a bica
faire , il avait promis fa belle robe neuve.
d'^carlate a cclui d'entr'cux qui ferait iq
plus rire. Tous aufli-tot fe piquant a, renvi
de fe furpafler, on vit les uns comer
des Fabliaux ou chanter , les autres faire
des tours de pafTe-pafle 5 celui-ci contra
faire. Hvrogne , celui-la le niais ; d'aotres
=repreTenter des querelles de femmes ; cha-
cun enfin s'ingemer a qui imaginerait quei-
que cnofe de plus plaifant (d). Raoul,
dehout au milieu de. la falle , fa ferviette
.. en main , s'amufait a les regarder & riait
de tout fon coeur. Mais quand tout fut
fini , il s'approcha du Se&echal qui ixztc
aupres du Comte 5 & lui lan^ant dans les
feffes a fon tour un tel coup de pied qu'ii
lui fit donner du ncz en terre , il ajouta ;
« Sire, voila votre ferviette & puis votrc
m fiege que je vous reads : rien n'eft wl
;d by Google
OU CONTES. 3O7
„ que les honn&es gens , voyez - vous ;
„ ayec eux ricn n'eft perdu „.
Cependant la chute du Sene*chal avait
lait Jerter un cri a raiTembiee. Les do-
mefKques etaient accourus , & d£ja ik
s'appretaient a emmener le Villain pour
charier fbn manque de refpecT j quand Ic
Comte le faifant approcher , lui demanda
pourquoi il avait frappe* fon OiEcicr.
** Monfeigneur , repondit Raoul , on m'a
i, <Kt que je pouvais fairc aujourd'hui
„ bonne chere au chateau ; & j'y fuis
„ venu , puffque e'eft un effet de votre
„ bonti ( c). Mais ks autres avaient e'te
„plus alertes que moL J*ai done ' prii
M monfieur votre Senechal qu'il me pro-
„ curat one petite place ; & lui , qui eft
l % fort poli , rH'a fait tout de fuite preTent
, 9 <r\in coup de pied , en difant qu'il me
>. pretait ce fiege-la. A preTent que j'ai
„ mange" & que je n'ai plus befcin de fort
»fiege , je fuis venu le lui rendre : &
„ je vous prends a dmom , Monfeigneur,
» que je n'ai plus rien a lui ; car > quoi-
w qu'un pauvre homme , fai de la conf-
wQcnccSi pourtant il en voulait encore
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308 Fabliaux
„ un poor le louage du fien, il n'a qu'a
„ dire , me voila tout pret „ }
A ces mots , le Comte & tous les fpec-
tateurs dclaterent de rire. Le Senechal
pendant ce terns fe gratait le dcrrierc 5 &
fon air d&ontenance' ajoutait encore an
comique de la fcene. Enfin , on rit &
fon & fi long-tems que le Comte adjn-
gea fa robbe a Raoul , & que les Jongleurs
cux-memes convinrent qu'il l'avait merited
En s'en allant , le Villain faifait cettc
reflexion. „ On dit comraune'ment que
„ pour fairc quelque chofe dans ce bas
„ monde , il faut fortir de chez £bi. Lc
„ proverbe a parbleu raifon : car fi je
,, n'£tais pas venu ici , je n'aurais pas
„ cettc bonne robbe qui me vaudra bien
„ de Pargent „.
NOTES.
(a , Un Conteur qui a quelque talent* • . . )
On a dejA vu aflez de ces debuts triviaux 5c
impofans , pour n'etre point dupe de celui-ci ,
qui allurement ne pouvak plus mal rcmplircc
gu'il annonce*
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O.U. C O K T E 5 3^9
( b , Certain Comle ay ait un Se A n£caaL„% )
Lc Senechal etak ce que dans certains en-
viroits on appellaic Bailli ( 11 en Cera pa tie"
plus bas. ) Celui-ci eft en mime terns Maitre-
d'Hotel , & il a les cles de la depenfe , parce
que les Seigneurs qui n'etaienc pas afiez riches
pour avoir tous les Officiers que comportait
un grand Itat , & qui par vanice voulaient ea
avoir au moins les litres , donnaient a la meme
perfonne plufieurs emplois.
( c , Affeou - tot la- deffus , je te prite ce
Jlege. ) Dans 1'original il s'agit d'un fbufflet ,
& non d'un coup de pied. Le Senechal die £
Raoul qu'il va lui donner un buffet pour s'af-
feoir 5 6c en mime terns il lui donne un bufit^
e'eft-ii-dire, en vieux langage, unfoufflet fue
la joue. Cell fur cette equivoque de mots
que roule la plaifiuuerie du Conte. On fent
bien que a'ayant pu la faire fztkt dans notre
langue , il m'a rallu y fuppleer par quelque
chofe d'cquivalent. En consequence j'ai change
le titre , qui dans le manufrk eft incicule , 1a
Dit [plauanterie] du Buffet.
( d , On vit chacun s'ingtnier a qui imagi*
$erait queiqut chofe de flu* plaifant. ] La
Chronique d'Alberic , parlant du mariage de
Robert , frere de Saint Louis » en 1237 •
tvee Mathilde , fiUc du Due de Brabant , dit
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4 10 Fabliaux
qu'aux quaere coins de la fallc £taient de*
Menetriers qui monuienc des occurs habiiiif
d'ccarlarc > & qui cornaienc 4 cbaque fa-
vice. C'etaic - la joindre £ la fois la ma-
gnificence a la plaifantcric. Lc manufcric da
Roi , n° 75S8 , nous reprefente , dans one
occafion a peu-pres pareille, des chiens dao-
- fant , des fin ges allanc 4 cheval , un oon
faifenr lc more , une chevre jouant de la
harpe. Un autre parle de Jongleurs qui con-
trefaifaient le chien ou le chat/ Quelqaefeii
ces bouffons imaginaicnt une querelle; &
apres s'fitre die bien des injures , lis finiflaknt
par fe battre. Le Dit des Hcrauts , par Baa*
douin de Conde , ( les Menccriers etaienr ap-
pelles Herauts , parce qu*i caUfe de leur rout
forte , on les employait i faire les proclama-
tions dans les Tournois & les ceremonies);
n'eft que Thiftoire fore detail lee d'unc de ccs
fcenes. Le Poete s'y glorifie d'avoir 6tc le
battant , & devoir recu du Seigneur , qu'il
avait amuie, vingt fous en argent avee un
^ar de- corps ( forte de robbe avec des manches)
& un chaperon de camelin (camelot); tandis
que le batm n'avait eu que des draps de Un
'( du linge , dts chemifes ). On pourra juger,
par ce peu d'exemples ,' de la maniere done '
Vamufcicm nos peres quand il* roulazent bien
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O CONTES. JIT
tire. Xaurais peur qu'on ne fe moquat d'eux
bictt davantage encore , fi je rappellais ici no*
gtet moderncs , nos bals par6* , nos ban-
quets Royaux , &c j mai* au moins dans
toures les defcripcions que j'ai vues de leurs.
diverofTemens gtofliers , j'ai reraarque une
chofc qui confole pour eux $ on y trouvc
toujour*, & Us r iaient,
(e) Les gens du peuple qui dans sous les
fiecles ont da neceffairerrient avoir , par lc
defaut de leur tducation , un langage corronw
pu 8r un patois- a eux r chez les Fafeliers n'onc
rten de tout cela. Le Bouvier & le Roi y parlenc
abfolument la meme langue. Jenefais i quoi
attribuer ee de&ut de cofttime , fi ce n'eft sfc
Tignorance de ces I^oetes , qui ne connaiflanc
point les bienfeances de fttlc , ont fait parlet
coutle monde comme eux.
On remarquera auffi que dans les Fabliaux
on ne donne jamais £ perfonne des titres ho-
norifiques en lui parlant. Les Rois, les Grands,
les Chevaliers , font apppelles fire ou mcflire ,
& yoili tout ; du rede point d'Alteffc , de
Majefte , &c. Ces rafinemens de flattens
ttaient encore inconnus alors clans la bouche
des Sujets 5 quoique depuis long-tems les Pa-
pes , les SySqucs , les Grajuls, les cmployaiTea*
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312 Fabliaux
par politefle en Scrivant aux Rois , & ^j«
• ceux-ci eux-mfimcs s'en ferviffent dans leurs
lettres & diplomes n patlaut de lcur pcrfoa-
UES
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CU CONTES.
?*f
LES DEUX MfeNfcTRIERS.
'A ce que vient fapprendre fur les Mtnitricrs
U Conte prtctdent, je demande la permif-
Jion d'ajouter ici cette piece curieufe , qui,
h, proprement parler , rCefi point un Fabliau 9
mats qui, en achevant dt faire connattre dew
gens dontil eft fi fouvent fait mention dans
€et ouvrage,furprendra, j'enfuis stir, pat
I* quantity prefque incroyabh de talent
qu'onverra qu'exigeait une profejjion dicriiu
Cependant eonune cei article ne peut gucreb
ttre qu'inftruaif^ & qu'il confiftera prefque
tout entier en dijbujpons , je confeille A
eevx qu'intireffe faiblement Vhiftoire denotrt
ancUnne Poefie, de Vomettre en entier, on
- tout an plus de s'arrtter a la Paftourcli*
qui fe trpuvera parmi les notes.
E X T R A I T.
JL/Eff x troupes de M£n&riers fe rencon*
treat dans un chateau , & veulent , comrofc
on a yu plus haut que c'&ait la Coutume*
amufer le Seigneur par une querelle. L'um
Tome II. S
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ji4 Fabliaux
<feux fe demche de fa troupe ,il va 1ft-
fulter un Menemer dc 1'autre band* 5 &t
apr& lui avoir reproche* devoir tout fac*
coutrement d'ungueux , d'etre un ignorant
qui jamais ne mentera le don d'une robbe
neuve, 6c autres gentilleffes pareilles ^ que
j'omets parce qu ; elles n'apprennent rien ,
il fe yante dc valoir mieux que lui ; &
il cntre , pour le prouver , dans le detail
4e tous fes talens. Il peut, dit-il, confer
*n Roman & en Latin ; il Gut plus.de
4oLais, & des. Ckanfonsde gefies, & toures
ley Chanfons poflibles qu'on imaginera
dc lui demander. H connait aufG Jes
Romans d'aventure , & en particulier
cent de la Table Ronde. 11 fait enfin
Vkanter bcaucoup de Romans , tels que
Vivien, Renaud le Danois , &c. & confer
Flore & Blanchefleur.
Je m'arx&e un inftant pour dormer fur
tout ceci quelques e^^ciffemens , ou
propofer mes conje&ures.
- Quoiqu'aprfc; tout il put tres-bien fc
:feire qu'un Menemer sut le Latin , & fik
par confequent en eatt de compofer des
pontes dans cctte languc, je fuis convaincu
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eu Coktbs. JI/.
ppurtant qu'on s'en gardait bien. Pen ai
vu tres - peu au moins dans toutcs les re.,
cherches que f ai faites > & Ton conviendra
fans peine qu'il n'y avait pas affez de gens
capables de les entendre pour qu'ils fuffent
bien communs. Ainfi ce dont fe vante lc
querelleur ne ferait ici qu'une forfanterio
pare, o_u qu'une efpece de cartel qu'il
propofe & fe fait fort de foutenir quand
on voudra.
II a &e parle* des lais a Toccafion dc
celui de LanvaL
Ces Chanfons de gefies , fliftingue'es ici
des autres Chanfons ordinaires , font pro*
bablernent ce qu'Albenc appelle jQeroic*
cantilenA, c'eft-a-dire , celles qui cele^
feraient ks gefies 8c a&ions des preux
Chevaliers , foit fabuleux , foit ventables.
Dc ce nombre e*tait la chanfon de Rolland
dont il a ix£ parle* ailleurs, Elle n'eft point
parvenue jufqu'a nous. Mabillon en a pu-
blje une en ancien langage Teuton , qui
fiit faite fur Louis III , a Toccaiion d'une
Ti&oire que ce Prince remporta en 881 ,
fur les Normands , & qui a de grandcs
beaute's. J*cn ai trouve' plufieurs autres di|
• Si
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316 Fabliaux
mSme genre chez nos Po&cs , 8c en par-
ticolier une fur la vi&oire de S. Louis a
Taillebourg. Je me ferais fait un plaifir d*ea
titer ici quelques-unes comme modelcs ;
mais dies font toutes fi niaifes & (i plates
qu'il a fallu y rcnoncer : & celle de
Louis III m'eft interdicc , etant en languc
ctrangere.
Lcs Romans (Taventures font fans doute
les Romans de Chevalerie , & fur - tout
ceux dont les h£ros e'taient Chevaliers
errans ; comme les pr&endus' Paladins
d'Artus.
On voit par ce qu'a dit le M£n£trier ,
qu'il y 'avait des Romans qui n'etaienr que
comes ( car Flore & Blanckefieur eft un
Roman > ) mais on voit aum* , & je pour-
rais en dormer d'autres preuves , qu'll y
en avait qu'on chant ait. Or mainteciant
qu'ltait ce chant dont on ne trouve aucun
monument dans les manufcrits \ Eft - il
vraifemblablc qu'on ait jamais pu fe re^
foudre a mettre en mufique & entrepren-
eur de chanter des Ouvrages dont les
plus courts ont deuz ou trois rnillicrs do
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OtJ COKT!S» JI7
ws * Siit ccs (fifficukeY , void ma con?
je&ure.
L'auteur de Gerard de Rouffillon dk
au commencement de Ton Roman qu'il Pa
fait fur le modele de la Chanfon d'An-
tioche > & que fes vers ont la meme me-
fure. Cela veut dire , felon moi , que
fon Poeme peiir (e divifer par couplets ,
ainfi que eette Chanfon > & ces couplets
fc chanter de meme. Ainfi quand on de-
mandait a un Menemer Gerard de Rouf-
fillon , il choifiiTait ( comme autrefois les
Rapfbdes Grecs , ) un morceau particulier %
une avcnture , un combar $ & le chantait
fur Tair de la prife d'Antioche. C'&aic
probablement la meme chofe pour les
autres Romans chance's ; & fans doute
chacun avait, par fa coupe particuliere, un
air qui lui pouvait convenir. Je fens qu'on
peut me fake encore fur tout ceci plus
d'une difficulte* 5 mais le fujet n'eft pas
affez important pour que je m*y arretc
davantage 5 & encore une fois ;e ne
donne mon explication que comme une
conjecture qui nc manque pas de vrai«*
fembUnce. Retouxnons au Meaetrier.
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318 Fabliaux
II finit l^numeration de fcs talens pa*
quelques plaifanteries 5 & pretend que s'il
a pris le metier qu'il fait , cc n'eft pas
qu'il n'en ait beaucoup d'autres capables
de lid procurer unc fortune confid&able :
car il fait tres-bien cercler un <*uf , (ai-
gner les chats , ventoufer un boeuf , &
couvrir les maifons en omelettes. II fait
faire aufli des coeffes pour chevrcs , des
brides pour vaches , des gants pour chiens,
des haubcrts pour lievres, des fourreaux
pour trepieds, des gaines pour ferpes 5 &
£ on lui donnait deux harpes , il fe fent
capable de faire une mufique telle qu'on
ti'en aurait jamais entendu de pareille. En-
fin apres quelques nouvelles injures , il
confeille au Menetrier qu'il a attaque' , dc
fortir du chateau fans fe faire prier ; le
meprifant crop , dit-il , pour fe disho-
norer lui & fes camarades a frapper ua
faomme fi meprifable.
Celui-ci le ravalc a fon tour , & lui
demande comment il ofe fe dire boa
M^n^trier , lui qui ne (ait ni Comes ni
Dits agreables. ( Les Dits font tantot des
raqralit&ou des raorceaux d'inftru&ion »
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OU CONTBS. 31^
tantot un Fabliau qui contienc un boa
mot ou une plaifanterie , tcl que celui
qu'on vient de lire pre'cedcmment , & qui
en porte le ticre. ) Pour moi , dit-il , jc
ne fuis pas de ces ignorans dont tout le
talent eft defaire le chat, leniais, rhomme
ivre, ou de dire des fottifes a leurs ca-
marades ; je fuis du nombre de ces bona
Trouveurs qui inventent tout cc qu*ils
difent.
Je joueur
Ge fuis Juglere de vide f
Si fai de mufe 5c de freftele
Et de harpe Sc de chiphonie ,
De la gigue , de rarmonie #
du
Et el falteire, & en la rose*
II a deja e*te* remarque* que la Vieltt
des Fabliers eft notre Vlolon (faujour-
d'hui , & que leur Rote eft unc forte dc
Guitarre.
Je trouve ailleurs dans une Chanfon B
ou il s*agit d'un berger ,. qu*/7 chalemelc
de la Mufe au gros bourdon. La Mufe
eft done probablement la Cornemufe dc
bos pay fans , ou bkn notrc Mufette $
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J2& Fabixaux
car routes deux ont un bourdon 8c un
chalumeau*
Le Fret el ou Fretiau eft cctte flute com-
po£ec de (ept tuyaiix inegaux , que les
Ancicns mettaient cntre les mains du diea
Pan , & qu'on connait fous le nom de
flute de* Chauderontuers, 11 en eft (buvcnt
fait mention dans les Chanfons de bergersj
& c*eft , avec le Pipeau , la Mufe & le
Chalumeau , L'raftrument que leur pretcnt
nos Poetcs.
Je n*ai pu trouverd'eldairdffemcnt fur
la Chiphonie , qui ailleurs , chez nos
vieux Auteurs , eft nominee Cyfoint %
Sifointy Sympkonie. Du Gange rapporte
certaines citations qui prouvent que c'eft
un inftrument a vent ; & d*autres par lei*
jquelles on voit que c'^tait une efpece-de
Tambour , perc£ dans le milieu commc
un crible , & qu'on frappait des deux
cot& avec des baguettes. Un autre fieri-
vain pretend > fans autre preuve. , que
.e'eft la Viellc. II pararr par une anecdote
,dc la vie de du Guefclinque cet inftrument
n'avait pas une grande confidexation ; ou
<dumoins qu'au XIY« fiecle il&au tomW
;d by Google
o v Contis. 311
dans Ie mepris. Le Roi dc Portugal, dit
THiftoricn , avait deux Men&riers qu'il
cfHmait & vantait beaucoup. 11 lcs fie
venir, & ils jouer^nt de la Cyfoine\
mais le chevalier Mathicu de Gournai
qui &ait la , fe moqua d*eux, en difant
que ces inftrumens en Frdnce & en Nor*
mandie rietaient qua tufage des men*
dians & des aveugles , & quon les y ap-
pellant inftrumens truands.
Tignore ce que e'eft que VArmonie St
U Gigue. Je trouve dans quelques Auteuxs
que cctte derniere eft une efpece de
flute. Le Di&ionnaire de la Crufca , qui
en parle d'apres le Dance , la donne comme
un inftrumerit a cordes.
Le Salteire eft notre Pfidtenon ou Tim-
panon. 11 eft appelle' Saltirion dans le
Roman du firuc L'Auteur de ce Roman
parlanc d*un Mu/icien fameux , & non>
mant tous les inftrumens done il favait
jouer , met dans le nombre eclui-ci , 8c
il en ajoute deux autre* qui ne font pas
dans la lifte qu'on vient de voir 5 la
Lyre & le Choron. Cettc lyre eoiit-eile
unc de celles des Ancicns* Je Tignore.
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jii Fabliaux
Tout cc que je puis dire fur 1c Ckdron ±
e'eft que c'^tait un iriftrument a cordes.
L'Auteur de la vie de Louis III. Ducdc
Bourbon ( mort en 1419. ) dit qu'on W
trouva le corps ceint , par penitence ,
d'une corde a fouet & d'une corde de
Choron.
Notre Men&rier ajoute :
Je fais chanfoa
Sai ge bien chanter une note ;
, Fabliaux
Ge fai Contes, Je fai Fatileax,
beaux Dits nouveaux
Ge fai comer beax Diz noveax,
vieilles nouvelles
Rotruenges viez 3c noveles ,
Et Servawois, & Paftoreles.-
d'amour
Si fai porter confeil d'amors^
chapel ft tur *
Et fairc chapelez de flois t
d'amoureux
Et $ainture de druerie ,
courtoifie.
Et beau patler de cortoifie.
Les derniers vers n'ont pas befoin
d'explication. Mais je crois qu'il y aurait
aujourd'hui peu de Muficiens qui puflenc
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\
o0* Courts*. 31$
tm^qui' oCuTent fe vanter dc pouvoir en
certains cas confeiller un amoureux, ou
lu'i enfeigner la fine fleur des compliraeos »
ou lai faire une couronnc galante dc fleurs %
ou nouer fa ceinture avcc grace.
Le Menemer cite plus bas les Fabliaux
qulL fait 5 je les ai retrouv^s , except^
jdeux , Richard & M 9 Emu : cequi
prouve que tous ne nous font point
parvenus.
Les Rotruenges £taient des Chanfons k
ritournelle , qu'on chantait en s'accompa-
gnant de la Rpte y les $ervantpifi ou S/r-
ventesy des pieces ordinairenient fatiriquesj
jtelesPaftQurel/es, celles ou il etaitqueftion
jfaventures de bergers ou de bergcres.
Ces dernicres font de toutes les plu3
agreablcs. Elles ofFrent de Paction , beau*
coup de naturel , un dialogue plein dc
naivete' 5 & fi elles ^taient plus varices 8c
moins libres , feufTe entrepris d'en donner
un recueil. Mais qui en lit une en a lut
mille. Lc Poet£ fort pour aller fc prome-
ner 5 & e'eft tou jours au printertls : il
trouve une jolie bergere a laquelle il fait
4cs proportions. Quelquefois clle appettr
;d by Google
524 Fabliaux
k fon fccours les bcrgcrs qui Ie feat
fair promptcment. Ordinairement tile |
accepte le march£, doat la conclufico
eft decrite avee toutes fes circonftanccs ;
Be voila le cannevas de toutes les Pafiou*
relies. Cependant pour faire connaiere a
tries Le&eurs ce genre de Po&ie , je
vais en donncr une done le denouement
eft aflcz plaifknt , & ou l'on reconnaitra
d'aflleurs cette Chanfon & Annette & L*
bin , devenue populaire : II itait une
fUlc
Pastoukelle.
. « Je me promenaisla cheyairautre Jour,
» & je fuivais le grand chemin , quand a
** l'ombre d'un bofquet j'appercus jolie
« bcrgere. Joyeux de la rencontre , j'allai
•> aufli-tot m'afleoir aupres d'elle. Dies
n vous gard, la belle enfant : depuis le
» jour que je vous ai vue ici , je fonge
m a vous , & je vous aime plus que ma
* propre mere ».
« Elle ne fe dlconcerta pas $ & en me
» rendant Vehement mon falut 5 paflcs
• votrc chemin , dit-elk , & nc vena
»p*s
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O V C O NT E S, }lf
* pas ici, mc feire gronde*. Mon pere
» eft-la vis-a-vis qui laboure danS ce
to vallonj s'il me voyait vous^parler, il
to fbupconnerait du mal. — Ratfurez-
to vous , la Belie ; je ne iuis point un
to trompeur* mais un homme qui vous
•to aime tant qu'il veut fc faire berget
»» avec Vous. Je vous donnerai p&i^on ,
*> ceinture a deux tours , & furcot d'e'car-
*> late. Nous ferons riches d'amour , nous
» irons enfemble cueillir la violette, U
» vous ferez plus gaie que l'alouette k
» Paube du joun *— Sire , vous m'avez
to perfuad£e, & je confens a foire tout cc
» qull voiis plaira ; mais laiflez-moi au-
•» paravant aller raffembler mon troupeau
to* & attendez-moi ici un inftant. »
En difant cela , elk entre dans le bois 5
& il la fuit deS yeux en lui iancant des
ceillades tendres. Mais elle rejoint fon
pere , & l'autre refte-la comme un fot.
Maudit foit l'imb&ille qui laiffa £chapper
fi jolie proie.
Cette digreffion nous a fait oublier le
Me'n&rier. Aprcs le detail de fes tatens
comme muficien & commc bel-e{prit # U
Tome II. T
;d by Google
$i6 Fabliaux
pane a ceux # qu'il a pour ics tours d'adrcifc
& rcfcamotagc.
jouer
Bien fai jouer de l'efcambot ,
I'efcarbot
Et faire vcnir Teicharboc
fautant '
Vif & failfanc deflfus la table*
main* y«ii
Et fi tax mcint beau gcu de cable
d'adrejfe de magie
r Et d'entregiet & d'artumaire.
Bicn fai un enchantemenc fake • • • 1
jouer b&ton*
Ge fai joer des baafteax,
eouteaux
Et fi fai joer des cofteax,
fiande
Et de la corde , & de la fonde*
II fc vante de plus de {avoir toutes Ic$
Ckanfons de gefles que fait le premier,
& d'autres encore, qu'il cite , Ogiei ,
Roland , &c 5 & iinit de meme par quel"
ques piaifantcries. II connait , dit-il , rous
les bons Sergens & les Champions renom-
mh de fon terns 5 Augier Poiipe'e qui
d'un coup d'ep^e a tranche^ Toreille a un
chat j Herbert Tue-boeuf qui 'd'un coup
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OU C O N T E $. }27
dcpoing brife iin ceuf , &c; & les MeV
ncmers les plus celebres , Fier-a~bras ,
Brife-verre, Tourne-en-fuite , Tranche-
cote , &c. ( ce qui fait voir que its
Menemers fe dortnaient des noms dc
guerre & des fbbriqucts. ridicules ). Enfin
s'adrefTant a fbn rival , il lui confeille ,
s'il a un peu de honte , de ne jamais
enrxer dans les lieux cm il le faura : &
vous , Sire , ajoute-t-il , fi j*ai mieux
parle que lui , je vous prie de le mettre
a la porte & de lui prouver ainfi que
c eft un ignorant.
*d
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328 Fabliaux
LES DEUX BOURGEOIS
ET LE VILLAIN.
D,
~evx Bourgeois allaicnt en pfleri-
nage (a). Un Payfan qui fe rendait au
rneme terme s'e'tant joint a eux dans le
chemin , ils firent route enfemblc &
le'unirent m^me leurs provifions (£). Mais
a une demi-journ^e dc la. ma if on du Saint,
dies leur manquerent, & il ne leurrefta
plus qu'un peu de ferine , a peu-pres ce
qu'il en fallait pour feire un petit pain.
Les Bourgeois , de mauvaife fbi , com-
ploterent de le partager entfeux deux &
d'en fruftrer leur camarade , qu'a Tair
groflier qu'il avait montre* ils fe flattaient
de duper fans peine. " H faut que nous
„ prenions notre parti , die Tun des axzr
„ dins 5 ce qui ne peut fuffire a la faim
„ de trois perfbnnes peut en raflaiier une ,
„ & je fuis d'avis que le pain foit pour
M un feul. Mais afin dt pouvoix le manger
;d by Google
OU C O N T E S. }Z9
„ fans injuftice , voici ce que ie propofe.
„ Couchons-notis tous trois , fJifons cha-
„ cun un reve , & • qu'on adjuge Ie pain
„ a celui qui aura eu le plus beau „.
Le camaradc , comme on s'eft doute
bien , applaudit beaucoup a cette ide>.
Le Villain m&ne l'approuva & feignit de
donner pleinement dans le piege. On fit
done Ie pain , on le mit cuire fous la cendre ,
& Ton {e coudia. Mais nos Bourgeois
&aient fi fatigues qu'involontairement
bientot fls s'endormirent* Le* Manant ,
plus malin qu'eux, n'epiait que ce moment.
U fe leva fans bruit , alia manger le pain ,
& revint fe coucher.
Cependant un des Bourgeois s'&ant
reVeille* & ayant appelle* fes deux com-
pagnons : " Amis , leur dit-il , &outez
„ mon reve. Je me fuis vu tranfporte'
„ par deux Anges en Enfer. Long-tems
„ ils m'ont tenu fufpendu fur l'abime du
„ feu kernel. La , j'ai vu les tourmens.....
„ Et moi , reprit Pautre , f ai fong^ que
„ la pone du Ciel m'&ait ouverte : les
„ Arcanges Michel & Gabriel a apres
„ m'ayoir enleve* par les airs , m'ont
;d by Google
539 Fabliaux .
, conduit devant le trone de Dicu. Tz
]] hi temoin dc fa gloire „ > & alors lc
fongeur commence a .dire des merveillcs
du Paradis, comme Tautrc en avait dit
de l'Enfer,
Le Villain pendant ce terns , quoiqu'il
les entendit fort bien , feignait toujoars
de dormir. lis vinrent le reveiller. Lai ,
affeclant Tefpece de faififfement d'un
homme qu*on tire fubitement d'un profbnd
fommeil , criaavec un toneffraye j " Qui
„ eft-la 1 -t Eh 1 ce font vos conlpagnons
„ de voyage. Quoi I vous ne nous con*
„ naitfez plus? Allons , levcz-vous, &
„ contez-nous votre reve. — Mon rerei
„ Oh 1 j'en ai fait un fingulier , & donr
9y vous allez bien rire. Tenez , quand je
„ vous ai vus tranfport& , Tun en Paradis,
„ I'autre en Enfer , moi j'ai fong£ que
„ je vous avais perdus &que jencvous
„ reverrais jamais. Alors je me fuis lcv£ j
„ & ma foi > puifqu'il faut vous le dire,
f > je fuis alte manger le pain ,„
Se trouve dans les Fancies & mots fubrill
mn fransais U en Iwlicn , foU XXIVm
;d by Google
O V C O N T E $. 3JX
X)<mm fc* Facetieufes Journces, p. is*.
JEt dans Us Contes,du fieur d'Ouville, /. z ,
P+ 363.
Dans Us Scelta di facezie cavate da diverfi
autori , />. i22, it s'agit de trots Thiolo-
giens qui n'ont qu'un aeufa partager, lis pro-
pofent de Vadjuger a celui qui dira U plus
beau pajjage de VEcriture. Le plus fin des
trots I * ovale , en difant confummatum eft.
Se trouve ainfi ripttf dans le* Contes dll
fieur d'Ouville , tome 2 , p* 233.
Dans Giraldi , au lieu de deux Bourgeois
# d'un Payfan , c'efi un Soldat avec un Af-
trologue & un Philofophe, IV. Journ. Nov. III.
Dans Us nouveaux Contes a rire , p. 273 ,
U iagit d*un Efpagml & d'un Gafcon.
Notre Fabliau a eti mis mis en vers par
M. Imbert.
NO T E S.
i a , Deux Bourgeois allaient en pelerinage. )
La devotion des pelerinages , l'une de celles /K
qui n'obligent point a* devenir meilleur, &
faite pour reuflir en France , parce qu'eUe
exer<;ait Pinquietude naturelle & la mobilite
qu'on reproche i la nation , y Stait devenue
fort 1 la mode $ & elle eft Porigine de cR
T 4
4i
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3$i Fa'biiaux
Hofpices qui fubfiftent encore dans mille en-
droits du Royautne. Les Pelerins jouiflaient
de beaucoup dc privileges ; ils etaient regar-
, des commc des perfonnes facrees ; & Pon a
vu dans lc Lai de Gruilan que e'etaic un des
objecs fur lefqucls s'exer^ait la bienfaifance
des Grands-Seigneurs. Chez les Romanciers,
quand quelqu un veuc penecrer , fans crainte
d'etre arr£tc , dans un camp ennemi ou dans
une rille affiegee, il fe deguife en Peleriiu
Tqut le rnpade allait aux lieux de devotion ,
du l'Abbe de Fleury, me*me les Princes &
*M*urs les Rots \ Le Rot Robert pagan Us Caremts
Cnr. en ptferinagg % $ fi t / e VO yage de Rome, Les
"' ' Eviques ne faifaient point de difficult* de
quitter leurt Eglifes pour*ce fujeu Le peleri-
nage de Jtrufalem devint entrautres trh fre-
quent vers Van 1033. De la vinrent Us Croi-
fades : car Us CroiJ^s n*itaient que des Ptte*
rins armis & affembUs en. grandes troupes*
L'Auteur ajoute que des le onzieme Cede
OH fc plaignaic des abus ' qu'entrainaient ces
pieux voyages. Des Pritres & des Clercs cri-
minds fe prStendaient purge's & rehabilitts*
Les Seigneurs en prenaient occqpon de faire
des exactions fur Uurs fujets , & ceHait un
prjfexte aux pauyres pour men die r fir vivre var
f&onds* '
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O U C O N T n, 33$
lb , lis riunirent leurs provifions* ] Les au-
berges ne fc trouvant gueres quo dans les
villes , & etant tres-rares dans les campagnes
©u il n*y avaic prefque que des chateaux
ifoies, & des villages peuplcs de Serfs, les voya-
geurs , fur - tout ceux de la clafle du peuple
qui n'avaienc point la reflburcc de pauvoir
aller fe prefenter dans les gentil-hommieres,
etaient obliges de porter en route* avec eux
leurs proviuons. Ceft ce defaut d'hotelleries
qui engagea la plupart des anciens fondateurs
d'Ordresi prefcrire par leur Regie rhofpitalire,
& beaucoup de perfonnes devotes a fonder des
hopitaux pour les voyageurs & les Pelerins«
Charlemagne dans fes Capitulaires avait dGfendu
de leur refufer le couvert, le feu 5c l'eau.
Is
Digitized by GoOgle
334 Fabliaux
p« LE REVENANT.
Pierre
4'AnfoU
UANSun plus long preambule , je vais
tous conter une aventure arrivee n'aguercs
en Normandie a un Chevalier.
II voulait feire fa Mie d'une graack
Dame, epoufe d'un riche Seigneur Cha-
telain (a) ; & dans ce deffein il employa
long-tems , fans fe d^courager , tout cc
qu'il put imaginer de moyens pour l'inf-
truire de fon amour & parvenir a lui
plaire. Vous ennuyer de tout ce detail,
e'eft ce que je ne ferai point. Je vous dirai
feulement qu'il la prefTa tant , qu'un jour
enfin elle lui demanda comment il pouvait
fe flatter d'oBtenir fon coeur , lui qui
rTavait encore fait pour elle aucune de
ces actions eclatantes capables de rendre
fenfible une femme qui s'eftime. " Vous
„ voulez que je vous aime , ajouta-t-elle
„ en fouriant $ eh bien, fachez que jamais
w je n'aurai d'ami que celui done je
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V CONTIS. }}J
„ pourrai hautement me gk>rifier , & qui
„ par plus d'un beau fait d'arraes , m'aura
„ montre* comment fied dans fes mains
„ la lance & l^cu-Agrdezdonc., Madame,
M repondit le Chevalier , que pour vous
„ fournir les moyens de vous en con-
„ vaincre , j'indique avant peu un Tour-
„ nois a la porte de votre chateau , &
„ que ce foit votre epoux lui-meme que
„ j'y ddfie. Vous pfcurrez dc vos fenestras
„ appr&ier les coups , & juger enfin par
„ vos yeux. qui de nous deux eft le plus
9 , digne de pofRder YOtre coeur „.
La Chatelaine le lui permit > & d'apres
cet aveu il fit annoncer un Tournois , oii
flit invitee , a plus de dix lieues a la ronde >
toute la NoblefTe de la contrde. Jamais
on ne vit afTemblde plus nombreufe , &
jamais on n'en vit une plus redoutabk &
plus impofante. Voias n'eumez pu vous
empecher de trembler , quand parut dans
la lice cette fbule de braves , le haubert
fur le corps & le heaume en tete. lis fe
partagerent en deux troupes qui allerent
chacune fe placer a leur pofte en atten-
dant le moment du combat.
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33<J Fabliaux
Lc Tournois devait s'ouvrir par le d£fi
de Pamant & de l'epoux. Us fortirent dcs *
rangs 5 & la lance au poing , dreffes fur
Icurs emers, & la tete enfonce*e fous
T^cu , au fignal donne" Us s'&ancerenr
Tun fur Pautre avcc le bruit & Pimp£-
tuofite* de la foudre. Tous deux s'attei-
gnirent 5 & d'une telle force , que le man ,
enleve* avec la felle fij Ies (angles de fon
cheval , fut jettc* au loin fur le fable.
Quant au Chevalier 11 ne parut pas plus
ftranle* qu'un rocher, la lance de fbn
adverfaire fe brifa , comme le verre , fur
fon eoi. La Dame , qui de fes fenetres
dtait fpe&atrice du combat , ne v;t qu'avec
chagrin fans dbute fbn epoux vaincu ;
mais le vainqueur &ait fon amant , &
cette idee la confola.
Que vous dirai-je ? On fe mela enfuite ,
on fe batt.it avec ardeur , & chacun a
fenvi cherchait a fe diftinguer. Mais
malkeur &pecke vinrent troubler la fete ;
un Chevalier fut tue\ Comment & par
qui arriva cet accident , je Hgnore. II
jfuffit au refte pour interrompre le Tour-
now. On. inbumale mort fou* un orme <J>) %
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ou Contes. 3J7
Be commc d'ailleurs Ie jour &ait fort
avance* , Ton fc fepara.
La Chatelaine qui voulait re'eompenfer
fon Chevalier & lui tenir parole a fon
tour , lui envoya dire de fe rendre au
chateau , la nuit , a une certaine heure
qu'elle indiqua. II n'eut garde d'y manquer ,
& trouva a la porte une fuivantc qui
l'attendait. Sans lui dire un feul mot ,
celle-ri Ie prit par la main , lui fit faire
dans robfeuriti plufieur% detours pour'
n^tre yqs de perfonne /& le conduifit
dans une chambre od elle le laifla , en
ft priant de ne point simpatienter. Mai9
bientot , foit ennui d'attendre , (bit plutot
la fatigue du jour , il s'afToupit.
Obligee d'entrer au lit avee fon epoux f
la Dame ne pouvait s^chapper que lorf-
qu'il ferait endorml j & e'eft ce quiTavait
retenue fi long-tems. Elle accourut enfin ,
& de*ja s'appr&ait a Sparer par fes carefles
le tourmentinyolontaire qu*elle avait caufi*
a fon ami , quand elle le trouva dormant
II n'eft pas poffible d'exprimer Pindigna-
tion dont la pen&ra un manque audi
ifenfibte de refjpedfc & d'amour dans un
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5 j8 Fabliaux
parcil moment. Ellc fc rcrira fans pie-
noncer une parole , & l'hiftant d'apres
cnvoya au dormeur fa fuivante , avec
ordre de fortir fur le champ de chez elle ,
& ddfenfe de fe trouvcr jamais dans les
licux ou elle pourrait etre. .
La Pucelle alia done Teveiller. II fc leva
en furfaut j & croyant parler a la Cha-
telaine, il commenja, les yeux encore
troubles, a begayer quelques pbrafes
d'amour & de reconnaiflance. " ReTervez
„ ces douceurs! pour une autre , dit la
„ Dcmoifelle j elles vous feront d^fbrmais
„ inutiles ici „ : Et alors elle lui annonc^
ce qu'elle &ait chargee de lui dire. In-
terdit & cotifus il convint de fes torts ;
& fans vouloir excufer une faute inexcu-
sable , il ne fongea qu'a la reparer.
Une rufe heureufe qui lui vint tout-i-
coup a l'efprit , lui en fburnit le moyen.
Avant de fortir il demanda a voir lc
mari , pr&extant un befoin efTentiel dc
lui parler $ & pria la Pucelle de lui indi- '
quer la chambre oii il repofait. Celle-ci ,
trompde par le motif qu'on lui alleguait ,
U lui montra. Le Chevalier quitta fes
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OuCoNTES. JJ9
vStemens , ne garda que ft chcmife ; &
sTavanjant avec grand bruit , l*£ple a la
main , vers le lit des deux ipova , il refta
ainfi debout pres d'eux , fans remuer &
fans profirer une parole. Comme leur cou-^
tume &ait de tenir toutes les nuits une
lampe aliunde , il pouvait egalement les
voir & en &re vu. En effet le Chatelain ,
r£veill£ par le bruit , apperc^ut a fes pieds
ce phantome toutblanc, dont il fut d'abord
ef&ay£ ; & d'qnc voix trouble , il s^cria ,
qui es-tu } " Raflurez-vous , r^pondit le
„ phantome. Vous voyez une ame fou£
„ frante qui , loin de fonger a vous
„ irriter contfelle ? ne veut au contraire
„ qu'implorer votre bonti. Je fuis lc
„ Chevalier tu£ aujourd'hui au Tournois.
„ Puhi d'une feute que j'ai commife il
)> f'y a pas long - terns envers Madame ,
„ jc viens ici lui en demander pardon ,
„ & j'y viendrai toutes les nuits jufqu'a
„ ce qu'ette me I'ait accord^ , fi vous ne
„ daignez , Sire , vous joindre a moi pour
„ la fiechir , & des ce jour obtenir d'clle
„ ma grace „•
Le mari dupe de ce ftratageme interc^da,
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540 Fabliaux
de bonnefbi pour le Chevalier , & pria
fa femme d'oublier les torts qull pouvait
avoir eus. Ellc avait tr£s-bien reconnu (a
voix 5 mais cllc ^tait encore irritee , fie
refufa de pardonner. Le Chatelain furpris
d'un pareil reflentiment demanda quel
^tait done ce crime enorme dont le cout-
roux s'&endait jufqu'au dela du tombeao.
« Ma faute eft grande , fans doute , puif-
„ que je ne me plains pas de la punition ,
„ repondit le Chevalier ; mais je nepuis
„ la dire , car fen ferais une plus grande
„ encore & meriterais alors la colere dont
„ on m'accable ,,.
Ce dernier trait de prudence & de iou-
miflion acheva de defarmer la Dame.
« Sire Chevalier , dit-elle , retirez-vous ,
„ & allez en paix 5 tout vous eft par-
„ donne\ — C'eft la feule chofe qu^je
„ (buhaitais, Madame; & que le Ciel
„ en re'eompenfe vous accorde une vie
„ toujours heureufe. Mais puffque vous
„ confentez a oublier ma faute , le -cha-
„ timent va done finir aufli , & mon bor*-
„ hcur fans doute ne tardera gueres a
„ commencer „. En difant ces mots ilfc
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OUCONTES. 54I
letira ; &* la Chatelaine qui reconnut alors
la rufe ingenieufe de fon ami , fe prit
a fourire. Ce fiit ainfi qu'il regagna fon
cceur : fans cette adrefle il la perdait pour
CQujours.
Vergier, u t , p. 176 , a auffi un Conte
de Revcnant 5 mats les chofes s'y pajfent de
concert avec la femme. Uamant vient la nuit
reveiller Vipoux ; il fe dit fon frere mort de*
puis peu , Venvoie a VEglife prier Dieu pour
lui , & pendant ce terns prend fa place.
Notre Fabliau a ete mis en vers par M.
Jmberu
NO T £.
(|, Un riche Seigneur Chatelaln. ) On nom-
mait ainfi, 8c celui d qui un haut Baron ou
un Souverain confiait le goiivernement & la
garde d'un de fes chateaux; & le Seigneur
qui pofledait une Chatellenie , e'eft-a-dire
tin fief ayant droit de chateau & de haute-
Juftice. Ceft pref^ue coujours dans ce der-
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34* Fabliaux
nier fens que les Fabliaux emploieat le mot
4e Ch&telain,
( b, On inhuma. le mort fous un orme. )
Les Papes , en lancant des anathSmes concre
les Tournois, avateno /defend u d'inhumer en
terre -fainte ceux qui etaient tues dans ces com-
bats. Ordinairemenc merac on n'enterraic point
les excommunies. On jetcaic leurs cad a vr ex
dans un champ; & pour en derober le fpec-
ucte & Todeur aux paflfans, on les couvraic
«f un monceau de pierres.
*wt^f*
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O U C O N T E S. J4J
LE LIBERTIN CONVERTI.
D,
"epuis- hicr je fuis dans unc grande
incertitude , & nc fais quel parti prendre. '
De quelque cote* que je me tourne , j'ap-
pcrc/ois des inconveniens : car entre deux
jnaux le choix n'eft pas aife. Enfin dois-
je prendre femme , ou non ?
Me voila bien confcfR , bien abfous. Lc
Patriarche m'a fait dormer maints, coups
de difcipline , & il nous dit que , felon
5. Paul , on eft ainfi purge* de tous fes
p&hes (a). Pai promis de vivrc en bon
Chreuen , il faut tenir parole : je me
damnais. Avec une femme on a dequoi fe
fauver 5 ainfi je me marierai , c*en eft
fair.
Mais audi cette rage d'epouferne fera-
t-elle pas fuivie de regrets 1 Ne vais-je pas
(aire unc fottife } Si ma femme eft
Demoifelle , elle me meprifera 5 fi elle eft
Jolie, cllc mc fera iofidellc j mkhantc ,
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344 Fabliaux
die me fera damner. Ceft un treTor qu'unc
bonne femme , j'en conviens : qui ft
trouve' , qu'il le garde ; mais oii chercher
ce phdnix ? Une femme eft un terrible
7 fardeau ; fen ai deja tant fouffert , quand
elles n'&aient pas a moi I Que *fera-ce
quand j'en aurai une qui m'appartiendra
& que je nc pourrai m'en d^barraffer ?
D'un autre cote* , fi je me marie , tout
va etre regie* dans 'mon manage. Plus de
foins , plus d'embarras pour moi : rien a
faire que manger & dormir. Si ma Moitic
me voit trifte , elle .viendra- rire &
m'egayer; fl j'ai de l'humeur, elle pre-
viendra jufqu'au moindre de mes defirs.
Quelle joie , chaque fois que je rentrerai ,
de la voir accourir au-devant de moi , me
bailer tendrement , me ferrerdans fes bras !
Oui, il n'y a pas a heater, je ne (aurais
rien faire dc mieux. Une femme non-
feulement rend heureux fon mari , elle
£gaic encore fa maifon. Je fais fort bien
que ce miel attirera chefc moi quelques
firelons; mais je faurai m'en d^barrafler,
& ne fuis pas d'humeur a faire tous les
jpurs des noces pour nourrir mes voifins.
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O U C O N T E S. J4f
D'aflfcurs je connais un pcu trop par moi-
•tncmc les fuitcs dangereufes qu'ont pour
lcs maris toutcs ces amities pr&endues.
Jc ferai done des ferviteurs a Dicu , 8c
des fujets a l'£tat. . . . Que . dis-je 1 Je
ferai : en fuis-je bien sur } Helas i combicn
en nourriiftnt , dont d'autres ont en le
plaifir d'etre les peres ? Ce n'eft pas tout
encore ; mon epoufe pcut-etrr. aura unc
coquetterie qui me ruinera. 11 lui faudra
joyauz , bagues , ceinture , ajuftemens ;
car elles aiment tout cela plus que fer-
mons. Peut-etre auifi voudra-t-elle fc
rendre maitrefTe. J'en ai tant vues ! Et
dans ce cas ce ferait a moi une grande
folie de changer mon £tat pour un pire.
Mais non , fai tort dc m'allarmer. Jc
la choifirai douce , honnete & incapable
de me tromper. Elle paffera lcs jours a
m'aimer & a prier Dieu , ce fera Texemple
du quartier. Dieu a fait la femme pour
l'homme , difent nos Pretres > il ne faut
pas feparer ce qu'il a r^uni. Eux-memes ,
qui ne peuvent en avoir a eux , ne cou-
rent-ilspas apres celles des autres? L'ftvcque
a beau la en reprendre & les charier ,
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54* Fabliaux
il ne lcur eft point poflible dc flSpaJTer
de ccttc confolation. Ainli je veux me
jnaricr , mon parti eft pris. Je ne defire
plus qu'une jolie compagne, & dejajc
Toudrais e^tre aux noces. . . ....
Mais cependant , toutes reflexions Bates,
je crois que ce regime ne* me couvicnt
pas & que meme il m'eft contraire. Pat
appris a mes depens a connaitre les femmes >
& fi la mienne fe mettait en tete dc
feire mal , il n'y a prifbn , tour , chateau
ni fortereffe , il n'y a puiffance fur la
terre qui fut capable de Ten empeeher.
Cetce piece a etc mife en vers par M. Imbert.
NO TE S.
f (a, Le Patriarche nCa fait dpnner maktt
coups de difciplinc , & il nous dh que felon
S* Paul , on eft ainfi purge* de tous fet pi*
ches* ) La flagellation , foit avec des verge* »
foic avec des cordes notices , fait un chad-
ment raonaftique employe dans les Convents
pour certaines fauces. L'Eglife le mic an nom-
hre des peines canontques qu'elle impofaif
*ex pecheurs penicensj & pourne cucr que
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ou C 6 N t e J, 347
ties exemples connus parmi nous , Louis-Ie-
Debonnaire , ap res avoir etc force d'abdiquer
la couronne , rut frappc de verges i Soiflbns
dans Paflcmblee <ies Ev&juei. Les Papes ,
avant de donner l'abfolution dc certains cri-
mes , impofcrent quelquefois , entre autres
penitences , une flagellation publique \ lis y • fl t uri * .
foumirent meme des Princes : tels fiirent Hift. Ec.
Raimond - le - Vieux , Comte de Touloufc , £* K/ /
accufe de favorifer les Albigcois ; Henri II , ^J 3 *
Roi d'Angleterre , caufe, par un mot im-
prudent , de la mort de 1' Archeveque de Can-
torberi , &c. Tappelle fupplicc , die l'AbbS
de Fleury , ces fpcclacUs affreux que Von don-
nait au public , faifant, parattre le pinitent
nud jufqiia la ceinture avec une corde au cou
& des verges a la main dont il fe faifaitfufii-
ger par le Clergi ; comme on fit entre autre*
a Raimond • • . Je ne doute point que
ce ne foit Vorigine des ameades-bonorables ,
refues , depuis plufieurs Jiecles , dans les Tri-
bunaux ficuliers , mais inconnues a toute I'an-
Uquite *\ Une Chartre de 1'an 1240, ordonne * Idem*
que les excomraunies , qui vondront rentrer Dif.jr*
en grace , affiftexont i la Proceffion nus pieds ,
«n chemife 6c tenant en main des verges qu'ils w Vti
prefenteront enfuite i genoux au Scmainier Can 8 e *
pour tore fiiftigcs par lui *\ procefc
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348 Fabliaux
Plufieurs perfonnes e,mployaient par «*
votion cc genre de penitei*e. S. Louis fe
£ai£aic doaner tous les Vendredis la difcipline
* Duche- P ar fon Confcffeur '» H Y avait dcs Pr £" cs
ne , gefta qui , avant de donner l'abfolution a leurs pe-
Sandi n i tcns> i es frappaient de verges *. Dans i'Oc-
^ U «°n ** rc dc cluni » on nc fc P« f « mait a confeife
Canst < l uc * e & os decouvert , par cette raifon *\
Suppl. En 1260, s'eleva en Italie une Cede de Fa-
aumot natiqucs, qu*on nomma Flagellars , & qui
tcs. couraient les eampagnes & les villes , n«s
'* Ibid, jufqu'i ia ceinture, fe dechirant le corps a
au mot cftups de fouet. pour appaher la colere de
Flagella- p ieu ^ & chantant des caqtiques ajuftes a cette
devotion degoutante. lis fe repandirent dans
to »te l'Europe 5 & il fallut l'autorite des
Princes pour arreted ou pour detruire leurs
progres. Le*s confrairies de penitens de nos
Provinces meridionals , qui , i certaines Fetes
de Pannee fe jpue'ttent publiquemfcnt dans les
Procefllons , la coutume ou font encore quel-
ques PrjSdicateurs zeles d'ltalie de finir leurs
Sermons par une difcipline fanglante , &c«
font des redes de cette fuperftition*
LA
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LA CONFESSION DU RENARD (a).
it son Pblerinage.
Ze Fabliau qu'on va lire , & dans UquS) h
trovers quelques traits de fatire aJTe{,fine 9
on fent pourtant toujour* la plaifanterit
d*un JlecU grojfier , femble n^ avoir eu prtn-
cipalemtnt en vue que de ridiculifer les p£-
lerinages , & fur-tout celui de Rome.
«/adis vivait tranquillement dans Con
palais de Mau-pertuis un vieux Renard.
Mais l'age dcpuis quclquc terns coifimen-
$ait a l'app^fantir. De jour en jour il
fentait diminuer (es 'forces , & entre-
voyait deja une fin malheureufe. « Helas I
» je ne puis plus mal-faire , fe difait-il..
•» Qu'eft devenu ce terns od , sur de ma
» proie quand je Tavais une fbis faifie ,
» & plein d'afTurance en mes pieds,je
» necraignais la pourfuhed'a'ucunenncmi ?
» Que de vols, que de fang repandu fai
1 Tom it V
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jyo Fabliau
» a me rcprocher 1 C'en eft fait , U faut
» changer j c'eft trop long-tems etre crainc
» & hai ».
Tandis qu'ii s'occupait ainfi de ce pieux
projec , un Villain , enfonce* dans fon cha-
peron (£) , pafTa par-la , & le voyant
^eurer lui demanda ce qu'il avait. —
« Ce que j'ai , bon Dieu 1 Eh i ne dois-
» tu pas le deviner } Apres une vie paffee #
» dans le brigandage & dans le crime >
» mes larmes peuvent-elles te furprendre ?
to Mais j'ai entendu precher dans ma jeu-
* neffe que qui demande pardon l'obticn-
*> dra; 8c j'efpere en la mifencorde du
» Ciel ». Alors il pria le Payfan de iui<
enfeigner dans le voifinage quelque faint
homme auquel il put aller s'accufer de fes
fautes & en demander l'abfolution* L'autre
qui connaiflait le dr61e crut d'abord qu'il
voulait fe moquer ; cependant quand il
le vit infifter & avec ferment proteftcr
de fa bonnefoi , il lui nomma un bon
Hermite qui habitait dans un bois aflez
pres dela , & s'ofFrit meme a le conduirc.
Si la vue de ce brigand , connu au loin
par fes rapines^ furprit le Solitaire , fon
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O V C O N T E S. JJX
rcpentir & fes larmes It toucherent. II le
loua fur Con recour a la vertu & ^cputa
le r£cit dc fes fautes 5 mais elles &aient
telles qu'il nc pouvait lui en donner
l'abfolution , & il lui enjoignit d'aller a
Rome. « Eh I pourquoi , fe dit a fui-meme
» le pdnitent , m'envoyer chercher fi loin
» un pardon que le Ciel peut m'accorder «
» ^galement ici * Ceft done pour nous
» faire courir que le Pape * fe reTerve a
n> lui feul un pouvoir qu'il eft le maitre
» de communiquer » 1 N^anmoins comme
c^tait une n&eflite 4 , il s'y foumit , prit
un bourdon , fe pafla une dcharpe au
cou & partit (c).
Une feule chofe le fachait , rftait de
voyager feuL D*un autre cote* , le grand
nombre d'ennemis qu'il s'e'tait faits lui
donnait lieu de craindre pour fes jours.
II fe vit done oblige* de smarter des
grandes routes & de fuivre des chemins
d&ourne's. lMp> au bout de quelques
lieues , fa blfime fortune lui fit trouver
un compagnon.
En traverfant une plaine ou paiffaient
des moutons, U appercut Belin , le Wlicr
V*
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1
3ji Fabliaux
du troupeau 5 lcquel s*e*tait retire* a V&cart
& revait triftcment , couche* fur l'herbe.
Le Pterin s'approcha pour lui en demandef
le fujet. « Helas ! je pleurc ma mort
» prochainc , repondit B^lin en foupirant.
» Voila pliifieurs anne'es que je fers cc
» Villain 5 & c'eft moi qui fuis le perc
» de prefque tout ce beau troupcau que
»> tu vois. J'elperais au moins que , pour
>» prix de mes fervices , l'ingrat me laif-
» ferait mourir en paix. Je me fuis tromp^:
» il vient de me defUncr a nourrir fes
» mouTonneurs , & ma peau eft vendue
» pour faire des houfeaux a quelqu'un
» qui part pour Rome. Rome encore I
» 6*&ria le Renard , je n'entends parler
» que de Rome ; mais tout va done-
•> la (d) ? Du moins , ii Ton t*y envoyait
» com me moi , tu ne fburnirais pas de
» houfeaux. Ah ! mon pauvre ami , tu
» me fais grande pitied , & je vois qu'on
» te jouera un madvais torn, fi tu ne
» prends bien vite ton parti.^- Eh 1 quel
» parti prendre ? Pai beau rcver , il ne
» me vient rien ; confeille - mbi done ,
m toi qui a de. I'efprit. — Le confcil eft
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O U C O N T E S. 3 5-5
*° aiie - y $c d* abord il faut commencer par
» t'enfuir. Ecoutc 5 j'ai 6t6 long-terns , •
** comme tu fais , un afTez grand vaurien ;
» mais a tout $6ch6 miCencorde , & j*ai
* lu dans Tfecriture que les Anges fe
» repuifTent plus au Ciel pour un larron
» qui vienta reTipifcence, que pour quatre-
xi vingt-dix Juftes qui perfeverent. Qu'eft-
» ce apres tout que ce monde & fes plai-
» firs ? du vent & de la fum<fe. Dieu
*> nous commande d'y renoncer & de
» quitter tout pour lui , pere , mere ,
» herbe 8c pre , j'ob&s, & j'efpere bien
» que tu me verras un jour couche* dans
*> la Legende. En attendant , je vais cher-
*> cher a Rome une abfolution du Pape.
» Veux-tu me fuivre 1 J'y vois pour tot
» double profit ; des pardons a. gagner >
» & point de houfeauxafournir». Belin %
fort fimple. de fon naturel , trouva le
confeil admirable. II embrafTa fon ami en
pleuranr de joie x &; fe mit en route avec
lui.
Us n'eurent pas fait cent pas qu'ils
apper£urent Bernard lArchiprhre * , qui *Un
-cungeaic des chardons dans un fofR. Anc.
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374 Fabltavx
C'ltaie unc fi ancienne connaiflance qu'il
n'eut pas 6t6 pardonnable de paiTer fans
Jui rien dire. On le falua done. Bernard
levant la tete , & furpris de voir M e Re-
nard dans Wquipage de pterin , lui
demanda ce que e'etait que cette mafca-
rade. « Mon cher , repondit celui-ci , rien
» nc coute pour fauver fbn ame y & , fi
» tu £tais fage , tu ferais comme nous.
» Car enfin , au lieu de porter du bois
»3 & ducharbon, d'avoir le dos pele* , de
» recevoir cent coups de batori par jour ,
» il ne tient qu'a toi de n'avoir plus de
» maitre & de vivre fans travailler,
» puifque tu es sur de trouver partout a
» manger ». Ce dernier article fut celui
qui frappa le plus Bernard 5 il fe le* fie
aflurer bien exprefRment encore. l/autre
le lui jura foi de Renard $ & d'apres cette
prbmefTe , voila nos trois Pterins en
campagne.
Comme lis avaient un grand bois a
traverfer ,' la nuit les y furprit$ & cc
fut alors qu'ils commencerent a fentir Its
inconveniens du p^lerinage. Le Renard ,
6it aiut injures de i'air , propofa de cou«
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O U C O N T E S. JSf
ener furl'herbe au pied d'un arbre. Belin ,
accoutume* a rentrer tous les foirs dans
ufte bonne Stable , ne goutait pas trop
cette fajon de dormir 5 & d'ailleurs il
craignait les loups. L'Ane appuya tr£s-fort
Tavis de Belin. Le Renard done, fbrci
d'y deT<£rer , propofa de faire encore quel-
ques pas , affiirant qu'ils trouveraient
Photel d'Ifangrin * , fon bcau-frerc & * Le
fon ami , chez lequel ils feraient surement *- ou ? • ,
bicn re£us (e). A ce nom dlfangrin les
deux autres reculerent d'effroi; ils crai-»
gnirent quelque trahifon. Mais le Renard
les raflura fi pofitivement fur fa probit£, il
leur fie rant de fermens , qu'enfin nos deux
idiots confentirent a le fuivre,
Il n'y avaij pcrfonne au logis d'lfan*
grin , quand ils arriverent. Celui-ci & fa
femme Herfant &aient a la chaiTe : mais
les voyageurs trouverent force provifions
de toute efpect s & fans attendre leurt
notes, ils commencerent fans fact>n k
boire & a manger. Peu^-a-peu la bonne*
chere & la gaiete* animerent les cerveaux j
on oublia la devotion , & chacun de foa
cote* fe mit a chanter a qui raieux micux*
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5fj6 F A B L I A U X
Pendant ce terns les deux chafleurs
revenaient avec leur proie. lis entendirent
de loin cette orgie bruyante dont reten-
riflait toute la foret , & d'abord la crainte
Jcs fit art&er. Mais Herfant , s*eemt
avanc£e avec precaution pour favoir ce
que c'^tait , vit , par le trou de la ferrure ,
les trois Pterins Itendus gaiment autour
de la table , ou ils s'egofillaient a chanter.
Elle revint auffi-tot avertir fon man ,
qui courut en fureur frapper a la porte
pour fe fairc ouvrir , & qui d'une voir
terrible leur annonca qu'il allait les dcvorer;
itous trois.
Si nos deux imWcilics eurent peur
alors, vous n'en ferez point furpris* Le
Renard les raffura. « Poltrons que vous
» etes , leur dit-il , eft-ce que vous ne
*» me connaifTez point ? Je vais vous tirer
» de ce mauvais pas j ne craignez rien.
»» Toi , Bernard , entr'oiwre un pcu la
» porte 5 Ifangrin va s'y jetter &ourdi-
-» mcnt. Des qu'il aura la t£te paiKc ,
» referme auffi-tot $ tiens bicn ; & pen-
» dant ce terns Belin fe chargera du refte ».
Le ftratageme reuffit. Ifangrin fe ttouva
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bu Coniis. 3J7
fcris comme au piege. AuiH-tot vous eufliez
vu B&in fbndre fur lui pour le frappcr dc
fcs corncs , puis s'elancer de nouveau ,
puis rcculcr pour le frapper encore. Jamais
porte de ville afliegee rt'effirya de (i ter~
ribles coups. Bref, tant & fi bien'fut
heurre* que h cervelle du captif en fauta.
Herfanc voyaic de dehors ce ipe&acle
douloureux fans pouvoir Pempecher. Elle
courut dans le bois pour appcller du fe-
cours s & dans l'inftant arrivereht plus
de deux cens loups qui , a la vue du
corps de leur camarade poufTant des hur-
leraens efFroyables , s'animerent mutuellc-
ment a le venger. Les ''prifonniers frif-
fonnaient de tous leurs membres ; & e'e'tait
bien finc^rcment que Bernard fe repentait
d' avoir quitti fcs fees de charbon , &
Belin fon Berger. Le Renard lui - meme
n'etait pas fans inquietude. Cependant
comme befoin eft la mere d'invention ,
il propofa de grimpcr fur le toit de la
loge , & de s^lancer dela fur un arbre
ou Ton n'aurait plus rien a craindre. En
meme-tems , fans artendre la reponfe des
deux autrcs., qui , ne ie fentant point
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3jS Fabliaux
audi lcftcs, n'euflent probablement pas
4t6 de {on avis , il fauta fur un chene
voifin.
Quand ils fe vlrcnt abandonnds , ils fc
crurcnt mom 5 mais il leur dit: « Chcrs
» camarades , nous avons encore une
» resource. Jevais, par ma ^>ix , jettcr
» I'epouvante parmi nos ennemis j fecon-
» dez-moi Tun & l'autre : & lorfque vous
» les verrez £branl& , fondez fur eux
» pour achever de les diffiper ». Il com-*
menca aufli-tot a crier haro , ha ro s &
a contrefaire le bruit des cors & Taboie-
ment des chiens. Les loups fe crurent
attaques par des ChafTeurs 5 ils ne (on-
gerent plus qu'a fuir. Bernard alors fai-
(ant retcntir fa voix eiFrayantc , acheva
tcllcment de les troubler qu'il fe culbu-
rereht les uns fur les autres. Belin lui-»
meme , cnhardi par leur fuite , forth &
vlnt les frapper par derriere avec fes
cornes. Enfin en moins d'un inftant tout
di(parut, & il n'en refta pas un feul.
Les deux Champions , par ce ftrata-
geme , fe virent d^livrfe du danger ; mais
U pcur qu'ik en avaient eue les gu4ri* dc
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O V C O N T B S, J/9
Penvie des p&erinages, & ils dircnt adieu
a leur camarade* « Vous avez raifon »
» repondit le Renard* & je veux vous
» imiter* II y a tant d'honnetes gens qui
» n'ont pas ixi a Rome , & il y en a
to tant qui , apr£s y avoir (x6 , en font
to revenus piresl Je vais retourner dans
to mon manoir ; j'y travaillcrai , je ferai
to du bien aux pauvres , je vivrai en bon
to Chretien $ & je crois que cette conduits
to plaira autant a £)ieu que & je courais
to les chemins pour lui »♦
Bernard & Belin s'^crierent qu'il avaic
raifon 5 & tous trois , de compagnic , s'en
revinrent chez eux.
CtContefe trouve infirS dans le Roman du
Renard & d'Hangrin, Po'eme fingulier, com*
pofe fucceffivement par trois auteurs; achevi ',
comme Vapprend le manufcrit, en 2339, &
dans lequel on a fait *ntrcr tout ce que les
fables & les poifies du terns fourniffaitnt fur
le Renard. Ce libertin eft accufi par le Loup
de V avoir fait C ... & traduit par lui a la
Cour du Lien. Celui-ci Htm Ifangrin d'un
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3<Jo FABUAtt
&/<** <&n* /<?,/*«/ fruit fera de rendrefa home
puUiquc , & il le renvoie , en I'exhorunt a
fe confuler d'un ivinement qui arrive aux Rois
& aux Comtcs, & qui de jout en jour devienc
_' i la mode 5 trait de fatire £autant plus hardi ,
qu'il faifait . allufwn probablement a Vaven-
ture des trots fits de Philippe-lc-Bcl t donths
femmesfurent toutes trois publiquement accuffes
d' adulter e* Enfuite viennent different tours du
Renard ; celui du fromdge quit attrape m
corbeau ; celui du puits dont il fe tire en
faifant defcendre le Loup dans V autre fee au ;
fon piUrinage a Rome t e'eft-a-dire , notre
Fabliau en entier , &c. & c, II difie enfin J fan-
grin aux ichecs ; & dans la confiance ouil
eft qu'il le gagnera , il propofe par malice de
jouer ce quits ont tous deux le plus d'inUrit '
de conferver* II perd , & meurt des fuites de
cette fotdfe*
Differens traits , recueillis des poejies du
terns, m'ont prouvi que notre Fabliau, tout
fcahdaleux qu*il parattra avjourd'hui, eut une
tres-grande vogue chez nos devots aieux. On
V employ ait mime en tableau; & un Pocte mo*
ralifte reproche aux Pritres de faire platCt
peindre ce fujet dans leurs filles que le por-
trait de la Vierge dans leurs eglijes*
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o ty C o n t e ss j(Jr
* En Ieur Mouftier ne font par fere
Sitofl 1'iraage Notre-Dama
€ommtils
Com font Ifangrin & fa feme ,
En ieurs chambre?, & de Renart. '
Vies <•p^ F#r« tntnujt.
Dans la fuitt , quand Paris tut des tr£»
Uaux, fir qu'ony reprifenta des Mifteres, on
fit, des divers Contes du Renard, quelques-
Wies de ces Farces qui, comme je Vat dit
plus haut dans la note fur V origine du Tk£&-
tre 9 fervaient d'intermede aux different actes
de la Piece fainte. On a In dans cette mime
note qu'a la fete que donna en 1313 Philippe-
le-Bel , on vit, entrt autres fpefiacles, la vie
enticre du Renard , lequel finijfaif par devenir
Pope t mangeant cou jours poules & pouflins.
NOTES.
(a) L'Hiftoire parle d'un certain Reginald
ou RcYnard , policiquc tres - rufe , qui vivait
dans le Royaume d'Auftrafie au IXe fiecle Sc
fuc confeiller de Zuencibold. Exile par fon
Sou ve rain , il alia , au lieu d'obeir , fe met-
tre a couvert dans un chateau fort done il
Tome IL X
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$6z Fabliaux (
etait le maitre , & d'oti il fufcita aii Prin€«
toutes fortes ■d'afeires fAcheufes, armantcon-
tre lui tantot les Franqais , tantot lc Roi de
Germanic. Cetre conduite artificieufe & faufle
rendic fon nom odieux. 4 Son fiecle fit fur lui
differences Chanfon* , dans lefquelles il eft
appellc Vulpecula; & les fiedes fuivans com-
poferent de meme plufieurs Poemcs allcgori-
ques fie fatiriques en Romane , qui depuis
furent traduits en plufieurs langoes , & oil
il eft toujours defigne fous PemblSme de Pa-
nimal , auquel dans la notre il a donne fon
nom. Ces allegories qui pretaient A la m6-
chancete de nos vieux Poeces furent long-terns
A la mode parmi cux. J*ai vu plus de vingt
pieces differences fur le Renard. II ftifl&ra de
faire connaitre Tune des principals. Ceft lc
Roman du HHouvtau Renard , par Jacquemar*
Gielee d© Lille, fini en HI?.
Le Lion convoque tous les animaux A (a
Cour. Le Renard lui joue mille tours 3c en
vient A une re volte ourerte. Affiege dans fon
chateau de Mau-pertuis , il emploie tanc dc
rufes , que le Monarque , apres avoir perdu
bien du monde & defefperant de le reduire,
lc fait excommunicr par TArchipretre PAne.
Cependant ils fe rtconcilient dans la fuite; mais
le Renard , qui eft toujours le ni&ne , qui
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OU CONTES. J^J
role , qui debauche des femmes , $cc , met le
Gerge dans fon parti afin de n'avoir plus
rien a craindre. Lcs Pretres fuivent let princi-
pes d'hypocrifie qu'il leur enfeigne , & de- t
▼iennene par fon moyen fi puiffans & fi ri-
ches quails fe profternent devant !ui pour l'ado*
rer. II fait un de ies flls Jacobin, Un autre
Frcre-Mineur. Enfin il fe confefle a un Her-
mit e , lequei l'envoie a Rome. La il trouve
la Fortune qui lui met une couronne fur la
tScc & quiTeleve au plus haut de fa roue ; 5c
e'eft ainfi qu'il eft reprcfente dans la minia-
ture du manufcrit.
Toute cette multitude d'allegories fur le Re-
iwrd pourrait, bien au refte n'6tre primitive-
meiit qu'une imitation de celle de Bid-pai. On
(ait que l'ouvrage de ce Philofophe Indien,
qu'on nomme Fables, n*eft rien autre chofe
qu'une inftru&ion qu'il fit pour le Prince foa
fouverain, & dans laquelle il fuppofe un
Renard qui apres avoir fupplantc St fait met-
tre a mort un Bceuf , grand Vifir du Lion ,
p{ fit enfin lui-meme vidime de la calomnie.
Tout cela eft entremele , A la maniere des
Orientaux , de Sentences , de Maximes , d'A-
pologues , de Comes abfolument Strangers au
fujet principal & propres a le faire fans cefle
ouMicr. Nos Poetes ont connu cet ouvrage,
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364 F A B L I A tJ X
comme on le verra par pluficurs morceattX
qu'ils ont i mites ; 8d il fc poilrrait tres-bien ,
encore utie fois , que ce fdt li , pi u toe que
dans PHiitoire de Reginald , qu'ils euflenc
pris Pid6e dc tous ce* Poemes dont j'ai parle.
< b , Epfonct dans [on chaperon. ) Sorte de
couvercure de t£ce prefque audi ancienne que
la Monarchic , &c done l'ufage n'a com-
mence a s'abolir que fous Charles VI , quand
Its chapeaux devinrent 4 la mode. Cecaic one
efpece de coqueluchon qui fe portait par-
deiTus la chape , qui couvrait Its epaules , SC
fe rclevaic fur la tete quand on voulait fe ga-
rantir du foleil , du froid ou de la pluie. On
voit encore aujourd'hui parmi It peuple de*
voyageurs en porter d cheval par-defllis leut
chapeau. Souvent on les garniffait de fourrures
precieufes. On en faifait raeme entieremenc
en peaux ; & ceux-ci fe nommaient aumujfes*
Quant a la forme des chaperons , elle a fore l
vatic , quoique le nom en foic tou jours rede
le meme. II y en avait de quarres , de poin-
cus , de grands , de pecks , quelques-uns faits
comme ies capuchons de nos Moines , 'd'au-
tres avec des houppes, &c. &c. La plupart
des habillemens de femmes en avaiene auflij
£c ces coqueluchons inuciles qu'elles portent
encore & leurs ditferentes fortes de mantelets
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ou ConteS. 36/
It l quelques-uns de leurs deshabilles , paraif-
fcnt n'avoir d'autre origine.
( c , Prit un bourdon , fe paffa une icharpe
an cou. ) Ceft probablement ce Fabliau qui a
donne lieu a Tacception , fubiiftante encore
dans, nocre langue , du mot ptltrin , pour
fjgnifier un homme rufe & matois : Je con/fait
le peUrin.
(d, Je n'entends parler que de Rome. Mais
tout v* done la, ) Ces forties violentes con*
tre Favidite des Papes , fi communes chez
nos Poeces , n'exigeaient alors aucun courage*
II n'y . avait fur cet objet qu'un cri genital*
S. Louis lui-meme, fi devot , fi foumis an
Saint-Siege , dans une Ordonnance ' concer- * Or&*
nanc la Collation des Prelatures fe plaint des des Roi*
exactions infupportables par lefyuelles la Cour e *
de Rome avait malheureufement appauvri It ia ^g #
Royaume ; & il defend touie levee d'argent ,
i moins que ce ne foit dans une neceflite' ur-
gente , Sc avec le confentement du Roi Sc celui
de lJEglife Gallicane.
( e , Ifangrin. . , . Be'lin, . . ) Le nom d*J«
fangrin eft donne au Loup a caufe de fa cou-
leurgrife ; celui de Be'lin vient du mot biltr.
Le* premier fe x trouve aufli dans les poefic*
des Troubadours,
x J
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366 Fabliaux
£> LE MlEDECIN DE BRAL
Alias
* LE VILLAIN DEVENU MiDECIN.
J adis fut un Villain qui a force d*ava-
rice & de travail avait amafR quelque
bien. Outre du bl^ & du vin ea aboo-
dance , outre de boa argent , il avait
encore dans Jbn £cutie quatre cbevaux
& huit boeufsl Malgr^ cette fortune ce-
pendant il ne fongeait point a fe maricr.
Ses amis & fes voifins lui en faifaicnt
fouvent des reproches. Il s'excu(ait en
difant que s'il rencontrait une bocnc
fcmme, il la prendrait. Eux fe cbargereot
de lui choifir la meilleure au moins qu'oa
pourrait trouver, & en conKquence ils
firent quelques recherches.
A quelques lieues dela vivait retire' un
vieux Chevalier veuf, & fort pauvre,
qui avait une fille tres-bien eievec &
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V C O N T E S. 367
#une figure charmante. La Demoifelle
itait en age d'etre mariee 5 mais corame
le pere n'avait rien a lui donner , per-
fonne ne fongcaic a elle. Enfin , les amis
du Villain £tant venus en fon nom en
faire la dejpande , elle lui fut accordee j
& la Pucelle qui etait {age & qui n'ofait
deTobliger Ton pere , fe vie ,• malgre* fa
repugnance , obligee d'obeir. Le Villain ,
enchante\de cette alliance, fe prefTa bien
vite de conclure & fie fes noces a la hate.
Mais elles ne furent pas plutot faites
que des reflexions chagrinantes furvinrcnt ,
& qu'il s'appercmt que dans fa profeffion,
rien ne lui convenait moins qu'une fille
de Chevalier. Pendant qu'il fera au-dehors
occupy a fa charrue on a quelqu'autre
travail , que deviendra fa femme , elevee
a ne rien faire & dont Ktat eft de refter
au logis? Le Curl, pour qui tous les
jours de la femaine font Dimanche , ne
manquera pas alors de s'emprefTer a lui
tenir compagnie: il y viendra aujourd'hui ,
Wy rcviendra demain 5 puis gare rhonneur
du fot mari. Comment done faire, quand
il n'y a plus de remede ? « Si le matin ,
X 4
^
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?68 Fabliaux
» avant de partir , jc la battais r fe <fit-3
» a lui-meme , elle pleurerait tout le refte
» du jour 5 & il eft sur que pendant qu'elfe
*> pleurerait * elle ne fongerait point a
w ecouter les galans. Le £bir, en rentrant ,
» fen ferais quitte pour tui demander
» pardon > & jc fais bien Comment fl
» faut s'y prendre pour ft>btenir»*
Rempli de cette belle id<£e , il demande
a diner. Apres le repas , il s'approche de
la *Dame 5 & de fa rude 8^ lourde main
Iui applique fur la joue un tel foufftet
que la marque de fes cinq doigts y refte
imprimee. Ce n'eft pas tout. Comme {1
elle lui eut eiTentiellement manque', il
redouble de quclques autres coups &
fort enfuite pour aller aux champs. La
pauvrette fe met a pleurer & fe deTole.
« Mon pere, pourquoi m'avez-vous fa-
» crifie'e a ce Villain } .IvTavions-nous done
» pas encore du pain a manger ?'& inoi
to pourquoi ai-je &e afTez aveugle pour
« confentir a ce mariage ! Ah ! ma pauvre
to mere ," jfi je nc vous avais pas perdue ,
» je ne ferais pas malheureufe. Que vais-
* je devenir* } Elle ferit fi afflige'e qu'clle
;d by Google
OU COTTTES. }6$
nc voulut ccouter ni recevoir de confb-
lation de pcrfonne , & qu'clle pafla tout
le jour a pleurer , comme l'amit preVa
le mari.
Le foir , quand il rentra , fon premier
fbin rut de cherchcr a Tappaifer. C&ait.
le Diable qui 1'avait tenti , difait-il. II
jura de ne jamais porter la main fur elle ,
fe jetta a fes pieds & lui demanda pardon
«fun air & pen^tre* que- la Dame promit
<Foublicr tout. lis fouperent de la meil-
leure amine* & firent la paix. Mais le
Villain qui avait vu fbn ftratageme reulfir >
s'^tait propofe* de Temployer encore. Le
lendemain done a fon lever , cherchanc
querelle a fa femme , il la frappa de
nouveau & la quitta comme la veflle. Elle
fe crut pour le coup condamneVians efpoir
a etre malheureufe & s'abandonna auz
larmes.
Tandis qu'efle fe deTe(perait , entrerent
chez elle deux Meflagers du Roi , months
fur des chevaux blancs. lis la faluerent
au nom du Monarque & lui demanderene
un morceau a manger (<z) : ils mouraicne
de faim. Elle leur appreta auul-tot c«
Xj
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570 Fabliaux
qiTelle avaic , j8c pendant le rq>as lcs prtt
dc lui dire od ils allaienc ainfi. « Nous
*» nc fai^ns trop , repondirent-ils ; nsats
♦ M6dc- " nous cherchons quelque Phificien *
*iiu » habile , & nous paflerons s'H le fasr.
» jufqu'en Angleterre. Demoifcllc A3e,
>» la fille du Roi , eft maladc. II y a
*• huit jours qu'en mangcant du poiflb-^ ,
» une arete lui eft reftee dans le gofer.
» Tout ce qu*on a imaging depuis ce tern;
« pour Ten d&ivrer a £te fans fuccr.
» Elle he peut ni manger ni dormir , £:
» fouffre dcs doulcurs incroyalslc^ Le
» Roi qui fe deTefpcre nous a dcpccr.'s
» pour lui amener quelqu'un capable tfc
»> guerir fa fille. S'il la perd , il en mourra.
» — N'aUez pas plus loin , reprit la Dame ;
« j*ai ' l'homme qu'il t vous faut , grzcA
» Phificicn 8c plus expert en urines
*> quHippocrate. — Oh 1 Ciel I fe po*»«--
» rait-il 1 & ne nous trompez-vous pa«: ?
» -Non, je vous dis la pure vcrirl
p Mais le M^dccin dont je vous parlc eft
n un fantafque , qui a particulierement Ic
» travers dc ne vouloir point exerccr f.^n
m talent 5 & jc vous previens que fi vcirs
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O U G O N T E S. 37I
*» ne le battez fortcment , vous n'en tirerez
»» aucun parti. — Oh i s*il ne s'agit que
» de battre , nous battrons * y il eft en
» bonnes mains. Dites-nous feulement ou
>* il demeurc ».
La Dame alors leur enfeigna le champ
oii labourait fon mari & leur recommanda
fur-tout de ne point oublier 1c point
important don* eite les avait prevenus.
Us la remercierent , s'armerent chacun
d'un baton 5 & piquant vers le Villain ,
Ic -faluerent de la part du Roi & le prie-
rent de les fuivre. « Pourquoi faire , die-
» il ? — four gucrir fa fille. Nous favons
>» quelle eft votre fcience , & nous venons
»*expr& vous chercher en foh nom >*.
Le Mangnt repondit qu'il favait labourer ,'
& que fi le koi avait befbin de fes
fcrvices en ce genre , il les lui offrait ;
inais pour la Midecine il protefta , lur fa
confeience qu*il n*y. entendait abfolument
rien. « Je vois bien , dit Tun des Cava-
*» liers a fbn camarade , qiie nous ne
» reuflirons point avec des compliniens
» & qu'il veut etre battu ». Aufli-tot ils
lairetit tous deux pled a terre & frappe- 1
X*
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JpJL J A B L.I A U X
* tent fur lui a qui mieux-mieux. D'abord
if voulut leur rcprefenter l'injuftice de
leur prodde* > mais comme il n'etait pas
le plus fort, il lui fallut filer doux , & , en
demandant grace bien humblement , pro-
mettre d'ob&r ,en tout ce qu'ils exige-
raient. On liii fit done monter une des
jumens de fa charriie , & on le conduifit
ainfi au Roi.
Le Monarque itait dans la plus grande
inquietude fur Wtat de fa fille. Le retour
oes deux MefTagers lui rendit Tefperance j
& il les fit entrcr auffi-tot pour favoir
quel euit le fucces de leurs rechercbes.
Ceux-ci, .apres beaucoup d'&oges de.
rhomme merveilleux & bifarre qu'ik
amenaient , . raconterent leur aventure.
« Je n'ai jamais vu de M^decin comme
» celui-la j dit le Prince : mais , au refte %
» puifqu'il aimc le baton & qu'il f^ut
» cela jppur guirir jna fille , foi; , qu'on
» le batonne, ».
11 ordonna dans Ilnftant qu'on defcejpdit
la PrinceuV; & falfant approcher 1c yil-,
lain: Maitre, lui dit-jl , vojcicelle qu'it
Jaut guenr^Le pauyrc diable Ve jettt a
* by Google
O U C O N T E S. 37J
gcnoux en criant merci & jura par tous
les Saints du.Paradis qu'il ne favait pas
un mot , pas un feul mot de phifique*
Pour toute reponfe , le Monarque fit .un
figne ; & a l'inftant deux grands Sergens
qui ^taient la tout-prets , arm& de batons ,
fircnt pleuvoir fur fes epaules une grele
de coups. Grace , grace , s'&ria-t-il j je la.
gue'rirai , Sire , je la guerirai (£).
La Pucelle &ait devant lui pale &
mourante 5 & , la bouchc ouverte , elle
lui montrait du doigt le fiege ScAsl caufe
du mal. II fongeait en lui-meme com-
ment il pourrait s'y prendre pour operer
cette cure $ car il voyait bien qu'il n'y
avait plus a reculer & qu'il fallait en
yenir a bout ou perir fous le baton. « Le
» mal n'eft que dans le gofier , fe difaic-
>? il : fi je pouvais reu/fir a la faire rire ,
» peut-etre l'arete fortirait-elk. » Cette
ide'e lui parut avoir quelquevraifemblance;
H demanda done au Monarque qu'on
ajlumat un grancj feu dans 1^ fallc 8c
qu'on Je laifsatiin; infiant , feul f , avec la
Princeile-
Tout le monde reuri , il la fait affeoir ,
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374 Tabiiaux
fe deshabille , s'etend le long du feu , SC
de fes ongles noirs & cro'chus commence
a fe grattcr & a s'etriller la peau avee des
contortions & des grimaces fi plaifantes
que la Pucclle , malgrc' fa douleur , n'y
peut tenir. Elle part tout-a-coup d'un eclat
de rire ; & de TeiFort qu'elle fait , Tarete
lui vole hors de la bouche. It la rama/Te ,
coun a la pone : Sire , la voici , la void.
Vous me rendez la vie , s'£cria le Mo-
narque tranfporte"; & il promit de lui
dbnner en r^compenfe des habits & des
robbes (c). Le Villain le remercia. Il ne
demandait que la permiflion de s*en re-
tourner, & pr&endit avoir beaucoup a
faire .dans fon manage. En vain le Roi
lui propofa de devenir fon ami & fon
•Son Me- iiiaitre * 5 il rlpondit toujours qu'il £tait
dedn. prefix , qu*il n'y avait point de pain chex
lui quand il e*tait parti & qu'il lui fallait
abfolument porter # du b\6 au moulin.
Mais lorfqu'a un nouveau fignal du
Prince les deux Sergens recommencerent k
jouerdu baton, lorfqu'il fentit les coups,
il cria miftricorde & promit de refter
non-fcujement un jour , mais toute fa vie M
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O V C O, K T B 5, 37/
fi Ton voulait. On le conduifit alors dans
tine chambre voiitne , oii , apres lui avoir
6te* fes haillons, apres Pavoir tondu &
rafe* , on le revetit d'une belle rbbbe
d'lcarlate. 11 ne s'occupait pendant tout
ce terns que des moyens-de s\khapper,8c
comptait que , ne pouvant toujours ctre
gard£ a vue , il en trouverait bientot
l'occafion.
Cependant la gu£ri(bn qu'il venait d*o-
p&er avait fait du bruit. A cette nou-
velle plus de quatre-vingt maladcs de la
vilk , dans Te(pe*rance du meme fucces
pour eux &aiene venus an chateau le
confulter, & ils avaient pri^ le Monarque
de lui dire un mot en leur faveur. Ld
Roi le fit appeller : " Maitre , lui dit-il ,
» je vous rccommande ces gens-la 5 gue*-
» rifTez-les tdut de fuite , & que je !cs
» renvoie chefc eux. Sire , repondit 1c
» Villain , a moins que Dieu ne s'eti
» charge avec moi , cela ne nVeft pas
» poflible 5 il y en a trop ». Qu'on fade
vcnir les deux Sergens , reprit le Prince.
A Papproche des exeaiteursle malheureux %
trcmblant dc tous fes membres , demand*
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yjG Fabliaux
<Ie nouveau pardon , & promit de gnerir
tout le monde, jufqu a la dernicrc fervanrc.
II pria done le Roi de vouloir bicii
encore une fois fortir de la falle , am&
que tous ceux qui fe portaient bien. Reft£
avec les feuls malades , il les arrangea tow
autour de la chemme*e , dans laquellc il
fit faire un feu d'enfer, & leur parla
ainfi. « Mes amis , ce n'eft pas tine petite
» befbgne que de rendre la Xante a taut
>? de monde, & fur-tout auffi promptc-
*> ment que vous le defirez. Je n'y lais
w qu'un moyen 5 e'eft de choifir le plus
» malade d'entre vous , de le.jetter dans
» le feu , & quand il fera confume , de
» prendre fes cendres pour les faire avaler
» aux autres. Le remede eft violent , j'ca
» conviens j mais il eft sur , & je re-
» ponds apres cela de votre guerifon fur
».ma tete ». A ces mots ils fe regardercnt
les uns les autres , comme pour examiner
leur etat f refpe&if. Mais, dans toute la
t>an4e il n,'y ( avait perfonne * e'tique on.
enfld , qui j pour la Normandie entierc ,
cut youfu convenir alors que fa maladic
4ttai grave. ^ .
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o v Copies, 377
Le gu&iffcur s'adreflant au- premier du
cercle -> <* Tu me parais pale & faible ,
» lui dit-il $ je crois que e'eft toi qui es
» le plus mal. Moi , Sire 1 point du tout ,
» repondit l'autre $ je me fens beaueoup
*> foulage dans ce moment & ne me fuis
» jamais & bien porte\ — Comment ,
» coquin , tu te portes bien 1 Eh 1 que
» fais-tu done ici » 1 Et mon homme
aufli-tot d'ouvrir la porte & de fe fauver.
Le Roi etait en dehors, attendant levene-
ment , & pret a faire batonner le Villain ,
s'U fallait encore en venir la. 11 voit ibrtir
un malade 5 es-tu gu&i , lui dit-il 1 — •
Oui , Sire. L'inftanjt d'apres , un fecond .
parait > — & toi 1 — je le fuis aufli, Enfin ,
que vous dirai-je } il n'y eut perfonne ,
jeune ou vieux , femme ou pucelle , qui
vouliit confentir a feire des cendres 5 &
tons fortirent , fe pr&endant gu&js.
Le Prince , enchante , rentra dans la
falle pour fSliciter le Me*decin. Il ne pou-
vait aflez admirer comment en aufli peu
de terns il avait pu op&er tant de miracles.
Sire , repondit le Villain , je pofTede un
charme d'une vertu fans pareille , & e'eft
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378 Fabliaux
avcc ccla que jc guens. Lc Monarquc k
combla de preTens; il lui donna de Par-
gent & des chevaux , l'aflura de fon
Amine* , & lui permit de retourner aupres
de fa femme 5 a condition cependant que
quand on aurait befoin de fon fecours ,
il viendrait fans fe faire batonner. Le
Manant pric ainfi conge du Roi. Il n'eut
plus befoin de labourer , ne battit plus
fa femme , l'aima , & en fut aime* > mais
par le tour qu'elle lui joua , elle le rendit
Medecin fans le {avoir.
Je crois inutile de privenir que c*eft ce Contt
qui afourni a Moliere le Medecin malgrc lui.
Mt Bret dans la nouvelU Edition quit a don-
ntc de ce pcre de la bonne Come die , en a
fait la re mar que , en ajoutant que cette ven-
ture fc trouve aujji copiee dans une relation
du famcux Grotius & dans OUarius. On a
pretendu que c'itait che\ le premier que Mo~
liere Vavait prife, Ce ne peut fore au moint
que dans un Auteur moderne, Rien ne nous
apprend quit ait connu nos Poites ; & je U
regrette bitn. Que de perles il eut tirt'es <k
ce fumier !
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O U C O N T E S* J7j>
Se trouve auffi dans I'Enfanc fans Souci A
pag. 288,
Dans Us Screes de Boucher, pag. 322 ,
10« Seree.
Za feconde partie du Fabliau a ete coptie
comme la premiere.
On lit dans le Poggiana , que le Cardinal
de Bar , Napolitain , ayant a Verccil un H6-
pital dont il tir.iic fore peu de profit , parce
quit y av ait beaucoup de malades, fan In-
iendant , pour fe debarrajjer de ces impor-
tuns qui confumaient le revenu de fon maitre ,
s'avifa de fe de'guifer en Midecin , & leur d£-
clara qu'on ne pouvait les guirir quavec un
cnguent de graiffe humaine. Mais des qifil eut
propofe de tirer au fort a qui ferait mis dani
la chaudiere, tous vidurent VH6pital.
Se trouve ainfi dans le Courier Facetieux ,
p. 129. V
Dans les Hiaoires Phifarjtes & Recreatives ,
Dans li Gibeciere de Mome, p. 45^
Dans Ls Screes de Bouchet, j>. $3+, 3** S&
tie.
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j8o .F A'B L I A V X
N O TES.
la, ••• Deux Me/pagers du Rot , monies
fur des chevaux blancs. lis la falucrent am
nom du Monarque , & lui demanderent am
morceau a manger* ) Nos Rois , quand lis
voyageaient , euflent regarde comme ui«
chofe indecente de loger dans une horelkric
publiqiie. S'ils n'avaient point , dans le lieu
ou ils paflaient , de chateau ou de raerairie ,
ils defcendaient chez quelqu*un de leurs Vaf-
iaux. Ceft ce qu'on nomma fous la premiere
Race Droit de Man/ion * & fous la troiCenie
Droit de Gite, Lts couvens & les Eveqnei
<jui pofledaient des biens Regaliens s*y tron-
vaient aflujetis. Ce privilege , le Prince le
communiquait £ fes Meflagers ou delegues)
& ceux-ci pouvaient , en route , exiger ca
logement, comme il l'eut exige lut-memc
Ceft fans doute en vertu de quelque droit
femblable que les deux Couriers du Fabliau
defcendent chez la femme du Laboureur. i*i
chevaux blancs qu*ils montaient annongaicat
a(Tez , comme je l'ai dit dans une note da
Xai dt Lanval , qu'ils appanenaient au Roi.
(b , Grace , grace , s'tcria-t-il , je la gae-
rirau) II y a, de mime dans le Bel^gQr dc
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o U C O N T E S. }Sl
Machiave! & de la Fontaine , un Payfan que
le Roi fait venus, pout fa fille tourmentt'e par
tin mauvais Efprit. On le menace du gibec
s'ilnedelivre la Princeffe ;&, comme le Vil-
lain du fabliau , il n echappe au danger que
par une rufe.
[ c , Promit de lui donner en recompevfe
des hdbits & des robbes. ) Une galanteiie d'u-
fage ches les Rois & les Princes etait de faitc
dans certains' ferns de l'annee , a Paques &: *
Noel fur-tout , des ptefens de robbes , de
manteauX & d'habits aux perfonnes attachees
a leur fervice & aux Seigneurs qui compo-
faient leur Cour. Les habillemens qu'on livrait
a ces cpoques s'appellaient Livries ; nom qui
s'eft conferve pour ceux que les Gens de qua-
lite font porter a leurs valets. On fait que ce
fut dans une de ces diftributions f que, par
une fupercherie pieufe, S. Louis engagea plu-
fieurs Seigneurs a fe Crolfer avec lui. Les Ir-
vries leur furent fournies dans l'obfcurite.
Lorfque le jour paruc , tous fe* crouverent
avoir fur l'epaule une Croix coufue ; Sc ils fe
crurent lies comme s'ils Tavaient prife de leur
propre choix. fcdouard III , Roi d'Angleterre ,
ayant i fa Cour , vers les fStes de Noel ,
quelques Gentils-hommes Francois, faits pri-
fonniers dans une eiureprife fur Cahis , qui
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382 Fabliaux
nc leur avait point reuffi , il voulut par cour-
coifie & par eftime pour leur valeur les hire
comprendre dans la distribution des Livrees
qu'il devait fairc pour la fttc.
Quelquefois la feulc acceptation de ce pre-
fent etaic un engagement contra && de fervir
pendant une annce le Souverain qui 1'onrait.
Ainu* quand le Roi , dans le Fabliau , p r $-
met des habits au Medecin , il lui annoncc
qu'il le regarde des ce moment corame etanc i
ion fcrvice 5 ou qu'il veut qu'ils y engage. Ceft
ce qu'on appellait itre aux drops d'un Prince.
Hy avoit un Chevalier qui efioitdoupaXs dePulle
(Pouille ) & efioit aux dnps Robert de Flan-
' Froiff, **'* * Quand lcs ch evaliers ecaient aux drapt
zvoLch. d ' un R°>» on les nommait Chevaliers le Roy
J7. ou Chevaliers deVOflel du Roi.
II ne faut pas confondrc les fburnitures dc
Livr6es qui fe faidient toujours a des terns
fixes , avec les prcfens accidentels d'habits,
fairs aux Fabliers dc aux Menemers. Cetaient
fes propres habits que le Seigneur donnait en
recompense a ceux-ci , & ordinairement celui
qu'il portait le jour meine.
©
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O V C O N T E S. 3$$
LA BATAILLE
DE CHARNAGE ET DE CAREME.
M,
essieurs, je nc puis plus vou*
c&er davantage unc avahture qu'on a fuc
dans le terns par toute la tcrre, & done
la relation , perdue pendant bien des an-
nees , vient enfin d'etre retrouvee par mes
{bins. Jamais Rois , Comtes ni Dues n'en
ont entendu de plus belle. Au refte jc
n'ai pas befoin^Tinfifter fur la foiqu'elle
merite 5 je penle etre connu de vous ,
& vous favez que je ne mentirais pas,
quand on me donnerait cent marcs d'ar-
gent.
Le Roi Louis avait annonc^ Cour-Ple-
niere a Paris pour les Fetes de la Pen-
tccote ; & une multitude infinie de per*
fonnes s'y &aient rendues , foit dans 1c
deuein de participer aux plaifirs, (bit pour
y contribuer. Du nombre de ces dernierg
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3S4 F A fc L I A V X
furent deux Princes puiflans qui arriverent
chacun avec un cortege nombreux. L'un
&ait Charnage a riche en amis, honore
des Rois & des Dues , aime par toute la
terre 5 & l'autre , Careme le felon , Ten-
riemi des Pauvres , le Roi des grofles
Abbayes & des Moines , & le Prince fou-
verain des ^tangs , des fleuves & de toutes
ks mers.
Quoiqiie celui-ci foit peu aime* , quoiqae
peu de gens reflemblcnt a ceux du Beau-
vaifis & d'Olonne qui pour un poiflbn
donneraient un becuf , neanmoins , comme
il vint efcortd d'une grofle fuite de Sal-
mons & de Raies , on k recut fort bien.
Mais cet accueil fut Porigine d'une que-
relle fameufe , ainfi que vous l'allez voir.
Car Charnage , choqui de la preference
injufte qu'on donnait a fon rival , ne put
commander a fa colere,.& il s'emporta
oontre iui en menaces & en outrages. Ca-
r&ne a qui furent rapportfo ces difcours
injurieux, & naturellement fier & hau-
tain , iclata a fon tour. Il s'avanca vers
fon ennemi pour le. defier , lui de'clara
la guerre : guerre terrible 8c fanglante
qui
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ou Contbs. 3?f
qui ne devait finir que par la mine de
Tun des deux rivaux.
Tous deux aufli-ffit fe rendirent dans
leurs Etats, afia de hater par eux-memes
les preparatife dt cette'grande journee ,
& convoquer leurs Vatiaux ( a ). Careme
ckpecha aux fiens un Hareng qui , avec la
rapiditi d'unc fleche , parcourant les mers*
alia conter par-tout i'infuite faite au Roi
kur Suzeiain. r Tbu$ , jufqu'a la lourde
Balcine , promirent, d*accourir pour ven-
ger Con honneur. offenft. Pas un feul
ne s'en dilpenfa. Qui eut vu l'ardeur
generate n'eut pu s'empecher d'etre
^ronne* , les mers ce jour-la fe trouverent
deTertes.
Un Em&illon , dans l'autre parti , fut.
charge* de meme d'alier notifier aux Feu-
dataires de Charaage la declaration de
guerre. Les Grues & k% Herons vinrent
aufli-tot preTenter leurs ferviccs. Le Cigne
& le Canard ofFrirent de veiller a l'em*
bouchure des rivieres, & promirent de
ies garder fi bien qu'aucun de leurs en«
nemis ne pourrait pafler. Agneaux, Pores ,
Lie v res , Lapins , Pluviers , Ouurdes &
Tome II. Y
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}86 Fabliaux
Chapons , Poules & Butors , ks Oies
graffes enfin , le Pan ficr de fon plumage
cancelant , tous , julqu'a la douce Co-
Jombe, fe rendirent fous Wtendard de
lcur Souverain. Cette troupe bruyante &
timide-, fiere de fon nombre, c6Ubnit
d'avance fa vi&oire 5 & par-tout fur fon
paflage , die faifait retentir' lcs airs dc
fes cris difcordans.
Caremc, arme* de pied en cap , s'avanca
* Poiffon monte* fur un Mulet , * & portant un
ftaudou- f roma gc en guife d*£cu. Sa cuirane £tait
I'on wn- une Raic » ^ cs ^P crons unc ar & c y & f° n
nait. epec une Sole tranchante. Les traits &
les munitions de guerre confiftaient en
pois , marons , beurre , fromage, lait ( b )
Si fruits fees.
.- Charnage avait fon heaume fait d'un
pate* jde Sanglier , furmonte* d'un Pan ( c ).
Un bee d'oifeau lui fervait d'eperons , &
il montait un Cerf dont le bois ramu
^tait charge de Mauviettes.
Des que les deux Gen^raux s'apperc/urent,
ils fondirent Tun fur l'autre , & fc bae-
tlrent avec fureur ; mais les troupes de
chaque parti s'&ant avancces pour les fc-
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OU CONTES. 387
Courir , ils furent bientot fepare's, & l'af-
feire devint gen&ale.
Le premier corps qui eut quelques fuc-
ces fut celui des Chapons. II tomba fur
les Merlans qu'on lui avait oppo(cs, &
les culbuta fi vivement que , fans les Raies
armees d'aiguillons , lefqueiles , foutcnues
<les Maquereaux & des Flcts , vinrent r£-
tablir le combat , le d^fbrdre peut-etre
fiic devenu plus corilide'rable. Les Archers
de Careme alors. commencerent a faire
pleuvoir fur leurs ennemis une grclede
figues feches , de pommes & de noix 5
& les Barbues aufli-tot , les Brcmes do-
ries , les Congres aux dents aigues s'e-
lancerent dans leurs rangs e'tonn^s 5 tan-
dis que les Anguilles fr^tiilantes , s'en-
tortillant dans leurs jambes, les renver-
faient fans peine. On rcmarqua fur-tout
un jcune Saumon , & un Bar courageux ,
qui firent des prodiges inouis de valeur.
Non , une femaine entiere nc me fuifi-
rait pas pour vous raconter tou'tes les
prouefles que vit cette brillante journ^e.
D6)k 1'armle aquatique gagnait du ter-
xein, Qc la victoire allait fe declarer pour
Y %
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3S8 Fabliaux
ellc ; ' mais tout-a-coup les canards paf
leurs cris appellant du fecours, deux He^
rons & quatre femerillons s'dlevent dans
les air» & fbndent , comme la fbudre ,
fur les vainqueuis. Le Butor & la. Grue
viennent les feconder Crf ). Tout ce qulls
attaquent eft devore* , & le carnage de-
cent terrible. Le Bocuf pefant qui , juf
qu'alors avait vu , fans s'^mouvoir , le
danger de . fon parti , s^branle enfin. Ii
s'avance tourdement, abat & renverfe des
files entieres, £crafe tout ce qui ofc lui
r&iftcr, & feul jette i'epouvante & 1c
deTordre dans toute I'arme'e.
C'en &ait fait a jamais dc Careme , s'il
fe fut opiniatr£ a cerabattre plus long-
tems. II cdda prudemment au danger, &
fit promptement Conner la retraite , dans
1'cfpdrance qu'il pour rait , pendant les t&
nebres , rallkr & ranimer fes troupes ,
pour recommencer le lendemain la bacaillc.
La nuit fut employee de part & d'autre
a faire de nouvelles difpofitions ; mais
tin eVe*nement imprevu vint decider pour
jamais du fort des deux Mouarques.
Au point du jour , Noel ( e ) , fiiivi
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OU CONTES. . 389
#un renfbrt confiderable , arriva au camp
<!e Charnage ; & la joie qu'excita fa pr£-
fence y eclata par des railliers de cris
d'allegrefle. Ces traofports bruyans^ qui
retentirent jufqu'au camp ennemi , y jet-
tcrent Tallarme. On voulut favoir ce qui
les occafionnait , & Pon d^tacha quelques.
clpions pour s'en £claircir. Mais quand
ceux-ci , de retour , eurent fait leur rap^
port , a l'inquietude fuccj£derent l'abatte-
ment & la confirmation. En vain Ca-
reme , par fes difcours , efTaya de r£-
cbauffer les courage*; la terreur- ies avaie
glaces. Chacun jectak fes armes , & de
toutes parts Ton n'entendait que des voix
l&litieufes crier la paix , la paix.
Force* done de traiter malgr^ lui, 8c
fur le pojnt de fe voir trahi par fes propres
foldats , le trifle Monarque envoya , pour
n^gocier , un Depute au Vainqueur. Char-
nage qu'avaienr enorgueilli la vi&oire
de la veille & fes nouvelies efperances ,
^xigea d'abord que fon ennemi fortfc
pour jamais de la Chretiente\ Cependant ,
fur les reprefentations de fes Barons , ii
cAtr* en aceommodement , & conjointe-
Y3
;d by Google
$90 Fabliaux
mcnt avcc cux (/) conclut un traiti par
lequcl il confentit que Careme parut pen-
dant quarante jours dans Tannee , & deux
jours en outre environ dans chaque fe-
.maine > mais ce ne fut qu'aux conditions
que les Chretiens , en d£dommagement ,
pourraient, non-feulement pendant ces jours
de penitence , mais encore pendant tous
les autres de l'ann^e indiftin&ement , join-
drc au poiflbn , ' dans ieur repas , le laic
& le fromage. £t ce fut ainn* que le Roi
Charnage rendit le Roi Careme Con yaiTaL
NOTES.
(a, Tous deux ft rendirent dans lews Etsa i
efin de hater par eux-mimes les preparadfs de
tettegrande journie , 6» convolver lews Vajfaux).
Telle fur pendant bien des ficcles ,.cn France , la
% Dan., maniere de lever des armies & de faire la guerre \
# 'at/ IV n'y avait point de Troupes regimes 5 mais la
#r« * plt>P art des terres, foitlaffques, fore ecclefiafti-
ques 6u moniales , 6taient affiijetcies & une re-
devance de fervice militaire, pendant un cer-
tain nombre de jours & avec un certain nom-
kte d'homrnes. Ainfi quand le Prince avait line
;d by Google
ou Contis, 391.
guerre a foutenir , il publiaic un Ban pour foro-
mer tous fes Feudacaices dc vcnir a* Ton fecours.
Ceux-ci , en confluence , convoquant 4 leur
tour leurs Vaflaux, les faifaient conduire , au
lieu dcfigne , par dcs Baillis , dcs Ayoucs 4 dcs
Vidames 5 ou u* la nature du fief les obligeaic
de les conduire eux-memes , ils marchaicnt
avec eux en pCrfonne : e'eft-a* dire , que les
Bannerets amenaient les Chevaliers , Ecuyers ,
Gens-d'armes & Sergens qui devaient former
la Cavalerie 5 & lc$ Comtes ou Vicomtes , les
Milices des villes & des bourgs , dont l'lnfan-
rerie etaic en grande partie compose.
Le tems du fcrvice variait felon Ja terre. Le
terme le plus long etaic de quatante jours. S.
Louis exigeadeux mois,& Phjlippc-Jc-Bcl qua-
tre. On ne pouvait s'en difpenfer ( au moins
quand on n'ecait pas a(Tez fort pour pouvoir
refufer impunenient , ) fans encourir une forte
amende ; a* laquelle Philippe-Augufte fubftitua
en 1 11 3 la con fife ado n du fief. Mais auili , ce
terme expire , le Monarque ne pouvait plus
rien demander £ fon Feudataire , & celui-ci etait
libre alors de fe rearer cbez lui & d'esnmener fa
Troupe,
Avec cette armec de quelques jours , avec
cctic dependancc dc lcurs proprcs Yafl* u * V*
;d by Google
tyi Fabliaux
fculs avaient droit d*en lever & d*en comman-
der Us difftrens Corps , que pouvaient nos
Rois^ Un evenemenc arrive'fous Louis- le-Gros
donna lieu £ ce Prince-, ou plutot i Ton habile
Miniftre Suger, de d€truire une parcie de cet
efdavage, en otant £ la Noble fle la levee des
Miliccs , & la tranfportant eh des mains dont
it fuc plus aife d'etre le maitre. Quelques yiI-
les , opprimccs par fa tyrannic infupportable de
leurs Seigneurs , s'adreflerent au Monarquc ,
comme & leur Suzerain , pour reclamer Ton
affiftance. II les affranchit , y forma des Com-.
munautes ou Communes gouvernces par un*
Corps municipal , auquel il donna , entr'aurrcs
droits , celui de hver & de conduire Its Mi-«
lices.
Dans cette administration , plus de Comter*
de Vicomtes, &c; & ce point etait fi impor*
tant, que Louis VII regardait comme a lui tou-*
tes Ics villes ou il f avait Commune. En terns
de guerre les Bourgeois , divitfs par paroiflcs
dont chacune portait , pour fe rajlier, une ban*
nicre reprefentant fon Saint , ( ain(i qu'on le
voit aujourcPhui dans nos proceflions ou cette
c6remonie ne (ignifie plus ricn ) , fe rendaient
amfi au camp , le Cure" k la tfite. Mais, comme
il fallait Us manager-, on n*exigeait d'eux quq
;d by Google
O TJ C O N T 1 s. 39}
le terns de fcrvicc ordinaire ; & ce n'etait pas
c^ec de pareils fee ours que le Monarque pou-
Vaic accroitre Ton autorite & aggrandir fes Etats.
Vers la fin dc ce raSmc fiecle , il s'etait form^ ,
«n divers endroits de PEurope , des corps d\A-
venturiers , compotes de Tecume de touces les
Nations , & qui adopcant la guerre comme un
metier fe vendaient au plus ofrjranc. Philippe-
Augufte trouva dans certaines fommes qu'il
leva fur Ton peuple & dans quelques epargnes
qu'il avaic eu la prudence de faire , le moyen
de prendre de ces Bandes a fa folic ; 8c ce fut
particujierement avec ces foudoyes oufoldats,
dont il ne craignait plus de fe voir abandonn6
au bouc de quarance jours parcc qu'il les payait,
qu'il executa cant de chofes contre les Anglais
&; qu'il devint le premier Roi conquerant dc la
tioifieme Race.
Philippe- le Bel prit 4 fon fervice des Troupes
fctrangercs done il crana avec les Souverains
leyrs maitres^
To us ces cfcangemens , au refte , n'interef-
faicnt gueres que l'lnfanterie ou la Cavalerie
l£gere. La panic effentielle des armecs , cclle
qui par l'avancage de Ces armes decidait ordi.-
nairement du fort des batailles , lps Gens-d'ar-
mes dc les Chevaliers furcne coujours natio*
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394 Fabliaux
naux & continuerent d'etre fournis & com?
mandes par les Bannerets. Mais fous Cbarlei
VII enfin, ces Bannerets epuifes par les guerres
fanglantes que la France avaiteuesi foutenir
contre V Angleterre , ayanc reprefente que de
pluficurs annees ils ne pourraient^ £cre en ctat
de foutnir leur contingent , Chatles , bicn con*
feille , les en difpenfa pour tou jours & crea,
pour les rem placer, des Compagnies qu'il ap-
pella d'Ordonnance ; Troupes regulieres qui fu-
tent exercees aux armes , qui eurent une foldc
& durent fcrvir fans interruption. II cue mime
radreflTe de faire confentir le peuple a fc char-
ger de cette paie ; & a cette occafion fut ren-
due hahituclle la Taiile qui jufqu'alors n'avaic
etc qu'accidentclle.
Ce coup de politique , peu important en ap-
parence , eft cependant l'un des evenemens de
]a Monarchic qui ait eu les fuitcs les plus in- •
tcrcflantcs , & celui qu'on doit regard er com-
nie la vraic epoque de Tautorite Royale. Des
que les Souverains eurent les Troupes, ilsfu-
rent tout-puilTans ;& la Noblcflc, a qui on
defendit d'en lever parce qu'elle n'avait plus
la charge d'en fournir, cefla d'etre quelque
chofe, ou ne devint redoutable que quand
cllc pofleda de graudes places.
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O U C O N T E S. 39f
L'Jnftitution des Compagnies d'Qrdonnance
produific encore un autre effct ; ce fut de faire
cefler les foncYions d'Ecuyer , les diftin&ions dc
Bachelier .& de Banneret , & toute cette consti-
tution & legislation de l'antiqua Chevaleric.
Le nom de Chevalier fubfifta cependant touw
jours avec honneur;& j'ai deji remarque que
Francois Ier voulut recevoir Paccolade des
mains de Bai'ard : mais ce ne fut plus qu'un
litre honorable ; la chofc avait r6ellemenc
change.
Nos Rois , au milieu de toutes ces revolu-
tions fi avantageufes pour eux , n'en confer-
verent pas moins le droit de convoquer la
NoblelTe, dans les befoins de l'Etat, par la
publication tiu Ban & de l*Arriere»Ban. Ce
remcde , toujours alarmant , a etc depuis mis
en ufage pluficurs fois 5 mais le peu d'utilite
qu'on lui a reconnu , Fincommodite rcdle
qu'apportait cette Milice altiere , indocile dc
pleine de pretention^ , fit qu'enfln J*on s\m de-
gouta. Depuis 1674 elle n'a point ete em-
ployee , fi ce n*eft pendant la derniere guerre
en i75 5,qu'une efcadre Anglaife s'etaut em-
paree de Tile d'Aix-4 Tcmbouchure dc la Cha-
rente & mena^ant les cotes yoifines , la No-
blcflc d'Aunis & des Provinces limitrophes fuc
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3<>6 Fabliaux
convoquee 6c marcha au fecours. Encore
cecce convocation , fake fans les for ma-
lices , ordinaircs en pareil cas , doit-elle
e^trc plutot cenice une invitation qu'un Baa
veritable.
( b , Les traits to munitions de guerre conff*
talent en pois , marrons , Uit , beurre , fromage j.
Le lait& Ie beurre on etc long-terns un ali-
ment prohibe en carcme , parce qu'on les re-
gardait comme fubftances grades & animates.
Un Pape les permit a Charles V , & un autre
£ Charles VIII , mais pour raifon de fame ;
& encore leur fut-il impofe de faire , en com*
penfation , quelqucs prieres ou ccuvres pies.
Les alimens , en maigre , s'accommodaient avee
de l'huilej Si la recolte de cette denree £tait
mauvaife , on nc favait plus comment faire.
Pour la defaute fhuille^ , on mangeoit in
beurre en icelui quarefme , comme en char*
naigt , dit le Journal de Paris fous Charles
VI fie Charles VII , Mangeoient char tn kd-
refme , fromalge , lait 6* ceufs comme en «n
mare terns , ajoute ailleurs le meme ouvrage.
Ce n'eft que long-tems apres nos Poe'tes qu'il
rut permis k tout le monde d'ufer , les jours
maigres , de beurre & de lait. Cependant le
Fablier donncrair ici lieu de *croirc qUe de
fon
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OU.COM T E S. J97
Ton terns ccs deux alimcns etaient en ufage pen-
dant le carcme*
( c, Vharnagt avait fon heaume fait d'un
pite de finglier > Jkrmonti d y un pan ). Ccs or-
ncmens ajoutes. a la cimc du heaume s*ap-
fellaient cimiers , & paflerent dans le Blafon ,-
ou ils fubfiftent encore. Les differences nations
qui avaient des Tournois s'ecaient piquSes &
1'envi de rendre ces jeux guerricrs , galans &
magnifiques. Les Francois , lcurs inventeurs ,
y introduifirent les devifes , la forte d'habil*
Jement qu'on appella Cotte-iTarmcs , & lea
Armoiries qui » ainfi que les devifes , confer*
vees dans chaque Maifon comme marque
d'honneur* & adopties par PEurope, y font
dc venues le figne diftin&if des families no-
bles. Les Maures <f£fpagne , auxqUels leur re*
ligion deYcndait toute figure le par confequenc
les Armoiries, inventerent les infenptions ea
devifes , les livr£es , Its applications mifterieu-.
fes des couleurs a 1 'amour , & 1'cfpcrance , i
la triftefle , & aux autres pafllons de fame;
enfin les chinres & enlaflemens de I e teres qui,
extant arabes & inconnucs aux Chretiens, paf-
lerent chez eux par des enroulemens de
famaifie qu'ils nommerent Morefques ou % Minitr*
Arabefques\ On doit, aux Goths & aux AU ^roiWdfl
Tome II. • 2 Carr '
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398 Fabliaux
lemands ces muflei de lion , ces tetes armeet
de cornci, jadis ,en ufage chez les Gaulois,
& ces difffcrens cimiers qu'on pla$a fur le
heaume pour infpirer plus dc terreur , & dent
on futchargea affcz inutilement cctte arme,
dejl fort lourde par ellc-meme. Dans la ge-
nealogie de la Maifon de Montmorenci par
Puchefne , on voir qu'un Seigneur de ce nom
portair (bus Philippe - le - Bel un pan pour
cimicr.
( d , Le Butor & la Grut viennent les Se-
conder ). Jc n'infifte pas fur quclques ufages
anciens , peu importans , que conflate le Fa-
bliau , tels que ceux de fervyc gras & niaigre
dans les grands repas , fcc 5 mais on obfer-
vera que parmi les Troupes de Charnage,
c*eft-a-dire , parmi les oifeaux qu'on man-
gcair alors , /e trouvent le Butor , la Grue',
l'Emerillon, le Cigne , le Heron & le Pan.
U y a beaucoup de preuves qu'on fervait ces
oifeaux aux meilleures tables , 6c qu'on les rc-
gardait niSrae comme cxcellens. L'eftomac vi-
goureux de ces hommes chaffeurs & guerriers
6c accoummes a des exercices violcns , ne de-
vair rebuter aucune nourrkure. Le Pin fur-
tout , que les Romans quaMent toujours du
utre de noble oifew & qu'ils appellcnc la
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\
O U C O H T £ S. 5519
plande des preusi ou la noitrriture det amans ,
ctaic dans la plus grande eftime & faifait
rorneincnr ordinaire des rcpas d'appareil. Un
de nos Pofc'tes parlant des fripponS , die qu'ils
*iimcn« autant le merifonge qu'un affame la
cbafr de part. •
Plarine, qui ccrfvait fur la fin du XV f
Cede, met encore dans fon Traire des Ali-
niens, parmi les oifeaux done on fe nour-
*ric, le Pan, la Grue*, la Cigogne , le Cigne
& 1c Heron. Taillevant, premier Cuiiinier
du Roi Charles V, Auteur done il nous
i-cfte un Traite de Cuifine , enfeigne de
m^me a accommoder le Heron , le Butor &
le Cormoran.
Je prie de remarquer aufli que dans la
Tifte des "Troupes dc Carc*me fe trouve la Ba-
• leine ; ce qui fuppbferait que la pfcche de <e
poiflbn ctaic connue , puifqu'on le mang^ait.
Xes Pontes Proven^u* parlenc en plufieurs
.endroks de cette peche.
( e, Noel , fuivi fun renfort confiderable ,
crriva au camp dc Charnagey On s'atcendraic
a voir le Poe'cc faire arriver ici Mardi-gfas
*vec Noe'l. Apparcmment qu'alors Tun etaic
. <mOrns folcmncl que 1'aucre,
(J. , Sur It* reprijtnfwous de fes Barons H
I *
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400 Fabliaux
tntra en accommodement , & conjointemtnt
avec eux coficlutwi traite* ). Tout ccci repre-
fence des ufages du terns ; & ces ufages , apres
ce qu'on vicnt de lire plus haut, ne doiyeut
pas etonner. Dependant , comme on l'a Vu ,
de fes principaux Vaflaux, le Prince leur de-
vait des deferences , des attentions & meme
des prevenances. La vadalite qui , au pre*
mier coup-d'oeil , ne parait £tre qu'un fiftenie
raifonne de Subordination, n'etait pourtant,
a proprement parler , qu'un pa&e de convc*
nance & un traite entre le Vaflal & Con
Suzerain , dans lequel les conditions fe trou-
vaient meme alTez egales. Car fi Tun petdait
Ton fief quan'd il ne venait pas au fecours de
fon Seigneur, l'autre perdait fa fuzerainete
quand il negligeait de proteger 6c de dc-
fcndre fon Vaflal. Celui-ci ne pouvait, il
eft vrai , ni fe marier , ni marier fes eM
fans fans l'aveu de fon Suzerain ; ainfi en
vertu de ce droit , Saint Louis ne vouluc
pas permettre le mariage du Comte de Cham-
pagne avec la PrincefTe de Bretagne 5 ni celiii
de la ComteflTe de Boulogne & de la Com-
refle de Flandres avec Montibrt , Comte de
Leiceftre ; ni celui de Jeanne , fille du Comte
de Ponthieu, avec ie Roi d'Aflgleteixe. Les
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O U CONTES, 401
Hiftoriens remafqucnt memc que , quand Fer-
dinand , Roi de Caftille , voulut 6poufcr cette
Jtttf&k , il 6crivit au Monarque Francois pour
le prier d'agr£er la demande qu'il all ait faire
de la Princeffe. Allurement void un des droits
les plus rigoureux qu'on connaiffe 5 & quel-
que chofe que la politique puiffe alleguer en
fa faveur , je crains fort qu'il ne nous pa-
raifle tyrannique. Eh bien I ce meme Sai&t
Louis qui ne permettait pas £ la fille d'un de
fes Vaflaux de s'allier a* un Souverain , quand
il accorda Ifabelle , Tune des fiennes , au Roi
de Navarre , il confulta aufli fes Barons fur ce
manage 5 & quelque avantageux qu'il le trou-
vlt, ne vouluf point le cbnclure qu'il n'euc
!eur aveu. Le Sire , difait l'ancien axiome du
droit feodal , ne doit pas moins au Vajfal que
le Vajfal au Sire,
II en etait ainfi des droits refpetYifs. Le plus
petit Seigneur avaic Its fiens , qu'il pouvaic
exercer en d6pit du Monarque , & contre le
Monarque lui-meme. Les baeeliers de l^onne
s'etant adreffts a Saint Louis pour obtenir
que la riviere £ui d£gag£e de tout ce qui in»
«rceptait la navigation , ( je choifis , autant
qu'il m'eft poffible , mes exemples dans le
regne de ce Monarque > parce que e'eft le terns
X }
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4oi' Fabliaux
ou fut compofee , comme jc l'ai deja xcpctfc
plufieurs ibis, la plus grande parcie des Fa-
bliaux ) , le Prince envoya des Comi
qui s'eccuperenc de ce travail* Arriv
percuisd'Auxerre , ils y plantcrent des potcanx
aux armes de France. Gui de Mcllo , Ere-
% LeBeuf t °4 UC de 1* Ville > ^ cs &* arracher\ Somme de
Mim.jur comparaicre a* la Cour du Roi pour Ce dif»
A A t cu *P cr » ^ repondic que , comme Eveouc de
VelyHi&k v iM c * Mnt Seigneur du pertuis , il arait
de Fr, cru devoir conferver fes droits* Le Roi con*
vine qu'il avaic raifon , & Gui retouina dans
Ton Diocefe.
En r z6q , le Monarque rendic une Ordoa*
nance pour deYendre les combats judiciaires
& y fubftituer la preuve par cemoios. Mais
ce reglement fi Chretien , fi raifonnable &
& fage, il ne l'etablit que dans Ces domai-
ncs j il ne put , die Beaumanoir , I'lntroduce
a la Cour de fee Barons j & (I quclqucs-nns
d'erur'eux l'adopterenc , ce rut de leur pleat
grc. Un Baron i qui le Roi eiit refu£ jaf*
rice , avait droit de lui declarer la guerre ,
ic memc d'obb'ger ies arriere-vaflaux a s'&sic
avec lui contre le Prince. S'il avait fair quelqne
dime , ou s'il vexait d'une maniere crianae
ie* fiijets, le Monarque nc pouvait pas k
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CU CONTEI. 4©|
pubir direftement par lui-mcme ; il fallait
^u'il It ciut 4 /a Cout , qu'il lc fit jugcf
par fes Pairs en dignite ; & fi lc coupablo
7 ccaic condaamc , lc Roi ne coftfifquajc ^e
Con fic£ N
24
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404 Fabliaux
m
r?LA BATAILLE DES VINS.
V ODLiz-vouSjMcffieurs, entendre
one hiftoire bien jolie > e'eft cellc qui ar-
riva au gentil Roi Philippe j ecoutez-moi.
Ce Prince , vous Ie favez , aimait lc
bon vin. U l'appellait i'amj de lliommc;
& toutes les fois qu'ii en rencontrait 1'oc-
cafioov il nc manquait gueres^de renou-
veller ramit& Neanmoins , commc il nc
TOulaitpoint prpdiguer la fienne, & commc
en tout on v doit etre^prddent & &ge,
il entreprit, un jour, de faire un choix,
fc^envoya par toute la terre chercher
ce qtfoffraient de meilleur les vignobies
les plus rcnomme's. Tous briguerent avec
empreflement l'honneur de deTalterer lc
Monarque. Chacun d'eux deputa vers lui;
& des differens pays du monde ( a ) , on
vit arriver a fa table les vins les plus
'exquis(^).
Il's'y trouvait en ce moment un Pretrc
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ou Conies, 40 j
Anglais , fon Chapelain , mais cervelle
un peu folk , qui l'^tole au cou , fe char-
gea d'un examcn preliminaire. D'abord
Ct prefenterent a hri Beauvais , Etampes
& Chalons ( c ) 5 mais a peine les eut-il
vus que les excommuniant aufE-tot, H
les cha/Ta honteuferaent de la fallc , &
leur deTendit d'entrer jamais oii fe trou-
yeraient d*honnetes gens. Ce d^but fevere
fit une telle impreflion fur ceux du Mans
& de Tours quHs tournerent d'efrroi ,
( il eft vrai qu'on e'tait en itc 9 ) & le
fauverent fans attendre leur jugement. II
en fut de meme d'Argence, de Rennes
& de Chambeli ( d ). Un ieul regard que
lc 'Chapelain , par hafard , jetta de leur
Cote' , fuffit pour les deamcerter. lis s'en*
fiiirent auffi , & firent bien : Slls eulTent
tarde* plus long-tems , je ne fiis crop cc
qui leur ferait arrive*.
La falle un peu debarrau^e par la for-
tie de cette canaille , il n'y refta que cc
qui &ait bon ; car le Pretre ne voulait
pa<? meme foufFrir le mediocre. Clermont
& Beauvoifins ( e^ parurent done, & ils
furent re^us d'une maniere diftmguec. En*
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4v6 Fabliaux
hardi par cet accueil favorable, Argen-
tcuil s'avan9a d'un air de confiaacc , &
fc donna , fans rougir , pour valoir micur
que- tous fes rivaux > mais Pierre-Fine,
rabbattant avec les termes qui convenaicnt,
f orgueil d'une. pretention pareifle , prc-
tendit a fon toqr marker la preference,
& appella en timoignage Marli , Mont-
morency 8c Deuii fes voifins (/). Auflbis
de meme, pour prouver fon merite,
allegua qu'il avait avec les vins de Mo-
felle , la gloire d'&ancher la foif des Al-
lemands , de qui il recevait , en retoiir,
de belles 8c bonnes pieces, (bnnantes. La
Rochelle vint enchexir encore fur celnt-
ci. II fe vanta d'abreuver non-feulemeot
les Flamands , les Normands & Bretons ,
mais encore TAngleterre, TEcofle, llr-
lande , le Dannemark; 8c il montra quan-
tity de bons cfterlins qu'il rapportait dc
ccs voyages ( g ). Andeli enfin ( k ) , Bor-
deaux , Saintes , Angoulcme , Saint-Jean-
d'Angeli , & le bon vin blanc de Poitiers
fur-tout s'avanccrent pour demander lion-
neur du choix 5 mais Chani, Montrichart,
iajois, Montmorillon , Buzancais, Chsh
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o v C o n t e r. 407
*cauroux & Iflbudun lcs arr&ant , fbu-
tinrcnt contrc eux la gloirc des vins fran*
$ais ( / ). €< Si vous avex plus de force
„ que nous , dirent-ils , nous avons en
„ rkompenfe une finefle & une feve qui
„ vous manque 5 & jamais on rientend
„ ni les yeux ni la tete nous faire des
„ rcproches „. Les autres voulurcnt x£-
pliquer, on £e querella.. Ces haleines am-
brces & &hauffees par la dilpute parfu*
maienc la falle. C'ecait une jolie quin-
taine (^k ) que celle de ces Champions
dilpofts au combat* II n'y a perfonne f
Chevalier ou Moine , Chanoinc ou Bour-
geois , eut-il iti iclop^ ou aveugle , qui
ne fut venu-la volontiers brifer une lance 5
& je gage memc qu'aucun <f eux n'eiit.
demandd la quarantaine ( / X
Le Roi , dont toutes ces pretentions &
ccs querelles ne fai/aienr que redoubler
encore l;irr£folution & l'embarras , decla?
j:a qu'il voulait faire lui-rneme reflaid^
tous les afpirans. C'^tait le moyen de
decider ce grand proems d'une manierQ
sure & fans que performs eut a fe plaindre.
J,c Chapelain Hmita , & vouluc goutcf
2 *
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'408 Fabliaux
auffij mais trouvant alors que le via
valait un pcu mieux que la cervoife (m)
de (a patrie, il jctta uhc chandelle a
tcrre & excommunia toute boiffbn , faite
en Flandres*, en Angleterre & par de-la
rOife. A chaque lampee qu'il avalait*
car telle e'tait fa maniere de faire Teuai ,
il di&it, ift goute («). Bref, il gouta
fi bien qu'on fat oblig£de le porter fur
un lit oii il dormit trois jours 8c trois
units fans fe reveiller.
Philippe enfin affigna les rangs. II nonv
ma Chypre , Pape ; Aquilat , Cardinal,
Quant aux vins de France ( o ) , il choifit
parmi cux trois Rois, cinq Comtes 8c
douze pairs ( p ). Ah ! qui pourrait s'af
furer d'avoir tous les jours un de ces
Pairs a fa table, pourrait bien fe promettre
audi de n'avoir plus a craindre aucune
xnaladic. Si cependant , Mcffieurs , qucl-
qu'un parmi vous e'tait priv£ de ccttc
confolation , lui confeillerai-je pour cela
d'aller fependre? Non, vraiment ; bon
cm mauvais , buvons-le tcl que Dieu
nous l'a donne* 5 couchons-nous le fbir
aupres de notrc vicillc , 8c viyons content*
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O V C O N T E S. 40^
Tal trouve plujieurs autres pieces allegoriques ,
dans It genre des deux Fabliaux ju'o/i vient dc
lire ; unc bataille d'Enfer contre Paradis ,
contenant des allufions d ces guerres que firent
pendant la regence de la Reine Blanche plu-
jieurs Princes ligue's contr'elle ; une bataille
des Vices contre les Vertus ; un Tournois d'Anr
techrift par Ungues Merry , mime fujet $ue
le precedent , C/c. Mais tout cela m'a parufi
jnifirahle & fi plat que je riai pu en rien
tircr*
NOTES.
( a Sc b t Des dijfirens pays du monde 0*
»ir arrwer les vins les plus exquii ); Tous cei
fays du monde fe reduiront A l'lle de Chypre,
a PEfpagne , aux bords du Rhin , a Tltalie
& a la France.
Le Poe'te , en cet endroit , nomme une qua-
rantaine de vins difrerens. Les voici. Ces
noms > joints & ceux qu'on trouvera repan-
dus dans le cours du Fabliau* donnent la
lute , exfreaiemenc curjeufc , des vins qui an
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4io Fabliaux
XItI e ficclc avaient quelque reputation ; &*
c'eft ce que le Conce a de plus inteteflant.
Auflbis , Mofellc , Aunis , La Rochcllc , Tail-
lebourg , Saintes > Me u Ian , Trennebourg .
Palme , Plaifance , Efpagne , Narbonne,
Montpcllicr , Provence , CarcafTonne , Beziers,
Moifiac, Sain c-Emilion , Saint- Yon , Orchefe,
Orleans , Jergeau , Meulan , Argtnteuil , Ver-
xnancon , SouTons , Hauvillers , Epernajr , Se-
Xanne , Samois , Anjou , G&tinajs > Iflbudun y
Ch&teauroux , Saint- Bricc , Never 5 , Trie , San*
cerre , Rheims , Auxerre , Vezelai , Flavigny »
Tonnerre , Saint Pour^ain , Savigny , Chabli 5
& Beaune , que l'Auteur dit n'Scre pas jaunt t
mais verd comme come de bctuf.
% Hiji. de Vkbhi Vely * rapporte , d'apreiBrufTel qu'il
r, om. ne c j tc p j tft ^ q UC noJ ^ Q j s buvaient i leuc
0f s table les feuls vins qu'ils recueillaient de leun
▼ignobles; & que ces vignts n % haunt ni en
Champagne ni en Bovrgogne , mais dans VOr*
Uanaism Notre Fabliau decmit l'aflertion de
rs „ cet Hiitonen.
Com* en
Fr. feus I<es vins d'Orlcans avaient de la reputation
la pre- dk)i fous la premiere Race , ainfi que ceux
UfecoUt de Vl)0n * de MScon * dc Cahors *•
race , par (c * D'abordfe prifenterent d lui Beauwais i
TAbb6 Bfiampes <* Chdlons )• Riea n'iadique fi ct
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Otf'COMfUi 411
Chalons eft cclui de Boulogne ou celui dc
Champagne* II y a un Beauvais en Querci,
tin autre en Sainton ge. C'eft fans douce dc
Tun des deux cju'il s'agit ici $ la capicale da
Beauvaifis ne produkant point de vin.
( d,Il en fitt de mime d*Ar genet > de Ren-
lies, de Chambeli). Argence eft en Langue-
doc. Si Chambeli eft le m£me que ChamblJ »
e'eft un bourg du Vexin Fian$ais 5 une autre
verfion porte , au lieu de Chambli , Chmn-
hire qui eft en Bourgogne. 11 y a deux Reu-
ses £ vignobles j Tun dans le Maine > l'auxre
dans le Languedoc.
( c, Clermont & Beatvoijins parurentdonc )•
Beauvoifins eft en Bourgogne. Cleririont eft
la capitate de l'Auvergne 5 l'Agenais & le
languedoc en one audi chacun un.
(f» Pierrefite • • . appelU en tc'moigntge
Marti, Montmorenci t? Deuil fes, voifins )•
Les vins-des environs de Paris fe buvaienc
done Hz table du Roi j & ils etaient meme alort
regardes corame treVbons. Argenteuil fc trouve
deji nomine parmi ceux de la note(fc), Cet
vins , aujourd'hui fi faibles , auraient-ils d£-
genlre avec Is terns? on fera porte i le croire,
G Ton fe rappelle que TEmpeteur Julien qui
peadanc, foa fcjour dans Lutecc fiic 1 pQttt*
;d by Google
412 Fabliaux
de lc$ connafcre , en fait Peloge : Ou l'art ;
qui a fu ameliorer les aucres, n'aurait-il pa
ricn op£rer fur le fol ingrat de ceux-ci ? Lcs
m£thodes, perfe&ionnees par l'experience, ont
du produire , quand la Nature ne s'y eft pas
©ppofte abfohimenc , de$ changemens favoia-
bles. Le Fabliau en fournk la preuve dans Id
Tins dc Tours & du Mans qu'il donne corame
fujets £ s'aigrir en ete , & qui aujourd'hui oe
s'aigriflent pas plus que les autres. D'un autre
cote" le vin d'Orleans qui avait une telle cc-
J6britfc que Louis-lc-Jeune l'employait en pre-
fens, n'eft plus regarde que corame un via
mediocre. Je m'abftiens d'iin plus grand de-
tail fur les differens articles de ce Fabliau,
parce qu'en traitant , dans l'Ouvrage que j'at
annonce , ce qui regarde les boitibns da
franeais, j'aurai occafion de parlerplus anK
plement du vin.
( g , La Rochelle *..fe vanta Fabreuver non>
feulement Us Normanis , Flamands & Bri-
tons ; mais encore VAngUterre , VEcoJfe , Vb»
iande , le Dannemarc ; & U montra quanuii
de bons efterlins qu'il rapportait de fes voya-
ges ). C'eft une chofe intereflante que de
voir nos vins crre des-lors pour la France en
pbjes de commerce confidfrable & attircr dans
;d by Google
x *>v C o n t n, 4t j
•los Provinces Pargcnt de Tccranger. D'un
autre coc6 on doic etrc aflcz furpris de se
compeer dant ce nombre que ceux de La Ro-
chcllc & d'Auflbis. II y auraic fur ccla beau*
coup de remarques 2 faire. Eft-il probable ;
par exemple > que la Rochelle & fon petit
canton puflent fournir nos Provinces fepten-
crionales k une parcfe des Royaumes du Kord i
On ne voit pas que dams cet apprivifionnement
immenfe il foit que (lion de la Sainconge , de
2'Angoumois , & fur-tout dc Bordeaux qui de-
puis fi long- terns fait une grande par tie de
ce commerce , & dont les rins etaient renom-
mes de*s le terns du Poe're Aufone. Cependant
ce n'eft pas oubli ou inexactitude de l'Aiiteur >
puifque , dans la phrafe fuivante , il nomme
expreflement les vins de ces Provinces , qui
viennent bien fe vaster de leur roerite , mais
qui ne fe donnent nullement Pavantage de
ceux d'Aunis* Guillaume Breton , dans fa
Philippidc, cite au nombre des objets de com-
merce que faifait la Flaodre , les vins de la fc Ro-
chcllc & ceux de Gafcogne ; ce qui con fir me
la remarque que je viens de fairc.
( h , Anieli enfin .... Cet Andeli eft: celuS
du Querci , ou celui de Saintonge.
( f i Chsni , Montrichart , Lafois , Montmo-,
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414 Fabliaux
rillon, Bu\anfais t Cbdteauroux 6* IJfoudunJbu*
tinrent contre eux la gloire des vins franfais )•
Montrichart eft en Touraine. Chateau- Rcux
( qui eft nomme Chatel-Raoid , ) Iffoudun &
Buzan$ais font en Berry* Je ne connais point
Chani & La<;ois. II y a pluficurs Montmoril^
Ion ; celui done U s'agit ici eft probablemenc
lin des deux du Bourbonnais.
Ce Contc a etc fait fous Philippe- Augufte ,
avant les Conquetcs de ce Prince fur Jean-
fans-terre , & Jorfque les Rois d'Angleterrc
pofledaient la Guienne , la Sainronge x PAn-
goumois , lc Poitou , &c. Les, vins de ces Pro-
vinces font ici reputes grangers $ le Poece les
met en oppofition avec quelques- uns de ceux
des Provinces foumifes imraediatement au Roi*
XI nomme ceux- ci francos , & Jcur fait fontcnir
enu'eux la rivalice qui rcgnaic ontre Jes deux
Couronncs.
( k , C'c'tait me jclie Quimaine que edit d$
€ts Champions ). La Quintaine ecaic un exer-
cice en ufage chez les Ro mains, lequel confif-
taic & lancer des filches contre un potcau. Nos
Ai'eux , qui avaient befoin de beaucoup de juf-
tcfTe pour le coup de lance, puifqu'il etaic de-
fendu dans les Tournois de fiapper ailleurs
qu.'au bufte, avaient fait 4c ce potcau una
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C U C O tf T ES, 4IJ
figure de Chevalier , mobile fur un pivot & ax*
mee d'un bouclier 6c d'un baton. C'etait centre
cct homme de bois qu'on venaic s'exercer*
routes les fois qu'on le frappait au milieu dtt
;orps , il reftait immobile , & la lance fc brifait.
fciais pour pcu que le coup s'eloignat de la
ligne centrale le qu'il ponat foit d'un cote ,
foit 'd'un autre , fa violence faifaic tourner la
figure avec tant de rapidite qu'elle frappait de
fon baton le mal- adroit , & moins qu'il ne fut
affez lefte pour l'efquiver. Les Seigneurs qui
voulaient s'amufcr & rire aux depens de leura
Vaflaux , les obligeaient quelquefois £ venir
dans certains jours de Tannee jouter contre la
Quintaine. Cette extravagance redevance , plus
plaifante au moins que cclle de venir , ou bai-
fer le verouil d'unc porte , ou mettre une bu-
che au feu la veille de Noel , ou contrefaire l't-
yrogne , ou fe laifler tirer le nez & les oreilles,
©a faire un p. . , &c. fubfifte encore dans quel-
ques endroits pour des baceliers , des ineu-
niers , de nouyeaux marics. Si le Gouvernemenc
aboliflait tous ces inonumens, odieux de Tabus
du pouvoir , qu'y perdraient les Seigneurs *
La Quintaine , dont l'ufage devait nature^*
lement tomber avec les Tour no is, eut 1'avan-
ta$c cependant de leur furyivre 5 parce que le*
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416 Fabliaux
courfes de bague Be de tcces erani toujour* M
vogue , elle continua d'etre neceffaire peurap-
prei^dre a" manic; la lance. C'eft & ce titrc que
l'adoptercnt nos «coles d*cquitarion , fornixes
fous Louis XIII. Depuis qu'elle nV * phis au-
cutic utiliti rccllc , tile s*y abolit infenfible-
menc
( / , Aucun d'eux n'eut demand? la cuarcn-
taint ). Un des droits les plus important qu*a-
vaient ufurpes les Seigneurs , celui dont ils fe
montrerent le plus jaloux & qu'ils difputerenrle
plus opiniitrement contre l'autorite* Royalejc'f-
tait le droit de fairela guerre. II n'eft pas poffiblc
de dire cous les defordres affreux que produifit
un abus qui rendait chacun juge & vengeur de Ct
propre caufe. Un Gentilhomme fe pretendait-il
offenfe? il armaic Ces Vaflaux , allait ravager les
cerres & afliegec les chateaux ou villes de Con
ennemi. Cclui-ci de Ton cote, armant les liens,
vena it en faire autant chez le premier. On bru-
laic les maifons , on egorgeait les habitans arec
leurs beftiaux, on detruifait les moiflbns , les
arbres , Its vignes 5 e'etair & qui ferait le plus de
deglt. Louis le-Jeune , au moment de revenit
de la Terre-Sainte , ayant^ eu Pimprudence de,
rehvoyer en France avant lui une partic dc*
Seigneurs Croifes qui I'avaient accompagne.
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O U C O N T B S. 417
fkyti miniftre Suger lui Scrivic qu'i! livrait le
l&oyaume i des loups ravuTans \ N DarU
Ces guerres privees n'etaient pas fculcmcnt Ki/?. dt
ia. guerre 4c deux particulars. To us les parens nlu ll
mlc part & d'autre, jufqu'au quatrieme degrc, gne dcS m
< pendant long-tems on avait fak remonter To- £ouu»
^ligation jufqu'au feptieme , ) etaicnt forces de
prendre parti. Si quelqu'un d'eux cut refufe , il
«ut perdu tput droit £ la parente&d la fucceflioa
4I11 guerroyanr. Pendant que duraient ces guerres
4knglantes , iMcmblait qu'il n'y edt plus dcSou*
▼cxain ; on faifait la guerre, on faifaic la pair fans
£■. participation , & de toutes parts il voyait Con
JRoyaume livre a* l'incendie , au meurtre & au
^pillage , fans pouvoir fouveat s'y oppofcr.
Au milieu de ce brigandage cependant on s*e-
^tait fait quelques principes* 14 etait; de l'hon~
neur , par exemple , d'envoyer d'abord une de-
claration de guerre ou de/i , tc de ne coramen-
cer les hoftilites que trois jours apres. Mai*
quelle reflburce centre ceux qui agiflaient au*
crement i On avait meme inceret a ne point,
s'avcrtir -, parce que, le pillage enrichiflant , oa
avait interSt I fe furprendre 5 & ce defordre
combait particulierement fur Us parens , qui
n'ayant aucun fujet de defiance fe trouvaienc
(out 4'uii coup attaqucs fans avoir eu le terns
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418 Fabliaux
de fonger & fe defendre. Pour prevenir cei
abus, Philippe-Augufte regla que les parent
qui entraient en guerre pour caufe de parent^
nc pourraicnc 6tre attaqu6s que quarance jouo
aprcs qu'elle au rait etc ouverre enrre les deal
contcadans. Ce delai de quarance jours , dont
S. Louis renouvella 1'Ordonnance , fuc nomine"
la quaramaint'leRoi ; $C voili ce que pouvaic
alors , pour le bon ordrc , l'autorit£ du Prince*
Le Clerge avec routes fes excommunications fi
redoutees , n'avait pas pudavancage. Ilcrutob*
tenit bcaucoup en autgnanc dans la fcmainc cer-
tains jourS pendant lefquels il ne feraic pas per-
misde pourfuivre fes injures partkulieres ; Sect
reglemenc qu'on decora , pour le rendre plus
rerpeckable , du nom faint de Tttvt it Ditui
tut annonce mfirae d'apres une viflon pretcn-
due , & comme un ordre particulier du Ciel.
hts Rois , fuccefieurs de Saint Louis , firenc ;
au fujer dts guerres privies , dif&rentes Ordon-
fcances que pendant long-temps leur faibleflc
particuliere , ou celle d* leur pouvoir , rendi-
rent prefque toujours inutiles. Peu-a-peu ce*
pendant la puiflance Royale , en prenant dec
forces , vinr i bout de les faire rcfpe&er ; &
ces milliers de petirs ryrans' qui voulaient avoir
comme clic le droit du glaive , le perdirenr
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OU CONTES. 419
infcnfibleraent , fans qu'on puifle affigner 1^-
poque precifc ou ils cefTerent dc 1'exerccr.
II y a dcs cxemplcs que lcs Rouiriers one ,- ,
gucrroye" quelquefois ainfi que la Noblefle \ <j M fo z >
t>es Communes mime obtinrenr ce privilege**, de Fr. r.
Tout'le monde pretendait au pouvoir d'aflaf- * J .»^ r *>
finer fon ennemi. m Ibid, ft'
( m , Trouvant que le vin valaii un peu mieux xi^Pr^f,
que la cervoife de fa patrie ). Gilles Boileau ou P* **•
Boileve , dans les ftaturs qu'il donna en 1164
aux BrafTeurs, ordonne que la cervoife out
bicrre ne pourra cere faite qu'avec de l'orge »
du meteil Sc de la dragee. On nomme dragee
le$. menus grains qu'on donne aux chevaux ,
comrae vefce , lentille , &c. Aujourd*hui la
bierre a* Pa ris ne fe fair qu'avec dc Forge.
( n , A chaqut lampie qu'il avalait , il difaitj
i/e gouce ). C'eft ainfi que font Merits ces deux
mots anglais qu'aujourd'hui Ton ecrirait is
good ( il eft bon ).
Le Chapelain ajouce enfuice , bonitoutt }
mots de baragouin que je crois fignificr tout
y eft bon > & par lefquels il voulait rendre ea
francos fon is good. Voila" comme les An-
glais > malgre" to us les efforts de Guillaume,
parlaient notre langue.
( 8c p , // nomma Chypn Fapt , Aquilat
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4io F A B X I A U X
Cardinal* Quant aux vins de France il choifit
parmi eux trots Rois , cinq Comtes £f dou{t
Pairs )• On remarquera ici que la dignite de
Pape eft regardee comme la premiere de rou-
tes 5 que celle de Cardinal 'eft la feconde^K
que les Rois ne viennent qu'apres, & an
troifieme rang.
Par vins de France -, PAuteur dans cette
phrafe entend, non pas les vins franpais comme
ci-dedus, mais tous ceux du Royaume en ge-
neral. On regrerte qu'il n'ait point affigne leurs
rangs $ & quoiqu'il termine aflez plaiiammcnc
fan Conte, la curiofite, piquee par toucc cecte
difpuce , n'eft point fatisfaite. Il refulec au
aioins de Ton Fabliau que :
x°. Parmi les rins etrangers , on eflimaic
ceux de Mofelle , d*Efpagne , de Chypre &
d'Aquilat ( Aquila dans PAbbruzze au Royaume
de Naples , ou Aquilee dans le Frioul ).
2°. Parmf les vins de province oil de can-
ton , ceux d'Anjou & de Provence ; ceux de"
Gatinais dans l'Orleanais ; .ceux d'Auftois ea
Bourgogne.
|°. Parmi les vins particuliers des Provinces f
L'Angoumois avait ceux d'Angoul£me,
L'Aunis ceux de la Rochelle.
X'Auvcrgue de Sainc-Pourc,ain.
Le
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ft U C N T I S. 42 f
Le Bcrty de Sancerre , de Chiteauroux , d'lf-
foudun & de Buzan^ais.
1 La Bourgogne , tl'Auxerre , Beaune , Beau-
Voifins , Flavigny & Vermanton.
La Champagne , dc Chabli , Epernay , Hau-f
villcts ; Reims , Sezanne , Tonnerre.
La Guiemie 3 de Bordeaax , Saint-Emiliofi ,
Trie&MonTac.
L'lfle de France , d'Argenteui! , DeUil , Mar-
ly , Meulaft , Sdiflbns , Montmorency , Piene-
fite 6c Saint- Yon.
Le Languedoc , deNarboane, Beziecs , Beau*
Vais , Montpellier & Carcaflbnne.
Le Nivernais, de Nevers , Vezelay.
L'Orleanais , d'Orleans , Orchefe , Jergeau \
SaxnoL . /
Le Ihoitcm , de Poitiers.
La Saratonge , de Saintes » Taillebourg , Sainft
Jean-d'Angeli.
La Touraine , de Montrichart^ • •-* ■
J'ignore ce que e'eft que Trennebourg.
Je ne fais ou placer Palme. Eft-cc celui <U
Languedoc , ou la capitale de PIfle Majorque *
Le Plaifance du Fabliau eft-il le Placentia
iTEfpagne , le Plaifance d'lsalie , de Languedoc l
Time II A a
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411 tABtt AUX
de Guienne , du Itouergue ou du Poicou ! ie
croirais volontiers que c'eft celuide Loinbardie,
parce que dans une Ordonnance de Charles V,
aim. 1*69 , je vois Its vins de cette villc afiii-
jettis i des droits particuliers.
II y a un Saint-Brie e en Limoufin , tin autre
en Anjou , deux en Champagne , deux daas
l'Agenais.
Un Milan en Poicou & un en Provence.
Un Savigny dans la Touraine , dans TOrlea*
nais , dans le Nivernais , dans le Poitou 5 plu-
fieurs en Champagne $ douae en Boulogne.
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OU CONTES. 4lf
* DU PRUD'HOMME
QJJX * KETIRA DE I/EAU SON COMPERE,
u,
£ X' r n a i.t.
k Pecheur jettant fes filets cri mer
voit quelqu'un tomber dans 1'eau, Jl vole;
a fon fecours , cherche a 1'accrocher par
fes habits avec fa perche , & vient a bout
de lc retirerj mais par malheur il lui
creve un opil ayec le croc. Le naye* dtaic
fbn compere , qu'ii reconnait.' II l'emmenq
chez lui ou il le fait foigner & le garde
jufqu'a ce qu'il foit gu^ri. Celui-ci n'eft
pas plutot ford qu'il forme plaiiite contre
le Pecheur pour I'avoir blefK. Le Maire
leur afligne un jour auquel ils doiventj
comparaitre, Chaciin expofe fes raifons *
& les Juges, au moment de prononcer ,
fe trouvent cmbarrafTds $ quand un Fou (a )
qui £tait-la , eleve la voix. " Meffieurs ,
„ dit-il , la chofe eft aifee a decider, Cet
„ hommc fc plaint qu'on l'a prive d'uji
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4*4 Fabliaux
„ ceil. Eh bicn , faites-Ic jetter dans l'eau
„ au meme endroit. S*il s'en retire , il eft
„ jufte qu*il obtienne des dedommage*
„ mens contre le Pecheur : mais s'il y
„ refte , il faut Ty laifler & re'compenfcr
# , rautre du fcrvice qu'il a rendu i9 . Ce
fugement fut trouve* tres-equitable. Mais
le naye* , qui eut peur qu'on ne 1'ex^cu-
tat, fe rctira bien-vlte & fe d££fta dc
fa demande,
" Ceft tems perdu que d'obKger un
„ ingrat , ajoute VAutcur x il ne vous
„ en fait nul gre\ Sauvez un ferron de
„ la potence , vous. ferez fort heureux ii
„ le lendernain il ne vous vole pas „.
Ce Come a iti traduit en vets par M. Imberti
NOTE.
( a , Un Fou qui bait Id cltve la voix ). Prefque
tousles Sogverains 6c Ics Princes avaient, pout
leur amuferaent » des Najns & des Fous , & c«t*
mode ccaic venue vraifemblablement des Cours
d'Afic , ou elie fubfiftc de cpms immemorial U
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O V G O N T I S* 415,
<fe& elle eft neceflaire pour foulager Pennui de
ecs defpotcs^condamncs dans leurs ferails a 4 d'&
ternels plaifirs. Sur les anciens Etatsde la Maifon
de nos Rois, ,. les Fous font toujours cornpti*
parmi leurs Offiders. L'Hiftoire racmc n'a pas
dedaigne die conferver les noms & les bons mots
dc ^uejques-uns de ccs BoufFons. lis av-aicnt la
s£te rafee , & po.rtaient un habillement ridicule *
ordinairemcnc'blanc , avec utf bonnet jaune on
verd , des fonnettcs, & quelquefois une marotte
«n main. On les introduifit audi dans Jes Farces
& representations de Mifteres t on, par dcrifion
de Petit monaftique , on leur donnait un capu-
chon & des oreilles d'ine. £e dernier Fou en
titre qu'aient eu les. Rois de France , eft PAn-
geli , donne par Ie Grand Conde & Louis XIV.
, Mais le cara&ere decent , Pcfprit jufte & Tame
ilev£e de ce Monarque n'etaient pas faits pou*
un genre de plaifir auffi miprifable 5 il y re-
non^a. Let Rejnes avajenc des Names & des
foiled
A**
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4*6 Pabiiaux
LE JUGEMENT DE SALOMON,
EXTIAIT.
•LiA premiere anne*e que Ie Sage Salomon
monta fur Ie trone , mourut un de fes
Vaflaux , Prince de Soiflbnne , Seigneur
d'une grande terre & de trois chateaux.
Celui-ci Iaiflait deux fils , d'un cara&ere
bien different : Tun dur , inhumain &
feroce 5 l'autre audi vertueux & auffi doux
jque fon firere Ntait peu 5 c'etait Ie cadet.
A peine Ie pere eut-il les yeux ferm& que
faine* des enfans affemblant fes Barons
Ieur demanda de regler Ie partage entre
fon frere & lui. *' Eh 1 mon frere ,
„ s'^cria le plus jeune tout en larxncs ,
9> oublions ces disunions odieufes , que
M nous ferons toujours les maitres de
„ reprendre un jour. Vqus voyez dcvant
* vous celui que nous vcnons de perdrc 1
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OU CoNTfitf. 417
*» nc fongeons en ce moment qu*a lc
•» pleurer & a prier pour lui »• L'autrc
xie voulut rien £couter. Les Barons curent
beau le conjurer d'attendre que le corps
fut au moins inhumij leurs repreTentations
Furent inutiles , il exigca qu'on proc&lac
fans d&ai au parage.
Dans ce moment entra le Roi. Mein
d'eftime pour (a m&noire & les venus
du mort , il venait honorer de fa prdfence
£es fun^railles. On l'inftruifit de la demandc
de ce barbare ain& Il fe chargea d*y
fatisfaire , & a Tinftant meme faifant
placer le corps debout entre deux poteaux :
cc Heritage de ce brave Chevalier , dit-il
•9 aux deux freres, demande, pour ctrc
*> dtfendu apres lui , un courage egal au
* fen. Voyons qui de vous deux ft
» montrera le plus digne de le pofRder».. %
II leur fait alors donner a chacun une
lance , leur aftigne un but pour qu'on
puifTe appr'&ier leur adrcflcj & ce but
eft le corps mort de leur perc. La r<*conv
penfe de celui qui aura portd le coup le
plus fcrme fera le don de la terre enticrc,
Vzini accepte ians repugnance ccttc abo*
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'428 Fabliaux
minable condition , & il ofe frappcr celo?
done il a re^u la vie. On propofc au
cadet de prendre la lance. « Moi , s'&ric*
» t-il en reculant d'cfFroij. moi., que je
** porte les mains fur mon pere I Ah !
* que le Ciel au concraire m'ecrafe a
» l'inftant > & je ne venge bientot l'outrage
» qu'il vicnt dc rccevoir „.
Salomon ne voulait qu'^prouver les. deux
enfans. Quand il eut connu leurs fenti-
mens , il prononca en ces termes : « Lc
»> Chevalier mort ne doit avoir pour
»> hlritier que fon fils ; & celui-la feu!
to eft fon fils , qui a (u le refpe&er &
• le chdrir. L'autrc eft un monftre d£-
to nature^ avide de fon bien & indigne
» de lui „. Il ordonna aufli-toc a celui-
ci de fortir de fes Ecats , en lui declarant
que fi le lendemain il l'y retrouvaic encore
il le feraic pendre.
Dans tes Comes Tartares t. j , un Calipht-
meurt kt foijje quatrt fils qui prtiendent chacwi
a ? Empire e> menaceng (Tune guerre chile*
Le jeupte veut s*tn rapponerfir lain dixit*
gt zed by GOOgle
b T7 CONTES. 429
r A la premiere perfonne qu 9 on verra entrer
dans la ville. Le juge qtfoffre le hafard eft
tin Calender qui propofe aux fils du Caliphc
la mime epreuve que le Salomon du Fabliau;
|£» ftul rejufc , (* il ejl ilu Rou
Tin du fccond Volume
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TABLE
D £ S FABLIAUX,
Et autrcs Pieces contenues dans ct
Volume.
Obfervations fur les Troubadours 4 pag. x
Lai de Courtois , Hj
Le Miracle de Tkeopkile* 114
Le Jeu de S. Nicolas , 131
Le Jeu du Berger fy de la Bergere , 141
Le Mariage , Xjtf
Les Croifades, itfj
LeSonge d'Enfer , 177
Le Ckemin de Paradis , igo
Du Villain qui gagna Paradis en flaU
dant , i 9 o
Du Jongleur qui alia en Enfer * i$6
Le Paradis d Amour # 116
L'Art d aimer , nj
Grifelidis, x ^ x
De la Femmequifit trois fois le tour des
murs de tEglife , %^
La Rpbbe d' tear late # j,*j
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TABLE.
De la Dame qui fit aceroire a fort Marl
quil avait rive> 18a
Des deux Anglais* 18*
L'Arracheur de dents * %$%
L'indigefiion du Villain, 19 f
Des Chevaliers , des Clercs & des Vil-
lains , *99
Des CatinS & des Menitriers > 301
Le Siege prete & rendu , 3O5
Les deux Menitriers * 3*5
Les deux Bourgeois & le Villain* 318 *
Le Revenant , 334
, Le Libertin converti , 34S
La Confejfton du Renard & [on Pitiri-
nage , 34?
Le Medecin de Brai , 3**
La Bataille de Chantage & de Ca-
rime,. 3* J
La Bataille des Virts 9 x 4^4
Du Prud'homme qui retira de teau fort
Compere * * 4 1 J
Le Jugement de Salomon* 4*-*
Jin <k la Table dtt fecoad Volume,
Nov r >- im
* by Google
;d by Google
Digitized by GOOgle
UNIVERSITY OF MICHIGAN